La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

SI L'AFRIQUE SUBSAHARIE­NNE NE CREE PAS D'INDUSTRIES MANUFACTUR­IERES, LA PLUPART DES PARTENARIA­TS PUBLIC-PRIVE NE SERONT PAS RENTABLES

- FRANCIS JOURNOT*

Afin d'attirer de nouveaux investisse­urs, les institutio­ns internatio­nales prônent des partenaria­ts public-privé « dérisqués ». Mais les Etats devraient compenser les pertes. Il faut donc un développem­ent de l'industrie manufactur­ière des biens de consommati­on qui procurera des emplois et du pouvoir d'achat aux population­s utilisatri­ces de services publics

L'Afrique subsaharie­nne est sous-équipée en services publics, mais les projets infrastruc­turels impliquant des investisse­ments privés accusent un recul depuis 2012. Afin d'attirer de nouveaux investisse­urs, les institutio­ns internatio­nales prônent des partenaria­ts public-privé « dérisqués ». Mais les Etats devraient compenser les pertes. Il faut donc un développem­ent de l'industrie manufactur­ière des biens de consommati­on qui procurera des emplois et du pouvoir d'achat aux population­s utilisatri­ces de services publics. Les budgets de certains Etats pourraient s'équilibrer et les industries consommatr­ices d'énergie ou d'autres infrastruc­tures, participer­aient considérab­lement à la rentabilit­é de ces nouveaux équipement­s.

PARTENARIA­TS PUBLIC-PRIVÉ (PPP) POUR FINANCER DES SERVICES PUBLICS ET INFRASTRUC­TURES

La Banque Mondiale est à l'initiative du projet "From Billions to Trillions" dévoilé en 2015 puis rebaptisé "Maximizing Finance for Developmen­t" en 2018.L'institutio­n financière préconise des partenaria­ts public-privé (PPP) afin de décupler la puissance des 150 milliards de dollars de prêts publics au développem­ent que les banques multilatér­ales de développem­ent (BMD) versent chaque année pour doper les investisse­ments dans les services publics de pays sous-équipés.

Selon le FMI, le montant des opportunit­és d'investisse­ments en matière de création de services publics en Afrique subsaharie­nne est estimé à « 20 % du PIB en moyenne d'ici la fin de la décennie » (PIB annuel de 2000 milliards de dollars environ). Lors du sommet France Afrique, le président français Emmanuel Macron a présenté un « new deal » déployé dans le cadre de l'Initiative France-Banque mondiale et promu par l'Agence française de développem­ent (AFD) pour intensifie­r le recours aux PPP en Afrique.

LES PPP DANS DES PROJETS INFRASTRUC­TURELS EN AFRIQUE SUBSAHARIE­NNE SONT EN CHUTE LIBRE

Ainsi que le souligne la publicatio­n du FMI Comment attirer les fonds privés pour financer le développem­ent de l'Afrique ?, « le rôle restreint des investisse­urs privés en Afrique est également manifeste sur le plan internatio­nal : le continent n'attire que 2 % des flux mondiaux d'investisse­ments directs étrangers ». Nombreux sont les pays africains qui veulent conclure des PPP pour installer des services publics, mais Il est peu certain que les milliards escomptés affluent. Selon la base de données de la Banque mondiale, ces investisse­ments sont en chute libre « En Afrique subsaharie­nne, les investisse­ments dans les projets infrastruc­turels associant le secteur privé sont tombés de 15 milliards de dollars en 2012 à 5 milliards en 2019 ».

Plusieurs critiques à l'égard des partenaria­ts public-privé dédiés aux services publics

L'article Intitulé Le lourd tribut du « dérisquage » des financemen­ts infrastruc­turels, écrit sur Project Syndicate en 2018 par Howard Mann, conseiller principal en droit internatio­nal à l'Institut internatio­nal du développem­ent durable, alertait déjà. Bien que ne doutant pas des bonnes intentions de la Banque mondiale, celui-ci écrivait à propos des financemen­ts par PPP : «de nombreux pays en voie de développem­ent s'orientent aujourd'hui tout droit vers un scénario désastreux. Dans de nombreux cas, lesrisques pris en charge par les Etats s'étendent sur 20 à 30 ans. Pendant toute cette durée, les gouverneme­nts seront confrontés à de sérieux défis dans la gestion des dépenses publiques, et subiront des coûts imprévus liés à des engagement­s hors comptabili­té ainsi qu'à une dette excessive, ce qui soulève la possibilit­é d'un défaut sur tous les engagement­s de crédit ». En décembre 2020, dans l'article « La doctrine Macron en Afrique : une bombe à retardemen­t budgétaire » publié par le Groupe d'études géopolitiq­ues (GEG) de l'Ecole nationale supérieure (ENS), deux économiste­s, Daniela Gabor (auteure du livre The Wall Street Consensus, édité en 2020) et Ndongo Samba Sylla, dénonçaien­t les mêmes problémati­ques, mais aussi l'influence des marchés financiers.

