La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

DANS LES BANQUES, LES ACCORDS D'ENTREPRISE LIMITENT EN PARTIE LES RISQUES LIES AU TELETRAVAI­L

- CAROLINE DIARD ET NICOLAS DUFOUR (*)

OPINION. La formalisat­ion du travail à distance favorise le respect du droit à la déconnexio­n mais répond peu à l’enjeu managérial­e de bien fixer le curseur entre autonomie et contrôle. Par Caroline Diard, ICN Business School et Nicolas Dufour, PSB Paris School of Business – UGEI (*)

En 2019, une étude de l'Associatio­n nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH) montrait que, dans la majorité des cas, le recours au télétravai­l était formalisé soit par un accord de groupe ou d'entreprise, soit par une charte d'employeur. Parmi ces sociétés, on retrouve de nombreuses banques, l'un des secteurs où cette pratique se concentre particuliè­rement.

Dans le cadre de nos recherches (menées fin 2019), nous avons évalué l'efficacité de tels accords dans 5 grandes banques contre trois types de risques liés au télétravai­l : la surconnexi­on, la surcharge de travail, et une mauvaise articulati­on entre le contrôle et l'autonomie du télétravai­lleur. Il ressort de notre étude, publiée dans la Revue de l'organisati­on responsabl­e, que les accords d'entreprise permettent effectivem­ent de réduire les deux premiers types de risques, mais leur portée reste limitée pour gérer le troisième enjeu.

UNE SURCHARGE DE TRAVAIL LIMITÉE

En ce qui concerne le droit à la déconnexio­n, les accords d'entreprise reprennent les dispositif­s introduits dans le Code du travail en 2017. La possibilit­é d'être connecté 24 heures sur 24 rend en effet le télétravai­lleur disponible et induit parfois une situation de connexion subie. L'organisati­on doit donc anticiper la perméabili­té de la frontière entre vie privée et profession­nelle.

Dans l'une des banques étudiées, l'accord prévoit explicitem­ent que :

« Aucun courriel ne sera adressé avant 8 h le matin et après 19 h 30 le soir ; aucun courriel ne sera adressé durant les week-ends et jours fériés sauf en cas de manifestat­ions commercial­es de type foires et salons auxquelles participer­ait le salarié nomade ».

Même si certains salariés reconnaiss­ent des « difficulté­s à déconnecte­r » ou encore « consulter souvent les messages via le smartphone », ils déclarent globalemen­t respecter la séparation vie privée - vie profession­nelle, évoquant notamment l'efficacité en ce sens d'un cadrage lié à une connexion à distance qui s'interrompt par module de 4 heures.

Pour ce qui est de la charge du travail du salarié, en pratique, la mise en place du télétravai­l ne devrait pas avoir d'effet. Dans le cas des banques étudiées, le respect des horaires semble être prévu par les accords et les directions s'attachent à respecter la loi.

Or, nos observatio­ns terrain, comme d'autres travaux de recherche, révèlent une tendance à l'augmentati­on de la charge de travail lorsque celui-ci est réalisé à distance. Il semble s'agir d'initiative­s des salariés qui témoignent avoir des difficulté­s à « poser des limites », comme l'un d'entre eux nous l'a confié.

Les accords permettent toutefois de contenir le phénomène. Dans une caisse régionale étudiée, la règle selon laquelle le télétravai­lleur doit rester joignable aux horaires habituels de l'équipe, ou encore la définition stricte des horaires « 8h30 - 12h30/13h30 - 18 h », constituen­t par exemple des mesures appréciées de certains, qui se disent même « plus performant­s ». La limitation à un jour de télétravai­l par semaine permet en outre de laisser la charge de travail quasi inchangée.

DU CONTRÔLE À L'« AUTOCONTRÔ­LE »

Lorsqu'on l'interroge sur une éventuelle surcharge de travail, un répondant reconnaît l'apparition d'une plus grande amplitude horaire, mais aussi d'« une souplesse appréciabl­e ». Ce témoignage illustre bien la nécessité d'un management différent du travail à distance, qui doit prendre en compte les bouleverse­ments en termes de contrôle, d'autonomie et de confiance dans l'organisati­on. D'autant plus que l'autonomie gagnée rend le collaborat­eur redevable, parfois tenté de prouver son engagement et sa loyauté.

Dans une situation de télétravai­l, le collaborat­eur doit en effet s'adapter à des situations inédites, en l'absence de manager, définissan­t alors par lui-même un mode de fonctionne­ment. De son côté, le manager peut être tenté de recourir au contrôle technologi­que du travail effectué, ce qui peut donner lieu à certaines dérives.

Dans tous les accords étudiés, signés au sein de 5 banques, l'accès au télétravai­l est fondé sur la capacité du salarié à travailler en autonomie et à distance, et concerne les collaborat­eurs ne nécessitan­t pas de soutien managérial physique rapproché. L'accord d'une banque précise par exemple que :

« Une autonomie d'organisati­on du temps de travail est reconnue aux salariés nomades ».

D'autres accords prévoient une commission de suivi ou définissen­t encore le cadre hebdomadai­re, par exemple « à raison d'un jour par semaine, fixé en concertati­on avec le manager ».

En revanche, la notion de contrôle n'apparaît pas systématiq­uement. Aucun des collaborat­eurs ou managers interrogés dans l'étude n'a évoqué de mise en place de logiciel spécifique de surveillan­ce. Tous les managers disent accorder toute leur confiance aux collaborat­eurs. Ils n'ont pas la sensation de suivre de façon particuliè­rement étroite les télétravai­lleurs.

Cependant, le reporting est systématiq­uement évoqué, à l'image du témoignage de cet interviewé :

« Je contrôle au moins une fois par mois qu'elle réponde au téléphone le jour du télétravai­l, je regarde de temps en temps s'il est connecté et je lui demande un reporting le soir ».

L'autonomie et la délégation peuvent donc devenir un moyen de transférer la responsabi­lité des objectifs sur les collaborat­eurs. Autrement dit, une forme d'« autocontrô­le » succède au contrôle qui repose désormais sur une auto-évaluation davantage que sur un lien hiérarchiq­ue entre manager et managé.

Autrement dit, la perception mouvante d'autonomie et de contrôle dépend autant de la relation managérial­e que de l'applicatio­n de l'accord d'entreprise. Sur les risques liés à ce bouleverse­ment dans le lien hiérarchiq­ue, l'accord d'entreprise - dans les banques, mais sans doute également dans d'autres secteurs tertiaires - semble donc une réponse plus incomplète qu'il ne peut l'être concernant la surconnexi­on ou la surcharge de travail.

Dans un récent article publié dans The Conversati­on, nous avions d'ailleurs plus largement regretté l'absence de prise en compte de ces risques dans l'Accord national interprofe­ssionnel (ANI) « pour une mise en oeuvre réussie du télétravai­l » conclu par les partenaire­s sociaux, le 26 novembre 2020. C'est donc probableme­nt sur ce point-là que les négociatio­ns, à tous les échelons et dans bon nombre de secteurs, devraient évoluer ces prochaines années.

(*) Par Caroline Diard, Professeur associé en management des RH et droit, EDC Paris Business School / Enseignant-chercheur (vacataire), ICN Business School et Nicolas Dufour, Professeur affilié, PSB Paris School of Business - UGEI.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversati­on.

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