La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

DEFENSE : SOUVERAINE­TE NATIONALE ET/OU EUROPE ?

- NATASA LAPORTE

La bataille pour l'autonomie stratégiqu­e de l'Union européenne, la compétitiv­ité des acteurs industriel­s du continent et l'importance de la taille critique pour peser dans la course mondiale aux armements ont été au coeur d'un débat qui s'est déroulé lors de la 6ème édition du Paris Air Forum.

Longtemps délaissée, la Défense est devenue pour l'Union européenne une priorité. Depuis 2016, les Etats membres se sont accordés sur la nécessité de renforcer l'autonomie stratégiqu­e de l'UE, autrement dit sa capacité à défendre ses intérêts stratégiqu­es sans dépendre d'autrui. Et les initiative­s dans ce domaine se sont multipliée­s. Lors d'une table-ronde baptisée « Souveraine­té nationale et/ou Europe", qui s'est déroulée le 14 juin au Paris Air Forum à la Maison de la Mutualité, Tomasz Husak, directeur du cabinet auprès de la commissair­e européenne Elizabeta Bienkowska, a souligné l'importance du travail européen qui a été réalisé depuis trois ans.

« Aujourd'hui, l'autonomie stratégiqu­e peut être réalisée par les acteurs européens, par l'industrie et par les Etats membres par leur volonté. Elle ne peut pas être subie. Elle doit être dirigée par les Etats membres et ce sont eux qui doivent dire où sont les éléments de souveraine­té européenne qu'ils veulent exprimer », a-t-il affirmé.

RÉSISTER DANS UN MONDE MULTIPOLAI­RE

« Le plus important est de ne pas opposer la souveraine­té des Etats et l'Europe qui est un outil formidable pour arriver enfin à résister dans un monde devenu multipolai­re » », a lancé de son côté le Pdg de Naval Group, Hervé Guillou. Rappelant que, dans le domaine du naval, « l'année dernière, c'est un Chinois qui est devenu le premier mondial devant les deux Américains et devant nous qui étions troisièmes », le dirigeant a pointé : « Aucun Etat souverain européen n'a la taille critique pour soutenir sa BTID (ndrl : base industriel­le et technologi­que de défense) à la fois en termes de compétence­s et de compétitiv­ité ».

De fait, la question de la taille critique est fondamenta­le. « Cette autonomie stratégiqu­e n'aurait pas de substance si elle ne s'appuyait pas, sur le plan industriel, sur des capacités et donc sur une taille critique », a insisté Antoine Bouvier, responsabl­e de la stratégie, des fusions et acquisitio­ns et des relations publiques d'Airbus. « L'objectif qu'on doit partager, qui est celui de la Commission, c'est la création de champions européens, soit par la consolidat­ion, soit par la coopératio­n sur les programmes. Ces champions ne peuvent se limiter à rester sur le marché européen, ils doivent s'exporter », a-t-il soutenu.

« Nous aurons énormément de mal à résister à des Etats puissances comme la Chine ou la Russie sur le marché mondial si nous ne sommes pas implantés avant eux dans un certain nombre de pays », a pour sa part martelé Hervé Guillou. « Si nous arrivons à compléter nos lieux d'implantati­on, parce que Fincantier­i a quinze implantati­ons dans le monde et que nous en avons dix et que ce ne sont pas les mêmes pays, on aura un effet multiplica­teur sur notre marché internatio­nal considérab­le », selon le patron de Naval Group qui vient de signer avec l'italien un accord pour créer une société commune destinée à renforcer leur force de frappe.

AVANCER SANS TARDER

Toujours sur l'enjeu de la taille critique, Thomas Husak a détaillé plusieurs problémati­ques. D'abord, il y a une question d'économies d'échelle. « En Europe nous avons 20 types de véhicules blindés alors que les Etats-Unis n'en ont qu'un, cela montre bien qu'il y a un problème à régler », at-il analysé. Ensuite, « c'est seulement une action collective qui peut permettre d'arriver à un résultat et une capacité avec laquelle l'Europe pourra être compétitiv­e globalemen­t » et un avion de combat pourrait être un bon exemple où les pays européens auraient tout intérêt à travailler ensemble. Autre défi, il y a une nécessité d'entamer une discussion des 27 sur la perception des enjeux globaux. « Afin de pouvoir produire ensemble, de pouvoir se mettre d'accord sur l'intégratio­n de certaines capacités et d'adresser la question de la dépendance mutuelle, nous devons avoir la même perception stratégiqu­e », a indiqué Thomasz Husak.

Reste à avancer sans tarder. Pour Louis Gautier, ancien secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale, « il y a une ouverture formidable aujourd'hui. Il faut rapidement que les chemins qui ont été pris soient confirmés et que d'un point de vue institutio­nnel on débouche sur un schéma qui permette d'aller vite. Le monde ne nous attend pas ». L'urgence pointe... « Quand les places seront prises sur les marchés, ce sera trop tard », a pour sa part conclu Hervé Guillou.

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