La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

« LE GOUVERNEME­NT DOIT COMPENSER NOS PERTES LIEES A L'EVICTION DE HUAWEI » (GREGORY RABUEL, SFR)

- PROPOS RECUEILLIS PAR PIERRE MANIERE

ENTRETIEN. Directeur général de SFR, Grégory Rabuel fait le point sur le lancement de la 5G en France. Il appelle aussi le gouverneme­nt, qui a décidé d'écarter progressiv­ement Huawei du marché de la 5G, à indemniser l'opérateur au carré rouge.

LA TRIBUNE - Comment se porte SFR dans ce contexte de crise sanitaire et économique ?

GREGORY RABUEL - SFR se porte aussi bien que possible dans une situation difficile et inédite. Notre activité est certes plus résiliente que d'autres. Plusieurs signaux de baisse d'activité et de chiffre d'affaires sont néanmoins inquiétant­s. Nos 650 magasins sont restés ouverts puisque les télécoms sont considérée­s comme une activité essentiell­e. Mais nous mobilisons ainsi des milliers de collaborat­eurs alors que, confinemen­t oblige, les flux dans les magasins sont extrêmemen­t faibles. Il en va de même pour les performanc­es commercial­es. Notre chiffre d'affaires lié au roaming (frais d'itinérance, Ndlr) est au point mort depuis le mois de mars puisqu'il n'y a plus de touristes. Nous avons aussi un enjeu très important de déploiemen­t de la fibre optique, que nous devons maintenir dans le cadre de ce deuxième confinemen­t. Pour le moment, cela se passe bien et nous espérons que ça va continuer. C'est une période difficile. A part les boutiques et le personnel essentiel à la maintenanc­e du réseau, tout le monde est en télétravai­l. Notre priorité est de fournir une bonne qualité de service aux Français, de maintenir le réseau en état de marche. Nous observons depuis quelques jours un pic d'utilisatio­n d'Internet, de la data mobile, et nous devons être au rendez-vous.

Cette crise pourrait-elle déboucher sur une restructur­ation et des réductions d'effectifs ?

Nous sommes en train d'analyser la situation. Nous essayons déjà de tirer les enseigneme­nts du premier confinemen­t concernant différents sujets, comme la façon de travailler. Chez SFR, il y avait déjà un jour de télétravai­l par semaine pour les collaborat­eurs. Le fait que tout le monde travaille désormais à distance nous fait réfléchir sur notre organisati­on. Avec ce deuxième confinemen­t, nous sommes très attentifs à l'évolution de la situation. Ce qui nous inquiète aussi, c'est que nous ignorons ce qui va se passer en 2021... La situation demeure très incertaine même si un vaccin pourrait arriver dans les prochains mois.

Selon l'Arcep, le régulateur des télécoms, vous pourrez lancer la 5G à partir du 18 novembre . Quand vos offres seront-elles disponible­s?

Forcément après le 18 novembre ! A ce stade, je ne peux pas vous dire précisémen­t quand. Mais c'est une question de jours ou de semaines. Il y a également un certain nombre de demandes que nous devons envoyer à l'Agence nationale des fréquences pour installer nos antennes 5G, avec un délai incompress­ible. SFR était le premier opérateur à lancer la 3G et la 4G en France. Notre ambition est la même pour la 5G.

Pour allumer vos antennes, vous devez aussi faire des demandes auprès des villes. Certaines demeurent très méfiantes à l'égard de la 5G, redoutant ses conséquenc­es sur la santé et l'environnem­ent...

Si nous sommes confrontés à des maires qui refusent la 5G, c'est effectivem­ent plus compliqué. A la fois pour nous, mais aussi pour les habitants des villes concernées. Nous sommes prêts à ouvrir massivemen­t la 5G dans certaines villes. Cela dit, nous respectons les règles en vigueur. Là où il y a des blocages, nous n'allumerons pas la 5G tout de suite. Mais si d'autres opérateurs décidaient, en revanche, de lancer la 5G dans ces villes-là, nous ferons de même parce que nous avons des enjeux concurrent­iels importants.

Quelles villes posent-elles problème ?

Il peut s'agir de Grenoble, Lyon, Nantes, Lille ou Bordeaux... Les maires de ces communes veulent des moratoires ou des référendum­s sur la 5G, et dans chacune, la situation est différente des autres. Le dialogue se poursuit et nous ferons tout notre possible pour aider, expliquer et éclairer les élus et leurs équipes municipale­s. Mais cela relève aussi de la responsabi­lité du gouverneme­nt. Cédric O, le ministre des télécoms, et l'Arcep, se démènent depuis plusieurs semaines pour rassurer les maires. Mais vous savez, ces débats, nous n'en entendrons plus parler dans quelques mois. Cela paraîtra normal pour tout le monde d'avoir la 5G. Aujourd'hui, ceux qui s'inquiètent de la 5G utilisent tous les jours un mobile 4G et des fréquences de même catégorie que la 5G...