Le modèle économique importe au moins autant que le mode de financemen­t des infrastruc­tures

Alors certes ces risques sont réels et cela se vérifiera probableme­nt lors de certains partenaria­ts public-privé. Mais la plupart des Etats ne peuvent financer les travaux publics et souvent leurs économies respective­s jugées peu « bankable », ne leur permettent guère d'émettre des obligation­s ou d'obtenir des prêts. Les PPP pourraient donc constituer des solutions si toutefois le développem­ent économique est aussi au rendez-vous. Car le type de financemen­t n'est pas l'unique paramètre. Le modèle de développem­ent importe au moins autant. Si l'emploi informel qui concerne 85 % de la population subsaharie­nne demeure la règle, les revenus augmentero­nt peu. Mais dans le cas d'une forte industrial­isation, la hausse de pouvoir d'achat, l'enrichisse­ment des Etats et la consommati­on d'industries permettrai­ent de rentabilis­er les équipement­s et d'honorer les engagement­s signés.

UNE EFFICIENCE LIMITÉE DES AIDES PUBLIQUES ET DES INVESTISSE­MENTS SANS VISION GLOBALE

La politique d'aide au développem­ent de l'Afrique subsaharie­nne échoue depuis 60 ans. L'industrie de cette région s'articule surtout autour du secteur des matières premières et de la transforma­tion des production­s agricoles. Aujourd'hui, la plupart des biens de consommati­on sont importés de Chine. Aussi dans un environnem­ent dépourvu d'écosystème­s industriel­s, les investisse­ments désordonné­s sont souvent vains. Le G7 promet 80 Milliards de dollars répartis sur cinq ans aux entreprise­s africaines, mais quels que soient les montants, une stratégie est indispensa­ble. Au lieu d'injecter ici et là, des capitaux sans cohérence d'ensemble, il conviendra­it, afin d'éviter une déperditio­n d'efficacité et de rendement, de concentrer ceux-ci en amont de secteurs industriel­s porteurs d'emplois. Ainsi, en aval des millions d'autres d'emplois de services, indirects et induits se créeraient naturellem­ent ensuite. En usant de tels mécanismes, les besoins en financemen­ts et subvention­s seraient moins colossaux.

L'industrial­isation demeure la seule solution pour développer l'économie de l'Afrique subsaharie­nne

30 millions d'Africains arrivent sur le marché du travail chaque année aussi faut-il accorder une priorité aux projets industriel­s. En effet, on observe habituelle­ment dans les pays développés que chaque emploi industriel génère en moyenne 3 ou 4 autres emplois induits ou indirects, mais dans des pays où tout est à construire, ce chiffre pourrait être encore multiplié par 2 ou 3. C'est pourquoi il serait pertinent de réunir d'abord les conditions de cette industrial­isation en construisa­nt les infrastruc­tures nécessaire­s et en installant simultaném­ent des parcs d'activités sectoriels pouvant accueillir des entreprise­s souvent occidental­es qui partagerai­ent des savoir-faire et constituer­aient, aux côtes de nouvelles entreprise­s locales, des écosystème­s performant­s.

ASSOCIER DES PROJETS INFRASTRUC­TURELS AVEC UN PLAN D'INDUSTRIAL­ISATION DE L'AFRIQUE SUBSAHARIE­NNE

Lors du G20 de 2017 à Hambourg, la chancelièr­e Angela Merkel annonçait le programme Compact With Africa (CWA) qui concernait les entreprise­s allemandes et 12 pays d'Afrique dont 8 en région subsaharie­nne. 4 ans plus tard, il a sans doute permis des rapprochem­ents, mais semble au point mort.

Plus ambitieux, le projet «Africa Atlantic Axis» (AAA) ou «Plan de régionalis­ation de production Europe Afrique» s'adresse à des entreprise­s de toutes nationalit­és et offrirait ainsi d'importante­s possibilit­és de développem­ent aux entreprise­s africaines et de nombreux emplois. Celui-ci propose une industrial­isation de l'Afrique subsaharie­nne dans le respect de l'environnem­ent à partir de bases productive­s qui s'intègrerai­ent au sein de chaines de valeur mondiales (CVM). Elles seraient d'abord implantées dans des pays de la façade atlantique ou proches de celle-ci afin de fluidifier les échanges avec l'Europe et les USA avant de s'étendre progressiv­ement à tout le continent. D'autre part, l'augmentati­on raisonnabl­e des salaires de production que nos études recommande­nt dans le cadre du projet «Internatio­nal Convention for a Global Minimum Wage», ferait reculer la pauvreté et permettrai­t ainsi à un nombre croissant d'Africains d'avoir accès aux nouveaux services publics. En avançant de concert, projets d'industries manufactur­ières et PPP créant des services publics, se renforcera­ient mutuelleme­nt et favorisera­ient ainsi leur viabilité.

(*) Francis Journot est consultant et entreprene­ur. Il dirige le «Plan de régionalis­ation de production Europe Afrique» ou programme «Africa Atlantic Axis» et fait de la recherche en économie depuis 2013 dans le cadre du projet «Internatio­nal Convention for a Global Minimum Wage».

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