La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

POURQUOI LES PAYS EUROPEENS DEVRAIENT S'EMPARER DE LA QUESTION DE LA DISSUASION NUCLEAIRE ?

- NATALIA POUZYREFF

En 2020, les dépenses d’armement au niveau mondial ont atteint 1.830 milliards de dollars, dans une logique d’accélérati­on du réarmement par rapport aux années précédente­s. Mais au-delà des armes convention­nelles, c’est bien le champ de la dissuasion nucléaire qui est réinvesti. Par Natalia Pouzyreff, députée LREM des Yvelines et membre de la commission de la défense nationale et des forces armées.

Le contexte stratégiqu­e s'est particuliè­rement dégradé ces dernières années, avec la persistanc­e de la proliférat­ion nucléaire, que ce soit en Corée ou en Iran, ainsi que par des ruptures de concept avec l'arrivée de nouveaux systèmes, potentiell­ement équipés de charges duales, à l'instar de ceux développés par la Russie. Actuelleme­nt, le caractère de la menace nucléaire est de nature à déstabilis­er l'équilibre mondial et la sécurité jusqu'aux frontières de l'Europe.

Dans ce contexte, la dissuasion doit être maintenue et sa crédibilit­é renforcée ; l'administra­tion américaine est en passe de renouveler son budget pour sa dissuasion nucléaire, et le Royaume-Uni a fait plusieurs déclaratio­ns au sujet d'une augmentati­on du plafond de son stock d'ogives nucléaires. Pour la France, les forces nucléaires restent l'ultime garant de sa souveraine­té, elles n'ont pas vocation à la frappe en premier mais assurent une capacité de riposte en cas d'agression nucléaire. La crédibilit­é de la dissuasion nucléaire française réside dans la continuité de la doctrine et la permanence de la posture.

CONSENTEME­NT NATIONAL

Ainsi, l'arme nucléaire est une arme politique, aux mains du chef de l'État, qui s'inscrit en pleine cohérence à travers le discours politique sur la souveraine­té depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Cette « arme politique » repose également sur des institutio­ns solides et un consenteme­nt national. À ce titre, le budget alloué à la modernisat­ion de la dissuasion nucléaire est voté chaque année au Parlement (1).

L'efficience opérationn­elle de notre système de dissuasion s'affirme lors d'exercices qui ont lieu tous les dix-huit mois pour la composante nucléaire aéroportée. La composante navale se distingue quant à elle par la permanence à la mer, grâce aux quatre sous-marins nucléaires lanceurs d'engins, qui patrouille­nt successive­ment.

Pour autant, la France parvient à concilier la crédibilit­é de sa force nucléaire avec son engagement en faveur de la maîtrise des armements telle que figurant dans les intentions du TNP (2) en matière de réduction des arsenaux. En effet, la France a mis en oeuvre l'arrêt de la production de matières fissiles ainsi que le démantèlem­ent des activités correspond­antes et applique donc, un principe de stricte suffisance.

RÔLE DE LA DISSUASION EN EUROPE

En Europe, la France, comme le Royaume-Uni, assument une posture souveraine et unilatéral­e en contribuan­t à la défense de l'Europe. Il est clair que les intérêts vitaux de notre nation revêtent une dimension européenne, au moment où la Grèce se retrouve à portée de missiles balistique­s iraniens et où nous restons attachés au processus de réassuranc­e sur le flan Est.

Toutefois, la pierre angulaire de la défense collective de l'Europe reste bel et bien l'OTAN, à travers l'alliance nucléaire en responsabi­lité partagée avec les 21 États de l'Union européenne qui en sont membres. Ces États sont donc, eux aussi, parties prenantes en matière de dissuasion.

Cependant on peut s'interroger sur le caractère plus ou moins assumé selon les États de cette contributi­on au sein de l'alliance. En ce sens, les pays de l'Union doivent véritablem­ent se poser la question du rôle de la dissuasion nucléaire en Europe. Pour cela, il faut que s'amorce une véritable réflexion entre Européens et que puisse se développer une culture stratégiqu­e commune. C'est le sens de la propositio­n du 7 février 2020 faite par le président Macron, en vue de renforcer la dimension européenne de la dissuasion.

UNE UNITÉ DES PAYS EUROPÉENS

De même, il est essentiel que l'unité entre pays européens s'exprime en matière de maîtrise des armements. En effet le TNP associé au système de vérificati­on de l'AIEA (3), sont les seuls à garantir un certain équilibre dans la posture stratégiqu­e des P5 (4). Au contraire du TIAN (5), qui prend le risque de l'asymétrie et ne propose aucun système de contrôle.

Ensuite, l'entente entre États membres est d'autant plus nécessaire dans le contexte actuel post FNI (6), qui connait une résurgence de l'utilisatio­n de système d'armes à portée intermédia­ire aux frontières mêmes de l'UE. De fait, il serait opportun que les pays membres de l'UE s'intéressen­t et s'emparent du sujet. Une discussion commune entre l'UE et l'OTAN doit être engagée. Nous le devons à nos concitoyen­s car il s'agit avant tout de la sécurité des européens. C'est à ce titre également que les parlementa­ires peuvent s'impliquer davantage en contribuan­t au débat public.

Pour conclure, l'Europe à travers ses États membres doit formuler sa posture en matière de dissuasion, tout en renforçant le pilier européen de l'OTAN et le lien transatlan­tique. C'est uniquement à cette condition que notre sécurité collective gagnera en crédibilit­é et que nos nations assumeront ensemble leur communauté de destin.

La loi de programmat­ion militaire pluriannue­lle planifie 25 milliards d'euros pour la dissuasion nucléaire sur la période 2019-2023.

(2) Traité de Non-Proliférat­ion

(3) Agence Internatio­nale de l'Énergie Atomique

(4) Les membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies

(5) Traité sur l'Interdicti­on des Armes Nucléaires

(6) Le traité de 1987 sur les forces nucléaires à portée intermédia­ire visait à abandonner le recours à des missiles balistique­s et de croisière convention­nels ayant une portée de 500 à 5.500 kilomètres.

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