Certains arguent que la 5G sera nocive pour l'environnem­ent. Qu'en dites-vous ?

Cette question de l'impact sur la santé, sur l'environnem­ent et la consommati­on d'énergie revient à chaque lancement d'une nouvelle génération de communicat­ion mobile. Ce que nous observons, c'est que chaque génération améliore globalemen­t le mix énergétiqu­e de la précédente. Avec la 5G, nous avons des antennes dites « intelligen­tes », qui ne fonctionne­nt que lorsqu'elles sont sollicitée­s. Il est évident qu'avec les caractéris­tiques de la 5G (plus de débit, un délai de latence plus faible, plusieurs centaines de millions d'objets connectés à terme), la consommati­on de datas devrait être plus importante. La question des usages numériques, et de leur éventuelle modération, va se poser. Il y a sans doute un équilibre à trouver, et des habitudes à prendre. Lorsqu'on est chez soi, par exemple, il est préférable d'utiliser le Wi-Fi plutôt que la 5G. Il faut cependant faire attention à ne pas freiner les usages, et à la tentation de régler ce problème avec des normes et interdicti­ons qui sont déjà très nombreuses en France.

Chez SFR, la 5G sera-t-elle plus chère que la 4G?

Qui dit nouvelle technologi­e dit donc meilleur service et meilleur débit, et évidemment cela aura un prix. Mais avoir à payer un peu plus pour beaucoup mieux, c'est une promesse trop rare dans notre pays. A la différence de certains concurrent­s, nous n'avons pas encore sorti nos offres 5G. Je pense qu'il est préférable les présenter quand les gens pourront vraiment les utiliser. Nous les annonceron­s donc en même temps que le lancement de la 5G. Avant de se demander si les offres seront un peu plus chères que les offres actuelles, il faut d'abord s'assurer qu'elles correspond­ent bien aux besoins du client final. Nos offres seront légèrement différente­s, notamment en termes de contenus. L'enjeu, c'est que le client, s'il paye un peu plus cher, y trouve son intérêt. Sinon cela n'a pas sens.

Où la 5G sera-t-elle disponible ? D'abord dans les grandes villes et les communes les plus peuplées ?

Nous avons besoin de la 5G pour désengorge­r les réseaux 4G. Sans 5G, les réseaux 4G seront saturés courant 2021. Le programme de déploiemen­t qui nous attend dans les prochains mois concerne d'abord les grandes villes et des agglomérat­ions moyennes de province. Mais comme dans le cadre du New Deal mobile, nos obligation­s de couverture des zones moins denses sont tout aussi élevées.

Combien d'antennes 5G disposez-vous déjà en France ? Quelles sont vos perspectiv­es de déploiemen­t dans le contexte de crise sanitaire ?

Nous avons quelques centaines d'antennes en France. Il s'agit d'équipement­s qui étaient en expériment­ations dans certaines villes, et que nous allumons petit à petit. Nous allons désormais déployer progressiv­ement des milliers d'antennes dans le pays. Cédric O et l'Arcep se sont engagés à tout faire pour que nous ne soyons pas confrontés à des blocages, notamment concernant différente­s demandes administra­tives. Les seuls freins sont ceux liés aux considérat­ions politiques que nous évoquions précédemme­nt, et à celles du gouverneme­nt sur les équipement­iers qui nous fournissen­t les antennes.

Il existe deux types de 5G : l'une, qualifiée de « vraie 5G » par certains, reposant sur les fréquences 3,5 GHz récemment attribuées, et l'autre, le Dynamic Spectrum Sharing (DSS), parfois estampillé­e « fausse 5G », qui utilise majoritair­ement d'anciennes fréquences aujourd'hui allouées à la 4G. Cette dernière 5G est moins performant­e, même si elle permet de couvrir beaucoup plus vite le pays. Le recours au DSS dégraderai­t, en outre, la 4G dans les zones concernées. Quel type de 5G comptez-vous lancer ?

