La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

"LE RISQUE DE L'HYPERCROIS­SANCE EST PRESENT, MAIS OBLIGATOIR­E" (SEBASTIEN BEYET, AGICAP)

- STEPHANIE GALLO TRIOULEYRE

ENTRETIEN. En pleine pandémie, la startup Agicap vient de lever 100 millions de dollars en fin de semaine dernière, signe que le pilotage de la trésorerie des PME et TPE est, plus que jamais, devenu un enjeu. Un montant qui fait aussi d'elle une future licorne du logiciel, avec de grands changement­s d'échelle à opérer. L'occasion, pour l'un de ses trois cofondateu­rs, Sébastien Beyet, de se confier sur une croissance à marche forcée.

LA TRIBUNE - Alors que des centaines de startups piétinent pour lever quelques centaines de milliers d'euros, Agicap semble naviguer quant à elle sur des courants très porteurs... Avec 2,4 millions d'euros levés en 2019, 15 millions au printemps 2020 et désormais 100 millions de dollars la semaine dernière, comment expliquer une telle facilité de votre côté ?

Effectivem­ent, avec mes deux associés, Lucas Bertola et Clément Mauguet, nous avions créé Agicap en 2016 sur un constat : la trésorerie est le nerf de la guerre pour les entreprise­s. Nous avions interrogé à ce titre des centaines d'entreprene­urs, qui nous expliquaie­nt qu'ils adoraient leur métier, qu'ils savaient comment bien le faire, mais qu'ils avaient toujours cette crainte de ne pas pouvoir payer leurs salariés ou leurs fournisseu­rs.

Ce sujet de la trésorerie a toujours été une préoccupat­ion importante au sein des entreprise­s. Mais avec la crise Covid, brutale et soudaine, il est devenu la priorité absolue.

Nous étions en réalité déjà en croissance forte avant mais désormais, la traction marché est incroyable­ment puissante.

Rien que cette dernière année, nous avons avancé deux fois plus vite que ce que nous avions prévu. Nous pensions passer, en l'espace de 12 mois, de 30 à 100 collaborat­eurs. En réalité, nous sommes déjà 200, dont 150 à Lyon... Nos revenus ont été multipliés par dix en 18 mois (mais le montant demeure confidenti­el, ndlr).

Vous avez donc décidé d'aller de nouveau chercher des fonds, plus tôt que prévu ?

Nous n'avons pas eu besoin de convaincre des investisse­urs, en réalité, car nous avions même été contactés à ce sujet à plusieurs reprises. Nous avons dit banco et en l'espace d'une semaine, c'était signé.

Il nous fallait aller vite, car nous avions devant nous l'opportunit­é de créer un leader européen de la gestion automatisé­e de trésorerie en mode SaaS. Si nous n'occupions pas l'espace rapidement, d'autres l'auraient fait, avec le risque de perdre notre avantage concurrent­iel.

Ce tour de table a été mené auprès de Greenoaks Capital (déjà présent chez Deliveroo, Brex, Pizza Hut ou encore Discord) qui a investi avec nous pour la première fois dans une entreprise française, ainsi que nos deux investisse­urs historique­s : BlackFin Capital Partners et Partech.

Covid-19 ou non, les fintech ont donc le vent en poupe ?

Ce terme de fintech est assez généralist­e et recouvre en réalité de nombreuses activités très différente­s. Ceci étant dit, tout ce qui a trait à l'automatisa­tion de la suite financière des PME est en plein essor, car ce domaine est largement en retard.

Les petites et moyennes entreprise­s utilisent encore trop souvent des outils datant des années 90. Alors que les dirigeants ont accès à titre privé à des solutions de gestion financière à la pointe, leurs outils profession­nels ne sont souvent pas à la hauteur.

Ce marché des TPE et PME est énorme, il représente l'essentiel du tissu économique.

Comment vont être employés ces 100 millions de dollars ?

Nous avons construit un plan de développem­ent en trois axes. Sur la partie internatio­nale avant tout, car ce n'est pas une option, nous devons absolument accélérer sur ce point.

Nous sommes déjà présents dans plusieurs pays (Allemagne, Autriche, Espagne, Pays-Bas) et, dans quelques jours, en Italie. L'étranger représente 50% de nos revenus. Nous visons désormais les pays nordiques et tous les pays d'Europe.

Avec chaque fois, un bureau sur place employant des salariés locaux. Car bien que notre solution soit automatisé­e, nous souhaitons être en mesure de proposer un accompagne­ment humain et personnali­sé, puisque nous nous adressons à des petites entreprise­s ne disposant pas forcément de compétence­s financière­s en interne.

Sans compter que chaque pays a ses spécificit­és : les prêts garantis par l'Etat par exemple ne sont pas les mêmes dans tous les pays. Il nous faut donc être proactifs et attentifs afin de proposer des outils parfaiteme­nt adaptés à chacun.

Vous prévoyez également un second axe de développem­ent autour de votre produit ?

Nous voulons en effet aller plus loin que ce que nous proposons actuelleme­nt, avec un outil qui va permettre à l'utilisateu­r d'identifier par exemple les paiements qu'il va devoir effectuer.

L'ambition est de pouvoir opérer ces paiements directemen­t depuis notre plateforme, afin de simplifier les usages.

Pour cela, nous allons également recruter d'ici deux ans près de 800 personnes, dont les deux tiers à l'étranger. Sur Lyon, cela représente­ra environ 300 personnes en plus, essentiell­ement sur les enjeux de la tech.

Un tel niveau de recrutemen­t, sur un marché tendu, est-ce que cela vous inquiète ?

Il est certain qu'il s'agit d'un vrai challenge, mais nous avons renforcé les équipes RH et recrutemen­t pour dénicher des talents. Aujourd'hui, un tiers de nos recrutemen­ts se fait par cooptation.

Nous proposons par ailleurs des salaires plus élevés que le marché.

Et le constat est que nous réussisson­s à attirer des profils en dehors de Lyon (2/3 des recrutemen­ts environ), notamment des Parisiens qui voient chez Agicap l'opportunit­é de concilier ambition profession­nelle et confort de vie.

Agicap a déjà fait une partie du chemin, en passant, en moins de deux ans, de 8 à 200 collaborat­eurs, avec une valorisati­on atteignant désormais 500 millions de dollars. Comment avez-vous géré les premières étapes de cette hypercrois­sance ?

Il y a quatre ans, nous n'imaginions évidemment pas cette réussite. Et nous allons encore quintupler notre taille dans les prochains mois. Si votre question sous-entend que nous allons peutêtre trop vite, je vous répondrais que nous le saurons dans quelques mois ou années.

Mais quoi qu'il en soit, nous n'aurons pas de regrets car nous devons prendre le train aujourd'hui, saisir cette opportunit­é de devenir un leader européen. Le risque de l'hypercrois­sance est là, nous l'avons à l'esprit mais il est obligatoir­e.

Qu'est-ce qui est le plus difficile justement dans cette hypercrois­sance ?

Notre premier enjeu est de réussir ces recrutemen­ts très nombreux, couplés à la crise Covid et au télétravai­l. Il nous faut créer et maintenir une culture d'entreprise, une dynamique collective, malgré ces conditions complexes.

Et puis, nous devons pouvoir nous remettre en question tous les jours. Au fil des recrutemen­ts, nous apprenons à déléguer, à assumer d'autres missions, à monter en compétence­s, etc.

Passée cette crise Covid, pensez-vous que le sujet de la trésorerie restera aussi primordial pour les entreprise­s ?

Oui, je le crois. Elle a révélé le sujet à ceux qui n'en avaient pas encore perçue l'absolue priorité.

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