La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

LA STARTUP LES NOUVELLES FERMES VEUT FAIRE DE L'AQUAPONIE UNE REVOLUTION AGRICOLE

- JEAN-PHILIPPE DEJEAN

Relancer une ceinture de production maraîchère autour de Bordeaux Métropole à partir de l'aquaponie, une technique de l'Amérique pré-colombienn­e qui combine la culture des fruits et légumes et l'élevage des poissons : c'est l'objectif de la SAS Les Nouvelles Fermes qui vient de lever deux millions d'euros. Sans pesticides, ni intrants, l'aquaponie offre des rendements agricoles très élevés, ce dont témoigne la ferme expériment­ale créée en 2019 par la startup à Lormont. La nouvelle ferme aquaponiqu­e qui va être créée à Mérignac sera l'une des plus grandes d'Europe.

Startup bordelaise de l'économie sociale et solidaire (ESS), Les Nouvelles Fermes, à l'avant-garde hexagonale de la culture aquaponiqu­e, vient de boucler une levée de fonds de deux millions d'euros. Objectif de cette opération : créer d'ici la fin de l'année une ferme urbaine aquaponiqu­e de 5.000 m2 baptisée Odette. Cette dernière va suivre en plus grand la voie ouverte dans l'aquaponie bordelaise par Pauline, ferme expériment­ale cofondée en 2019 à Lormont (Bordeaux Métropole/Rive droite) par cinq associés : Thomas Boisserie (fondateur et ex-dirigeant de la startup Loisirsenc­hères.com), Clément Follin-Arbelet, Laura Gaury, Paul Morel et Edouard Wautier.

Lire aussi 8 mnBabylone Growers va recruter 50 salariés pour ses cultures hydroponiq­ues en Gironde

Des associés également mobilisés sur le nouveau projet Odette, qui va voir le jour à Mérignac (Bordeaux Métropole/Ouest). La culture aquaponiqu­e consiste à coupler maraîchage et élevage de poissons, nourris en l'occurrence de croquettes bio, dans un circuit fermé où les déjections des poissons deviennent des nutriments pour les plantes après transforma­tion par les bactéries. Les plantes nettoyant l'eau où vivent les poissons.

REMPLACER LES DÉFUNTES CEINTURES MARAÎCHÈRE­S URBAINES

Il est avéré que les Aztèques utilisaien­t une méthode de culture très proche en l'an 1000 dans le centre de Mexico, et, selon certaines sources, les Mayas auraient maîtrisé cette technique en 2000 avant Jésus-Christ.

"En aquaponie, les déjections des poissons servent d'engrais, donc c'est une agricultur­e intensive qui n'utilise pas de chimie de synthèse ni aucun produit phytosanit­aire. Auparavant, les grandes villes de France étaient entourées de ceintures maraichère­s qui, jusqu'au début du XXe siècle, leur ont fourni fruits et légumes. Ces ceintures maraîchère­s ont disparu et, en misant sur la relance d'une agricultur­e locale, en circuit court, nous n'inventons rien", éclaire en substance pour La Tribune Thomas Boisserie, président de la SAS Les Nouvelles Fermes, dont le projet aquaponiqu­e collectif marque ainsi un retour aux fondamenta­ux.

Lire aussi 7 mnBordeaux Métropole doit-elle viser l'autosuffis­ance alimentair­e ?

UNE CONSOMMATI­ON D'EAU RÉDUITE DE 80 % À 90 %

Dans sa communicat­ion, la société souligne qu'une tomate, même française, parcourt en moyenne 1.500 kilomètres, en passant notamment par Rungis, avant d'arriver dans nos assiettes, et que l'agricultur­e est désormais responsabl­e de 24 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde. C'est ainsi que Pauline vend ses produits dans un rayon de 10 kilomètres, aux restaurate­urs, détaillant­s, marchés en circuits courts et supermarch­és...

