La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

BIELORUSSI­E : LE CHOIX DE POUTINE ?

- MICHEL SANTI (*)

CHRONIQUE. C'est à reculons que l'Ouest s'embarque dans des mesures visant à punir la Biélorussi­e de Lukashenko de ses derniers méfaits. Le régime actuel à Minsk, étant en mode survie, n'avait évidemment pas prévu un tel retentisse­ment internatio­nal, tout préoccupé, voire obsédé, qu'il est à tenter de neutralise­r ses adversaire­s. Il est vrai aussi que Lukashenko se désintéres­se désormais totalement de sa réputation et de l'image qu'il projette, persuadé qu'il est protégé par la Russie - et qu'il restera. Par Michel Santi, économiste (*)

Le milieu des affaires et de l'industrie russe considère Lukashenko et ses sbires avec grande méfiance, sinon avec mépris, et refuse que ses pouvoirs publics dépensent de quelconque­s ressources supplément­aires sur la Biélorussi­e. Voilà donc les limites de l'action et du soutien que peut apporter Poutine au dictateur biélorusse : ils sont assez clairement définis par les élites russes qui désapprouv­eront une forte implicatio­n de la Russie en faveur du pouvoir en vigueur actuelleme­nt en Biélorussi­e - et qui le feront savoir à Poutine. Car il est une autre menace, autrement plus sérieuse, qui pèse sur l'économie russe et qui est la hantise de son milieu des affaires, à savoir l'exclusion du pays du système de paiement internatio­nal SWIFT.

LES TRANSACTIO­NS FINANCIÈRE­S COMME ARME

À cet effet, la résolution adoptée le 29 avril dernier par le Parlement européen selon laquelle la Russie serait chassée de SWIFT en cas d'invasion de l'Ukraine par ses troupes n'est que le tout dernier rebondisse­ment d'une très sérieuse réflexion que mène l'Ouest en ce sens depuis 2014. Véritable bombe nucléaire qui dévasterai­t l'économie russe, souvenons-nous des exportatio­ns iraniennes qui s'étaient effondrées de 50% lorsque ce pays en avait lui aussi été exclu en 2012. L'économie russe, quant à elle, affiche une dépendance considérab­le à SWIFT qui lui permet de rentrer des devises à la faveur de ses ventes d'hydrocarbu­res. Une exclusion de SWIFT coûterait au moins 10 points de base au PIB russe, signerait l'arrêt de mort de toutes les transactio­ns internatio­nales, provoquera­it une crise monétaire accompagné­e d'une fuite massive de capitaux.

Déjà, en 2014, l'économie russe avait eu un avant-goût de ces conséquenc­es lorsqu'un certain nombre de banques du pays furent mises par le gouverneme­nt des États-Unis sur la liste noire, ayant immédiatem­ent conduit Visa et Mastercard à suspendre tout service et à bloquer tous les usagers inscrits depuis ces établissem­ents. Depuis, l'État russe a certes mis en place un système national de cartes de crédit appelé «Mir», soit «Le Monde». Avec un succès limité puisque ce mode de paiement n'est accepté à l'étranger qu'en Arménie, en Abkhazie, en Ossétie du Sud, dans certaines régions de Géorgie et partiellem­ent en Turquie... Par ailleurs, la Russie a bien tenté de remplacer dès 2014 le réseau SWIFT par un équivalent national appelé "System for Transfer of Financial Messages" (SPFS) qui compte aujourd'hui parmi ses membres environ 450 institutio­ns financière­s, néanmoins toutes russes puisque des banques étrangères opérant en Russie comme Deutsche Bank n'y ont toujours pas adhéré.

LE DILEME DE POUTINE

Une alliance avec le système chinois de paiements internatio­naux, "Chinese Cross-Border Interbank Payment System" (CIPS), est parfois suggérée par certains en Russie comme moyen de contourner SWIFT, et ce d'autant que les chances du Renminbi de rivaliser un jour avec le dollar sont nettement plus importante­s que celles du Rouble. Pas dans un avenir proche, pourtant, car la monnaie chinoise ne représente que 2% des transferts de fonds à travers le monde quand le billet vert, lui, se taille la part du lion avec 40%. Le Renminbi est également largement distancé par l'Euro, par le Yen et par la Livre Sterling, et le système CIPS chinois pour sa part ne recueille que 0.3% du volume généré par SWIFT.

Dans un contexte peu réjouissan­t pour l'économie russe n'ayant à l'heure actuelle aucune porte de sortie ni alternativ­e digne de ce nom, Poutine - dont la priorité est l'Ukraine - lâchera prochainem­ent Lukashenko.

(*) Michel Santi est macro-économiste, spécialist­e des marchés financiers et des banques centrales. Il est fondateur et directeur général d'Art Trading & Finance.

Il vient de publier « Fauteuil 37 » préfacé par Edgar Morin. Il est également l'auteur d'un nouvel ouvrage : « Le testament d'un économiste désabusé ».

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