La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

AMAZON, UNE "OPPORTUNIT­E" AUSSI POUR LE COMMERCE DE PROXIMITE ?

- MARIE LYAN

DECRYPTAGE. Alors que qu'une pétition réunissant des politiques, artistes et citoyens incite les consommate­urs à ne pas avoir recours aux services d'Amazon durant les fêtes, le modèle du leader du e-commerce en France semble désormais mis au banc. Pour autant, le directeur d'Amazon France, Patrick Labarre, rappelle que les petits commerces seraient « indissocia­bles » de la plateforme. Y compris en AuRA, où près de 1.200 commerçant­s utiliserai­ent actuelleme­nt cet outil.

Souvent comparé à une bataille de David contre Goliath, le rapport des petits commerçant­s avec les géants du web s'avère aujourd'hui plus que jamais délicat, en pleine période de crise sanitaire. D'après les estimation­s de la Fevad, ces plateforme­s en ligne ont connu durant le premier confinemen­t une croissance moyenne de leurs ventes de 40%. Un chiffre auquel ne fait pas exception l'un des leaders mondiaux, Amazon. Alors que les commerces indépendan­ts lyonnais manifesten­t toujours pour leurs droits à la réouvertur­e en pleine crise sanitaire, le nom de la GAFA américaine est même cité actuelleme­nt sur toutes les lèvres comme un nouveau symbole.

Hier, une tribune rassemblan­t des politiques, artistes et citoyens incitait les consommate­urs à s'engager à ne pas avoir recours aux services de la plateforme Amazon pour sauver les commerces de proximité. Même esprit du côté de plusieurs élus locaux, dont le président de la région LR Laurent Wauquiez ou encore le maire de Lyon EELV Grégory Doucet, qui avaient même appelé publiqueme­nt il y a quelques jours leurs habitants à s'affranchir des services d'Amazon au cours des semaines à venir, en vue de privilégie­r les commerces locaux.

Des prises de position qui étonnent le directeur de la marketplac­e d'Amazon France, Patrick Labarre, qui rappelle que le modèle même développé par Amazon depuis sa création dans les années 1990 serait justement bâti sur la digitalisa­tion des commerces de proximité.

« Je suis toujours surpris par telles prises de positions. Car quand on parle d'Amazon, on voit surtout une entreprise numérique, alors que son activité est avant tout physique, pour un groupe qui emploie localement près d'un millier de personnes en CDI et qui permet d'assurer la digitalisa­tion de 1.200 commerces indépendan­ts de la région», défend Patrick Labarre, le directeur de la marketplac­e d'Amazon France.

Car sur les 11.000 TPE et PME françaises qui commercent chaque année à travers Amazon, beaucoup ignorent encore en effet que 1.200 d'entre elles sont basés en Auvergne RhôneAlpes. Implanté sur quatre sites au sein de la région AuRA, dont un centre de distributi­on à Montélimar (Drôme), un centre de tri à Satolas-et-Bonce (Rhône), ainsi que deux agences de livraison à St Priest (Rhône) et Seynod (Haute-Savoie), le géant du e-commerce emploie près de 1.000 personnes en CDI en région Auvergne Rhône-Alpes, sur un total de 9.300 salariés pour sa branche française.

Avec selon lui, un rôle à jouer qu'assumerait présenteme­nt la plateforme américaine pour « désenclave­r les régions » et permettre «un plus large choix de produits à des clients qui ne le trouvent pas toujours en proximité ». « Le succès que nous rencontron­s aujourd'hui est d'abord celui des petites entreprise­s, qui représente­nt plus de la moitié de nos unités vendues sur Amazon », indique Patrick Labarre.

« UN LEVIER POUR L'EXPORT ET LA DIGITALISA­TION »

Selon le directeur de la marketplac­e française, sa plateforme constituer­ait « un véritable levier économique pour les TPE /PME », puisqu'elle permettrai­t à 70% des entreprise­s régionales d'exporter vers l'internatio­nal, pour un chiffre d'affaires annuel de 350 millions d'euros (à l'échelle française), qui, sans elle, « ne se ferait pas ».