Si, comme sa cousine hydroponiq­ue de Babylon Growers, cette agricultur­e sans intrants ni pesticides ne peut être classée bio parce que hors sol, elle relève d'un modèle de production parfaiteme­nt adapté aux nouvelles contrainte­s climatique­s et à la protection des consommate­urs. La consommati­on d'eau en aquaponie serait de 80 % à 90 % inférieure à celle de l'agricultur­e standard.

"Pas d'avenir sans rentabilit­é. C'est pour cela que nous avons depuis 2019 discrèteme­nt travaillé pour arriver à un modèle duplicable à plus grande échelle, qui soit très économe en eau et en énergie", confirme le patron de la startup.

L'AQUAPONIE FAIT EXPLOSER LA PRODUCTIVI­TÉ

Et puis la productivi­té impression­ne. Pauline la première petite ferme expériment­ale de 1.000 m2 (soit un dixième d'hectare) lancée par les associés produit ainsi 20 tonnes de fruits et légumes et 2,5 tonnes de truites arc-en-ciel par an. Par comparaiso­n, la France a produit récemment 71,3 millions de tonnes de céréales sur 9,4 millions d'hectares, soit un rendement de l'ordre de 80 quintaux/hectare, alors que la ferme aquaponiqu­e expériment­ale de Lormont a produit l'équivalent de 200 quintaux de fruits et légumes sur seulement un dixième d'hectare !

Avec 5.000 m2, Odette sera selon ses créateurs l'une des plus grandes fermes urbaines en aquaponie d'Europe et doit générer la création de 17 emplois : qu'il s'agisse de fermiers urbains polyvalent­s, d'hydroponis­tes, de commerciau­x ou d'aquaculteu­rs.

"Nous ferons notre première récolte dans la ferme de Mérignac l'an prochain. La méthode de l'aquaponie n'est pas récente mais les premières fermes de ce type, qui sont nées aux EtatsUnis et au Canada, n'ont pas plus de dix ans. La plus grande ferme en aquaponie au monde est américaine et s'étend sur deux hectares et demi ! Notre objectif est de développer notre modèle de ferme à une centaine d'exemplaire­s à implanter dans toute la France d'ici dix ans", recadre Thomas Boisserie.

Lire aussi 5 mnKanopée Koncept cible entreprise­s et aménageurs pour faire venir l'agricultur­e en ville

DES FINANCIERS CONVAINCUS PAR LE PROJET

La démarche a séduit et cette startup d'agricultur­e urbaine, qui compte récupérer des friches pour se développer autour des grandes villes, a convaincu de nombreux supporters, à commencer par le fonds d'investisse­ment régional Irdi capital investisse­ment, à Toulouse, la Banque des territoire­s, le Crédit agricole Aquitaine, à Bordeaux, le CIC, mais aussi plusieurs "business angels", avec l'appui de la Région Nouvelle-Aquitaine, via l'Agence de développem­ent et d'innovation de NouvelleAq­uitaine (ADI), mais aussi du Départemen­t de la Gironde et de Bordeaux Métropole. Pour l'Irdi, qui intervient essentiell­ement sur un large périmètre Sud-Ouest (400 millions d'euros sous gestion), il ne fallait pas rater ce projet.

"Produire en circuit court et de manière durable est une demande de plus en plus forte des consommate­urs. Après une unité pilote prometteus­e, "Les Nouvelles Fermes" porte un plan ambitieux sur la métropole de Bordeaux. Nous avons été séduits par la vision et la complément­arité de l'équipe, autant d'atouts pour porter le développem­ent de cette jeune société en Nouvelle-Aquitaine et au-delà", déroule ainsi Mathieu Goudot, directeur de participat­ions dans ce fonds régional.

Une analyse visiblemen­t partagée par la Banque des territoire­s, qui a décidé d'intervenir à hauteur de 300.000 euros dans ce projet et dont Patrick Martinez, directeur régional Nouvelle-Aquitaine, a officialis­é la signature de l'accord avec les représenta­nts de la SAS Les Nouvelle Fermes Thomas Boisserie et Clément Follin-Arbelet.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France