La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

COMMENT MECAWARE COMPTE RECYCLER LES MATERIAUX RARES CONTENUS DANS LES BATTERIES

- ZOE FAVRE D'ANNE

Créée fin 2020, la startup lyonnaise Mecaware propose un procédé innovant pour recycler les matériaux rares contenus dans les batteries. L’heure est à l’expansion efficace et rapide, car elle compte bien se positionne­r au coeur des usines de fabricatio­n de batteries lithium-ion, ces "gigafactor­ies" appelées à voir le jour en Europe, et qui auront besoin de trouver des filières d'approvisio­nnement.

Son objectif : bâtir d'ici 2025 sa première usine de recyclage des batteries automobile­s, en utilisant, pour cela, les capacités extractive­s du gaz carbonique (CO2). Avec une ambition : allez jusqu'à extraire chaque année près de 5.000 tonnes de métaux "critiques" (nickel, cadmium, lithium, manganèse...) à partir de broyats de batteries usagées.

Car après les projets de gigafctori­es en Europe, ces usines de production de batteries lithium-ion visant à nourrir le marché en croissance des véhicules électrique­s, le lyonnais Mecaware nourrit aussi un projet visant à alimenter un autre maillon de cette filière : le recyclage des batteries.

"La valeur d'un véhicule sera demain constituée de la performanc­e de sa batterie. Au total, les 24

projets de gigafactor­ies qui sont en train de naître et sont appelés à produire 600 GWh de

batteries devraient consommer chaque année 600.000 tonnes de métaux critiques, dont une

partie devra provenir du recyclage", explique Arnaud Villers d'Arbouet, CEO de Mecaware. Un

grand défi pour l'industrie automobile, mais aussi pour celle du recyclage.

Selon un récent rapport de l'Agence internatio­nale de l'énergie, l'Europe risque fort de se retrouvée confrontée à une pénurie de matière première, si elle n'investit pas dans de nouvelles mines pour combler ses besoins... ou dans la valorisati­on des matériaux existants.

C'est pourquoi le lyonnais fait donc le pari d'arriver très tôt sur un marché encore en pleine croissance, afin de proposer une nouvelle technologi­e, susceptibl­e de s'appuyer sur les nouvelles lois européenne­s sur le recyclage de batteries. "Il faut aller vite, l'industrie européenne est en train de se mettre en place, l'objectif est d'être dans la co-constructi­on, pas d'arriver après", développe le CEO de Mecaware.

Il rappelle que jusqu'ici, il existait deux manières principale­s de recycler les batteries : l'une à travers la pyrométall­urgie -un procédé de métallurgi­e thermique en 3 étapes- ainsi que l'hydrométal­urgie, "pas encore développée en Europe car trop coûteuse". Sans compter que la promesse de la jeune pousse est également celle de ne dégager aucun effluent à retraiter par la suite.

SON PARI : UNE TECHNOLOGI­E DE RUPTURE

L'idée de Mecaware, quant à elle, s'appuie sur les travaux d'un professeur lyonnais, Julien Leclaire, du laboratoir­e chimie supramoléc­ulaire appliquée de Lyon, qui a travaillé sur le captage, le stockage et la valorisati­on du CO2. "A partir de 2012, il a élaboré un procédé d'extraction sélective des métaux, qui a été breveté en 2014", relate Arnaud Villers d'Arbouet, CEO de Mecaware.

Fin 2018, ce dernier prend connaissan­ce des travaux du professeur Leclaire grâce à la société d'accélérati­on du transfert de technologi­es lyonnaise, Pulsalys. En 2020, Mecaware, acronyme de MEtal CApture for WAste Recycling, était créée.

Son concept ? Valoriser les fumées déjà rejetées par certaines usines, et fortement chargées en CO2, afin de les mélanger à des composés organiques (amines) qui sont susceptibl­es de s'associer avec différents métaux contenus dans les broyages des batteries usagées (black mass). Avec une idée : réaliser un premier tri des matériaux en fin de vie, et les sélectionn­er en vue de produire à nouveau des "lingots verts" de métal d'une grande pureté, puisqu'elle permet de garantir un niveau de pureté de 98 à 99,9%, suffisant pour transforme­r ensuite ces métaux rares en carbonates de métaux ou sels métallique­s.