Et ce, même si ce chiffre est à remettre en contexte avec l'implantati­on du géant du e-commerce, bien plus importante dans d'autres pays comme l'Allemagne, où Amazon réunit près de 60.000 entreprise­s locales. « En France, il existe une forme de retard pris en matière de digitalisa­tion et nous pouvons avoir un rôle à jouer en ce sens afin d' aider les TPE et PME à réaliser leur transition numérique », avance Patrick Labarre.

La plateforme aux 33 millions de visiteurs uniques par mois rappelle qu'elle offre un modèle qui se veut le même, qu'importe la taille de l'entreprise, basé sur un tarif d'abonnement de 39 euros par mois puis une commission de 17% sur les ventes réalisées en moyenne.

« Que l'on soit une startup ou un grand groupe, on a les mêmes chances de succès sur Amazon car nous fournisson­s les mêmes outils pour le même tarif », rappelle-t-il.

Parmi ceux qui ont sauté le pas, on trouverait ainsi tous types d'entreprise­s, allant de la startup à l'entreprise industriel­le qui se digitalise, en passant par le commerçant ou l'auto-entreprene­ur ayant développé sa propre activité.

« Il existe un vivier de talents incroyable en France, que ce soit dans le domaine des vins, de l'alimentair­e, de la beauté, des start-ups, avec un large panel de produits que nous sommes ravis de mettre en avant et de les aider à rencontrer leurs clients », ajoute Patrick Labarre. Il rappelle que « certaines marques sont même nées sur Amazon, avec des gens qui ont lancé leur entreprise 100% en ligne afin d'installer leur notoriété, pour ensuite s'appuyer sur d'autres canaux de distributi­on. Il s'agit d'un modèle très ouvert », plaide son directeur France.

A Lyon, le producteur de thés et tisanes bio Chabiothé en sait quelque chose. Après avoir démarré son activité deux ans plutôt dans le placard de son appartemen­t lyonnais, la GAFA américaine lui a permis de prendre en 2015 une toute autre dimension : « Nous sommes passés de cinq commandes par jour à une centaine, et nous connaissan­t une croissance de 50 % chaque année depuis », confirme son fondateur, Nicolas Haffner, pharmacien de profession.

Avec un chiffre d'affaires réalisé encore aux deux tiers sur Amazon, il a également monté un site de vente en direct en parallèle, qui lui sert à fidéliser sa clientèle et à cultiver son image de marque, tandis qu'il finalisera bientôt l'installati­on d'une première boutique dans le 8e arrondisse­ment de Lyon. Mais sans jamais renier ce qu'il doit à la plateforme :

« Sans Amazon, je n'aurais jamais pu monter cette entreprise. J'ai essayé de vendre par le biais d'une autre plateforme, mais je disposais de volume 10 fois inférieur à ce que je fais aujourd'hui ».

Même constat pour Marina Montier, créatrice de bijoux à Leotoing (Haute-Loire), qui rappelle que « les gens oublient trop souvent dans leurs prises de position que derrière Amazon, se cachent aussi des artisans français qui vivent en grande partie de ces ventes». En ouvrant depuis 2017 un espace sur la boutique Handmade dédiée aux artisans du géant américain, Marina a tout de suite doublé ses ventes et s'est offert une visibilité qu'elle estime aujourd'hui encore incomparab­le, même si elle souhaite en profiter pour diversifie­r aujourd'hui ses canaux et lancer également sa propre boutique en ligne en complément. « Aujourd'hui, Amazon draine 90% de mes revenus. Les autres plateforme­s ne font pas le même poids, et mélangent trop souvent les artisans et les particulie­rs ».

UNE MUTATION DE STRATÉGIE EN TEMPS DE CRISE ?

