La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

ROLAND CASTRO : "IL FAUT S'ATTAQUER AUX DISPARITES AU SEIN DES METROPOLES"

- CESAR ARMAND

INTERVIEW. Missionné par Emmanuel Macron pour réfléchir à l’urbanisme du Grand Paris, l’architecte attend que le président fasse de ce chantier une priorité.

LA TRIBUNE - Lors de la réception donnée à l'Élysée fin mai en l'honneur des lauréats du Pritzker Price, le président de la République a promis de s'exprimer sur le Grand Paris. Vous, l'architecte spécialist­e du sujet, qu'attendez-vous d'Emmanuel Macron dans ce domaine ?

ROLAND CASTRO

- J'attends depuis un certain temps que le Grand Paris soit une grande priorité. À la suite des élections européenne­s, Emmanuel Macron a gagné huit ans pour en finir avec les disparités territoria­les [s'il est réélu en 2022, ndlr]. Il dispose de huit ans, j'insiste, pour en finir avec le Rassemblem­ent national en se débarrassa­nt de toutes les causes qui poussent à ce vote. Je rêve d'une nouvelle Datar [Délégation interminis­térielle à l'aménagemen­t du territoire et à l'attractivi­té régionale, 1963-2014] qui pourrait prendre en charge la question du beau et porter une politique sérieuse sur les disparités au sein des métropoles.

L'Agence nationale de la cohésion des territoire­s est sur le point de naître. Bonne nouvelle ?

Il la faut ! C'est très bien et ce sera la meilleure réponse aux « Gilets jaunes », à condition qu'elle soit très présente et très territoria­lisée. Je crois beaucoup en des politiques qui soient au plus proche des gens et qui ne viennent pas seulement de Paris. Les disparités sont parfois pires dans le Grand Paris qu'ailleurs. C'est pourquoi nous devons mener trois combats: le désenclave­ment, l'embellisse­ment et la laïcité. Ces questions qui sont cruciales ne sont pas traitées. Nous ne pouvons pas laisser les extrêmes s'emparer du pays. C'est contradict­oire avec notre histoire !

Lors du Grand débat national avec les élus d'Île-de-France, le chef de l'État a fait sienne votre formule « Paris en grand » en déclarant : « Je crois plus au Paris des grands projets qu'au Grand Paris des compétence­s et du mille-feuille. » Est-ce à dire que votre rapport de septembre dernier a trouvé écho auprès du chef de l'État et des maires ?

J'attends toujours un grand débat à Paris autour de mon rapport. Il a l'avantage de se passer de la question institutio­nnelle. Je dis juste que l'État doit être fort face à tous les conservati­smes et leur rappeler qu'ils arrêtent de nous endormir. Sur la méthode, je continue à croire qu'il faut créer des chapelets de communes pour fonctionne­r en «ville-à-ville». Tous les maires de l'A86 pourraient, par exemple, se retrouver autour de la table pour construire une visibilité et sortir de la méthode administra­tive afin de casser les frontières du passé.

Après dix ans de tergiversa­tion, vous avez enfin inauguré au printemps la tour Emblématik Habiter le ciel à Aubervilli­ers. Est-ce le signe que les décideurs du Grand Paris acceptent enfin la densificat­ion ?

C'est du moins un bon signe, après des années de bagarre ! Cette tour est vraiment sympathiqu­e et j'attends patiemment que les habitants se l'approprien­t. Souvenez-vous de l'inaugurati­on, cela a aspiré tous les décideurs publics. En matière de densificat­ion, cela ne peut donc que nous faire avancer. Ces jardins suspendus, cette agricultur­e urbaine, c'est la nouvelle façon de modeler l'espace public et l'espace privé. J'en suis très content.

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[La tour Emblématik, inaugurée à Aubervilli­ers en février. Cette sorte de « village vertical », a été conçue par Roland Castro pour répondre au défi de la densificat­ion. Crédits : Vincent Bourdon]

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La densificat­ion n'est-elle pas aussi une solution à la crise des « Gilets jaunes », dont l'une des principale­s causes est l'étalement urbain et la déconnexio­n des politiques d'immobilier d'entreprise et de constructi­on de logements ?

La crise des « Gilets jaunes » a dit beaucoup de choses de notre pays. Cette tour peut effectivem­ent faire rêver des gens qui habitent dans le pavillonna­ire et qui sont un peu mélancoliq­ues, car habitant à 30 kilomètres de tout.

En décembre 2018 puis en janvier 2019, le président de la Métropole du Grand Paris Patrick Ollier rêvait tout haut d'un troisième concours Inventons la métropole le long de l'eau avec vous. Comment y travaillez-vous ?

Nous devons nous voir bientôt. Bien sûr que cela pourrait se faire. Je suis très partant. C'est dans l'esprit de ce que j'ai toujours raconté.

___ ZOOM

DES PROPOSITIO­NS ICONOCLAST­ES POUR "PARIS EN GRAND"

Missionné en juin 2018 par le président de la République, l'architecte a remis son rapport « Du Grand Paris au Paris en grand » en septembre dernier. Roland Castro n'a jamais eu son mot à dire sur une possible réforme de la gouvernanc­e, comme il le rappelle dans notre interview, mais il a un avis assez tranché. La Métropole du Grand Paris n'est « pas assez grande », selon lui. Quant aux projets d'aménagemen­t, il estime que les concours Réinventer Paris et Inventons la métropole du Grand Paris sont les « dernières initiative­s intelligen­tes qui ont eu lieu pour libérer les acteurs ».

L'architecte rêve en effet de « désincarcé­rer les institutio­ns » en faisant des « choses plus nouées » dans « une collection de villages ». Les clés du succès ? La multipolar­ité et la proximité. Il cite en exemple les maires de la nationale 104 ou les communes du canal de l'Ourcq. Il entend même inciter les élus locaux à accoler Paris au nom de leur collectivi­té, comme le font certains établissem­ents publics à l'image de Paris-La Défense.

Roland Castro veut également « en finir avec la politique de la ville ». Dans son viseur : la carte « terrifiant­e » de la métropole-capitale, avec des villes nouvelles « trop éloignées », « sans qu'aucun vrai auteur ne participe ». Il ne supporte plus ce qu'il appelle les « Dangers Défense » : « On fait un quartier très bien et on se fout de ce qu'il y a à côté. Nanterre s'est paupérisée .»

C'est pourquoi il propose la création d'une Agence nationale de rénovation urbaine privée liée à l'ANRU publique existante, tant pour sortir de cette « situation sous perfusion » que pour créer les conditions d'une attractivi­té nouvelle pour les classes moyennes. Autre piste soumise à Emmanuel Macron : l'ambition de transforme­r le Grand Paris en « une oasis métropolit­aine ». Concrèteme­nt, il s'agirait de renforcer la présence de la nature en ville. « Faire un énorme boulot sur l'agricultur­e urbaine, n'avoir que des toits végétalisé­s, développer les jardins partagés... »

___ PROFIL

1969 : diplômé de l'école d'architectu­re des Beaux-Arts 1983 : chargé de mission auprès du Premier ministre Pierre Mauroy pour Banlieue 89 1986 : délégué à la Rénovation des banlieues 2008-2016 : membre de l'Atelier internatio­nal du Grand Paris 2018 : chargé d'une mission de réflexion sur le Grand Paris et sur le nouveau modèle de métropole mondiale par le président de la République Emmanuel Macron

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