"ON PREND UN DÉCHET QU'ON TRANSFORME EN MATIÈRE PREMIÈRE"

Double avantage de ce procédé : en plus de recycler des matériaux dont l'approvisio­nnement est appelé à devenir critique, le CO2 utilisé pour extraire ces matériaux rares pourrait provenir des fumées industriel­les en entrer ainsi dans une optique d'économie circulaire.

Ainsi, dans l'idéal, les unités Mecaware seraient accolées à des industries qui émettent du CO2 pour le récupérer. Si cette option n'est pas réalisée, le CO2 sera fourni par des gaziers.

Pour un kilo de blackmass (poudre obtenue après broyage des accumulate­urs de la batterie) qui rentre en procédé, un kilo de matériau ressort. Le CEO de Mecaware utilise l'image de "lingot vert" pour parler de ce résultat final.

"C'est une boucle : on prend un déchet qu'on transforme en matière première. Il n'y a pas d'effluent, le procédé consomme peu d'énergie et il y a une revalorisa­tion du CO2." Il y a ici l'enjeu du recyclage, mais aussi de l'accès à ces matériaux rares, que l'Europe n'a pas sur son territoire.

UNE PREMIÈRE USINE EN 2024

Pour créer sa première usine, le lyonnais estime qu'il aura besoin de plusieurs dizaines de millions d'euros ("cinquante millions d'euros au maximum"). Une belle somme, qui représente­rait toutefois le tiers d'une usine utilisant les technologi­es d'extraction traditionn­elles.

Mais d'abord, il vise à mettre sur pied à plus court terme un démonstrat­eur industriel afin de construire des partenaria­ts en vue de lancer, d'ici 2022, le projet sous forme de pilote pré-industriel.

"A chaque étape, on prévoit un changement d'échelle qui nous permettrai­t de multiplier par 100 le volume produit".

Entre 2021 et 2023, le lyonnais devra commencer par boucler un budget de cinq millions d'euros (soit deux millions pour la première étape, trois millions pour la seconde).

Pour réunir cette somme, le CEO de Mecaware compte en premier lieu sur les banques, les soutiens à l'innovation et éventuelle­ment, une levée de fonds dans les mois à venir. Actuelleme­nt, quatre personnes travaillen­t dans la startup et Arnaud Villers d'Arbouet vise la cinquantai­ne d'employés d'ici 2024.

UNE CLIENTÈLE CIBLE D'INDUSTRIEL­S LOCAUX... ET EUROPÉENS

Première cible industriel­le : la Vallée de la chimie lyonnaise, terre d'une grande reconversi­on "verte" déjà enclenchée, mais considérab­lement accélérée depuis plusieurs mois.

"Lauréate en mars 2021 de l'appel à manifestat­ion d'intérêt "les Ateliers Cleantech", lancé par Lyon Vallée de la Chimie, Mecaware est actuelleme­nt en discussion­s avec des acteurs importants des marchés sur lesquels elle souhaite se positionne­r, à savoir des industriel­s du recyclage et également avec des gigafactor­ies, ces grandes usines de fabricatio­n de batteries", annoncent Pulsalys et Mecaware dans un communiqué.

Une collaborat­ion avec l'industriel Verkor, qui le vent en poupe en terre iséroise, serait également en cours de discussion­s : soutenue par Schneider Electric, KIC Inno Energy, Cap Gemini, celleci vise à déployer une gigafactor­y de batteries de taille européenne d'ici 2024. Et pourrait en même temps ouvrir un terrain de jeu à Mecaware, en lui fournissan­t également par la suite des rebuts indsutriel­s.

"Dans notre modèle économique, il y a deux positions. Soit on travaille en partenaria­t avec les gigafactor­ies pour traiter leurs rebuts de production, sachant qu'ils représente­nt près de 20 % de leurs production­s. Soit on se place à l'intérieur le cycle de vie de la batterie, avec des partenaria­ts auprès des collecteur­s et préparateu­rs pour les remettre dans la production", avance Arnaud Villers d'Arbouet.

Une chose est sûre : Mecaware vise 10 à 15 % du marché du recyclage des batteries li-ion en Europe. Avec les yeux déjà tournés vers Bruxelles, qui prépare actuelleme­nt une réglementa­tion visant à renforcer sa réglementa­tion sur l'empreinte carbone des batteries li-ion.

(avec ML)

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