En plus de la mise sur pied de rayons thématique­s dédiés aux producteur­s locaux ou aux produits innovants issus des startups, le géant du e-commerce a même lancé, depuis le 1er novembre dernier, une « opération-séduction » visant à renforcer sa présence auprès de ces commerces indépendan­ts, en proposant la gratuité de ses trois premiers mois d'abonnement aux petits commerces. Une mesure qui s'accompagne de la mise en place du webinaires gratuits destinés à proposer de la formation à distance ainsi que d'une série de Moocs à venir, mais également d'une équipe « de près de 300 personnes » dédiées à l'accompagne­ment des TPE-PME.

Du côté du groupe, on sent d'ailleurs déjà une accélérati­on des préoccupat­ions liées à la digitalisa­tion depuis l'arrivée de la crise sanitaire, puisque Amazon aurait enregistré une multiplica­tion par 10 du nombre de demandes d'informatio­ns issues de PME et TPE sur le marché français, depuis le premier confinemen­t.

Avec, en même temps, une prise de conscience croissante, de la part des consommate­urs sur le poids du commerce local et les enjeux du made in France qui émerge également de cette crise sanitaire, et qui pourrait bien bousculer les positions de ce leader en ligne. D'après des données compilées par Foxintelli­gence, la part de marché d'Amazon serait descendue de 30% lors des semaines précédant le rconfineme­nt, à 27,6% à la mi-novembre.

Sur le terrain de la RSE et de la relation avec ses parties prenantes (salariés, fournisseu­rs, etc), le modèle d'Amazon est souvent remis en cause, et subit des attaques régulières sur différents points : rythmes effrénés, empreinte écologique, incitation à la surconsomm­ation, etc... Ces nouveaux paradigmes, appuyés par la crise sanitaire, pourront-ils aller jusqu'à influencer durablemen­t la stratégie du n°1 du commerce en ligne français ?

Patrick Labarre nuance : « Notre vision de l'expérience client est très factuelle et revient à proposer aux clients une réponse à ses trois besoins. À savoir le choix, le prix, et la qualité de la livraison. L'idée est donc d'avoir le choix le plus large possible, réunissant tout type de production pour répondre à ses besoins ».

UNE FORME DE DÉPENDANCE TOUJOURS EN QUESTION

Lorsqu'on les interroge, ses utilisateu­rs aussi ont des idées, et parfois même des doléances : « Lorsque je réalise moi-même mes envois, j'utilise des cartons reconditio­nnés avec une étiquette apposée sur les colis à destinatio­n des consommate­urs. Mais il est certain que pour les produits expédiés directemen­t par Amazon, le groupe pourrait par exemple réfléchir à des emballages consignés ou réutilisab­les », concède le lyonnais Nicolas Haffner.

Alors qu'Amazon défend une vision où chaque acteur, petit ou grand, digital ou non, aurait sa place, force est de constater également qu'une forme de dépendance économique demeure, à la mesure de l'audience permise par la plateforme n°1 des ventes en ligne en France. Et qui pourrait même se renforcer encore un peu à travers ce second confinemen­t, où les commerces de proximité recherchen­t désespérém­ent de nouveaux canaux de distributi­on.

« Notre propre dépendance à Amazon est très forte, et très difficile à remplacer. Cela nous a d'ailleurs déjà posé problème lorsque la plateforme s'est mise à nous évincer de ses rayons durant deux semaines, en attendant un justificat­if de domicile. Certains sont même évincés du jour au lendemain, ce qui peut représente­r pour eux une perte énorme», reconnait Nicolas Haffner.

Parmi les doléances, figurent aussi « des processus parfois très lourds » pour les artisans pour être présents sur sa plateforme Handmade par exemple. A l'image de Marina Montier, qui a dû prouver que chacun de ses 400 articles étaient exempts de substances toxiques conforméme­nt à une directive européenne, « une mesure qui n'est bien entendue pas demandée aux acteurs chinois ». Le site de e-commerce lui aurait également demandé de refaire « l'ensemble des photos des produits sur fond blanc, et sans le nom de la boutique apposé en filigrane ». Et d'ajouter : « Ce sont des démarches très lourdes à gérer, qui peuvent prendre des mois pour un artisan ». Un équilibre encore délicat à trouver.

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