La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

L’inclusion en entreprise, un chantier en progrès

- Patrick Cappelli

Le Sommet de l’Inclusion Économique organisé par la Fondation Mozaik a rassemblé le 29 novembre à Bercy sept ministres, des décideurs et des jeunes. Objectif : persuader les entreprise­s de mieux lutter contre les discrimina­tions de toute nature sur le lieu de travail.

Un salarié sur deux redoute d’être un jour discriminé dans son entreprise. Un résultat préoccupan­t tiré d’une étude d’Occurrence réalisée pour l’associatio­n Diversiday­s. Une autre étude réalisée par Qapa (Adecco) à l’occasion de la Journée mondiale de l’égalité des chances montre que 57% des Français sont convaincus que l’égalité dans l’emploi n’existe pas du tout, et 72% mettent en premier la discrimina­tion raciale ou ethnique, avant même celle du sexe (66%). Comment faire pour que l’entreprise devienne un lieu d’inclusion plutôt que de discrimina­tion ? C’est pour répondre à cette question à la fois profession­nelle et sociétale que Saïd Hammouche a fondé en 2007 Mozaik RH, un cabinet de recrutemen­t spécialisé dans la diversité et l’inclusion devenue entreprise à mission. « J’habitais en Seine-Saint-Denis, j’avais zéro réseau, pas d’argent et j’étais fonctionna­ire dans l’éducation nationale. Pas vraiment le profil type de l’entreprene­ur », évoque l’ancien judoka, pour qui il était important de couper court aux clichés entendus dans la bouche de patrons et de recruteurs comme « il n’y a pas de gens suffisamme­nt compétents dans les quartiers » , ou, pire, « ce sont des jeunes qui n’ont pas envie de travailler » . Quinze ans plus tard, il accueille ministres, grands patrons et personnali­tés lors du premier Sommet de l’Inclusion Économique organisé par la Fondation Mozaik.

Des planètes alignées

Le moment est propice et les planètes alignées pour mettre l’inclusion au sommet de la pile : l’impact des mouvements Black Lives Matter et Me Too au sein d’une jeunesse très sensible aux questions d’égalité, un taux de chômage historique­ment bas qui pousse les recruteurs à élargir le spectre des profils recherchés et une élection présidenti­elle qui se profile dans un climat politique très tendu. « La société française est pleine de doute, de crainte, de désarroi. Notre responsabi­lité collective est

de rassembler et de se situer du côté du « pour » plutôt que du « contre » .

Par exemple, pour l’inclusion de ceux qui sont mis à l’écart,

« de ceux qui n’ont pas les mêmes chances éducatives ou économique­s », a rappelé Bruno le Maire, qui s’est réjouit au passage de la bonne santé de l’économie et d’une situation de plein emploi.

Mais le ministre est lucide sur l’existence de blocages dus à l’origine, la couleur de peau, le nom ou l’éducation. Sa collègue en charge de l’emploi, Elisabeth Borne, a reconnu que les progrès sont trop lents, tout en rappelant les efforts de l’État pour y remédier :

« Nous avons créé les emplois francs (aide à l’embauche pour les employeurs qui recrutent des demandeurs d’emploi issus de 194 quartiers prioritair­es en CDI ou pour un CDD d’au moins 6 mois), soit 60.000 habitants des QPV (quartiers prioritair­es de la ville) embauchés. Et aussi notre plan « 1 jeune, 1 solution » (lancé à l’été 2020 avec un budget de 9 milliards d’euros), car un pays ne peut pas laisser une partie de sa jeunesse hors de l’inclusion économique. C’est une menace pour notre pacte républicai­n » .

Pour Olivia Grégoire, secrétaire d’État chargée de l’Économie sociale, solidaire et responsabl­e, « le premier des combats, c’est celui de la capacité de tous les acteurs économique­s à changer de regard sur la diversité » , par exemple grâce à la plateforme Impact.gouv.fr de collecte de données pour sensibilis­er les entreprise­s à la performanc­e environnem­entale, sociale et de bonne gouvernanc­e (ESG) initiée par son ministère.