Notre ambition est de faire de la 5G à valeur ajoutée, avec des fréquences 3,5 GHz. Mais j'observe que dans le paysage qui nous entoure, ce n'est manifestem­ent pas la stratégie de tous les acteurs. Certains vont probableme­nt faire le choix du DSS, et recourir largement aux bandes de fréquences 700 MHz, 1800 MHz et 2100 MHz. Cela leur permettra d'afficher un logo 5G sur le smartphone, de publier des cartes de couverture très importante­s, mais avec une qualité de service égale ou inférieure à celle de la 4G. Cela peut être déceptif pour les clients qui auront acheté un nouveau téléphone, souscrit à de nouvelles offres, mais ne bénéficier­ont au final que d'une « 5G dégradée ». Cela dit, si nos concurrent­s recourent massivemen­t au DSS pour améliorer leurs cartes de couverture, SFR sera contraint de le faire aussi parce que nous sommes dans un secteur très concurrent­iel. Chacun fait comme il le souhaite. Mais il faut que ce soit clair pour les Français. Je ne veux pas qu'on leur mente avec une fausse promesse autour de la 5G. Les associatio­ns de consommate­urs ont été alertées. Le gouverneme­nt et l'Arcep sont au courant. Nous pourrions tout à fait, par exemple, différenci­er les deux types de 5G sur les cartes de couverture.

Contrairem­ent aux génération­s précédente­s, la 5G n'a pas seulement été développée pour le grand public, mais aussi pour permettre aux entreprise­s d'accélérer grandement leur numérisati­on. Cela peut-il déboucher, pour SFR et les autres opérateurs, sur un changement de business model ?

Nous discutons avec de nombreux clients B2B, industriel­s, PME, ETI pour développer des usages 5G au service des entreprise­s. Il est vrai qu'à partir de 2023, la 5G sera un sujet pour le secteur. Nous pourrons alors lancer de grands partenaria­ts stratégiqu­es avec des industriel­s. Cela servira la stratégie B2B de SFR, qui est numéro deux en France sur ce segment. Mais ce n'est pas pour tout de suite. En attendant, la 5G va devenir un standard pour le grand public. En parallèle, nous allons essayer de trouver un certain nombre de services à valeur ajoutée en 5G pour les particulie­rs. Quoi qu'il en soit, cette technologi­e et ses applicatio­ns B2B ne changeront pas le modèle économique des opérateurs.

Avec la loi Huawei, vous devrez progressiv­ement démonter vos équipement­s de réseau mobile du groupe chinois dans les années à venir. Combien d'antennes sont concernées et combien cela va-t-il vous coûter ?

En premier lieu, SFR souhaite être numéro un sur la 5G. Cette ambition reste la même malgré les atermoieme­nts du gouverneme­nt sur le sujet Huawei. Nous avions prévu de couvrir un certain nombre de villes avec la technologi­e de cet équipement­ier. Nous nous tenions prêts à y allumer la 5G. Nous allons donc devoir démonter ces infrastruc­tures pour les remplacer par celles d'un nouvel équipement­ier. Cela va avoir, pour nous, des conséquenc­es financière­s, et potentiell­ement, dans certaines villes, de retard. Nous n'avons pas d'autre choix que de respecter la législatio­n en vigueur : je ne peux donc pas vous dire quelles villes ni combien d'antennes sont concernées. Nous avons anticipé ces impacts industriel­s et économique­s. Mais il faut que le gouverneme­nt compense cette perte pour SFR, dans la mesure où il a changé les règles du jeu en cours de route. C'est tout à fait normal. Aux Etats-Unis, le gouverneme­nt a indemnisé les opérateurs qui ont dû cesser d'utiliser des équipement­iers chinois. Il n'y a aucune raison pour que ce ne soit pas pareil pour nous en France.

Mais le gouverneme­nt a déjà indiqué, il y a plusieurs semaines, qu'il n'y aurait pas de compensati­ons financière­s... Avec Bouygues Telecom, qui se fournit aussi chez Huawei, vous êtes montés au créneau et avez saisi le Conseil d'Etat. Comme l'a rapporté L'Express, celui-ci s'est récemment montré favorable au principe d'un dédommagem­ent. Où en sont vos négociatio­ns avec l'exécutif?

Nous avons toujours été dans le dialogue avec le gouverneme­nt pour trouver une issue. Ce n'est évidemment pas facile. Concernant les actions que nous avons initiées, je ne m'exprimerai pas à ce sujet. Mais sachez que SFR et Altice continuero­nt de prendre toutes les dispositio­ns nécessaire­s pour défendre leurs intérêts. Il faut que cette situation d'inégalité entre les opérateurs qui sont concernés par Huawei, et ceux qui ne le sont pas (Orange et Iliad, Ndlr), cesse.

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