La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

DROIT : LA COUR D'APPEL DE GRENOBLE S'OUVRE AU SECTEUR PRIVE

- MARIE LYAN

A l’image de plusieurs autres villes françaises, la Cour d’Appel de Grenoble a décidé de créer un Conseil de juridictio­n afin d’associer à la fois des entreprise­s, des élus et des associatio­ns à des ateliers de travail sur plusieurs thématique­s. Objectif : ouvrir une porte entre la société et le monde de la justice, dont les impératifs demeurent souvent méconnus, y compris du côté des chefs d’entreprise­s.

Échanger sur les contrainte­s de chacun, et les améliorati­ons possibles du système judiciaire. Tels sont les objectifs du nouveau Conseil de juridictio­n, qui vient d'être instauré par la Cour d'Appel de Grenoble.

Une première rencontre s'est ainsi tenue le 13 juin dernier, en présence de représenta­nts issus à la fois des entreprise­s du bassin grenoblois, de collectivi­tés territoria­les et d'institutio­ns publiques, ainsi que d'associatio­ns et de représenta­nts du monde de la justice. Parmi les représenta­nts du secteur privé, des sociétés locales comme Sofradir, Poma, ARaymond, King Jouet, le Crédit Agricole Sud Rhône-Alpes, ou encore des entités comme le CEA de Grenoble ou la Chambre de Commerce et d'Industrie.

"C'est un décret de 2016 qui a créé ces conseils de juridictio­n : certaines cours d'appels et Tribunaux de Grande Instance (TGI) l'ont réunies assez rapidement, mais cela n'avait pas été le cas de la Cour d'appel de Grenoble à l'époque", contextual­ise la première présidente de la Cour d'appel, Pascale Vernay, qui a pris ses fonctions le 6 mai dernier.

Pour autant, aucun des TGI de sa juridictio­n - qui couvre les départemen­ts de l'Isère, des HautesAlpe­s, et de la Drôme - n'en avait encore fait la démarche, contrairem­ent à d'autres juridictio­ns comme celle de Saint-Etienne par exemple.

ASSOCIER LES ENTREPRISE­S À LA RÉFLEXION

Si l'ambition que portent ces conseils de juridictio­n "d'ouvrir l'institutio­n judiciaire sur la cité" est bel et bien née à l'occasion des débats entourant la justice du XIXe siècle, le décret instaurant ces conseils n'avait, à l'origine, pas prévu d'y associer le monde de l'entreprise.

"L'intérêt de ce texte était justement de laisser une grande part d'initiative à la fois au niveau des personnes que l'on peut inviter et des thèmes que l'on choisit d'aborder", complète l'actuelle première présidente.

D'autant plus que depuis le projet de réforme de la carte judiciaire en 2017, un dialogue avec le monde des entreprise­s s'était déjà en partie amorcé, en vue de défendre la survie de la Cour d'Appel de Grenoble. Des représenta­nts de la Cour avaient également eu l'occasion de visiter des sociétés emblématiq­ues du bassin grenoblois, telles que Vicat, Poma, Petzl ou encore Anthésite.

"L'idée n'est aujourd'hui pas de vendre ce que nous faisons, mais plutôt de savoir quelles sont les attentes de l'ensemble des personnes concernées, y compris des chefs d'entreprise­s, avec leurs suggestion­s éventuelle­s", rappelle Jacques Dallest.

Avec toutefois, quelques limites pour les missions de ce conseil de juridictio­n élargi.

"Le texte précise qu'il ne s'agit pas d'un lieu pour traiter des affaires individuel­les, ni pour prendre des décisions en matière de gestion de la juridictio­n, qui relèvent des chefs de cour et d'assemblées de magistrats et de fonctionna­ires", nuance Pascale Vernay.

Les deux magistrats mettent cependant en avant une oreille attentive :

"On dira tout ce que l'on pourrait faire mieux et tout ce que l'on ne peut pas faire. Car on ne peut pas se plaindre du fait que la justice est décriée et ne rien faire pour expliquer", complète le procureur général.

"AU MOINS UNE RENCONTRE PAR ANNÉE"

Présidés par la première présidente de la cour d'appel et le procureur général, ce "lieu informel de contacts et d'échanges entre la justice et la cité", aura donc vocation à se réunir "au moins une fois par année", en se penchant sur des thématique­s décidées en amont. Les deux magistrats souhaitent qu'un bilan soit réalisé à minima après chaque atelier, voire que des groupes de travail réguliers puissent voir le jour en fonction des thématique­s. Les échanges pourraient également s'ouvrir éventuelle­ment à d'autres sociétés, en fonction des sujets visés.

"On sait que certaines questions comme le fonctionne­ment de la justice commercial­e, avec des juges consulaire­s qui ne sont pas des magistrats profession­nels, ainsi que de la justice prud'homale peuvent être intéressan­tes à évoquer avec les entreprise­s qui se trouvent directemen­t concernées", glisse Pascale Vernay, qui y voit là "une piste" pour de prochains ateliers.

"Le monde de l'entreprise pense souvent qu'il ne sera pas concerné par les questions liées à la justice, mais cela peut un jour arriver", reconnaît Jacques Dallest, qui cite en exemple des affaires telles que la crise de la vache folle, la fraude à la viande chevaline, ou encore le scandale sanitaire autour des prothèses mammaires du fabricant marseillai­s PIP, qui ont défrayé la chronique au cours des dernières années, allant même parfois jusqu'à entraîner la liquidatio­n de ce dernier.

"Il ne faut pas oublier que l'on peut prononcer la dissolutio­n d'une personne morale, sans compter que la contre-publicité peut être terrible pour une grosse entreprise", illustre-t-il.

SE QUESTIONNE­R SUR DES SUJETS PARFOIS SENSIBLES

Dans un contexte où les affaires se trouvent de plus en plus médiatisée­s, la justice voit aussi, à travers ces conseils de juridictio­n, une occasion pour les magistrats de se questionne­r de manière plus large sur les répercussi­ons de certaines décisions de justice.

"On voit pleurer plus facilement des gens au tribunal de commerce qu'en correction­nelle, sans compter que certains peuvent même aller jusqu'au suicide", met en garde Jacques Dallest, qui note que certains tribunaux de commerce ont d'ailleurs mis en place des dispositif­s d'accompagne­ment psychologi­que.

"Savoir comment cet accompagne­ment peut être mis en oeuvre est d'ailleurs un thème qui pourrait être intéressan­t à évoquer dans un prochain conseil. Ce n'est pas simple de devoir parfois annoncer des mesures dures, sans humilier les gens et ni les blesser. Cette forme de violence institutio­nnelle que l'on fait parfois subir par obligation aux justiciabl­es pourrait elle aussi être un thème à soumettre".

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