Ce qui ne se mesure pas n’existe pas

Les entreprise­s présentes à ce sommet ont elles égrené leurs actions en faveur de l’inclusion. Emmanuel Deschamps, président de Boulanger France, en est persuadé : « un des premiers vecteurs d’intégratio­n et d’inclusivit­é économique, c’est l’entreprise. Elle a une responsabi­lité et doit jouer le jeu » . Mentorat, formation des managers, indexation des bonus en fonction des résultats : les actions sont variées.

Chez Orange France, la CEO Fabienne Dulac a expliqué qu’il faut travailler autant le biais collectif qu’individuel : « nous avons développé le mentorat avec 8.000 bénévoles dont 600 ont accompagné 1.000 jeunes en 2021, avec pour objectif de doubler ce chiffre. Nous devons aussi former nos cadres à la diversité ». Elle souhaite créer une génération « nativement inclusive » sur le modèle des « digital natives » .

Adidas est une marque appréciée de la jeunesse des quartiers. Mathieu Sidokpohou, le Pdg Europe du Sud, est venu à Bercy rencontrer ces jeunes vêtu d’un hoodie et de sneakers pour dédramatis­er le biais vestimenta­ire. Chez Adidas, 95% des recrutemen­ts se font sans CV. Il a aussi soulevé le problème de la mesure pour connaître le degré de diversité parmi ses collaborat­eurs : « je suis incapable de vous dire où en est Adidas sur ce sujet de l’inclusion. C’est pourquoi nous allons consulter nos salariés sur leur origine ethnique ou leur préférence sexuelle » . Ce qui ne se mesure pas n’existe pas selon le physicien Niels Bohr. Or, en France, les statistiqu­es ethniques sont interdites par la loi Informatiq­ues et libertés de 1978, ce qui ne facilite pas ce type de comptage en entreprise.

Mais les choses évoluent : « nous avons lancé l’index diversité, une démarche expériment­ale sous le contrôle de la Cnil et du défenseur des droits pour objectiver la situation des entreprise­s », a annoncé Elisabeth Borne. Chez Suez, Maximilien Pellegrini, directeur général adjoint en charge de la France, a expliqué comment le groupe travaille sur la promotion des managers :

« avant, on embauchait surtout dans les grandes écoles pour créer un corps d’élite. Il faut casser cela. Des cadres issus de la diversité permettent de prendre plus de risques » .

Des bonus liés à l’inclusion

Illiad/Free a choisi en 2015 d’être accompagné par Mozaik RH pour développer un « business plan de la diversité » selon l’expression du directeur général France Thomas Reynaud. Quatre axes ont été définis : la mobilisati­on pour déconstrui­re les préjugés, des opérations commandos vers les jeunes des QVP (une centaine recrutée en 2019), rejoindre la plateforme diversifie­zvostalent­s pour poster les annonces d’emplois, et l’université Free pour la promotion interne. « Les outils concrets existent » rappelle Thomas Reynaud à l’intention de ses pairs.

Chez Johnson et Johnson France, on va encore plus loin puisque, selon Erwan le Tallec, directeur des ressources humaines, les managers ont des objectifs de performanc­e liés aux actions concrètes en matière d’inclusion : « leur bonus ou la levée des stock options en dépendent en partie. Nous avons ainsi progressé sur plusieurs sujets : handicap, égalité homme-femme ou diversité intergénér­ationnelle » . Pour Aadil Bezza, DRH de Nestlé France : « il faut passer à l’action et écouter la base qui nous demande plus d’inclusion ».

On peut s’interroger sur l’impact réel de ce genre de grandmesse. Selon Saïd Hammouche, il est bien réel : « on tirera un bilan de ce premier sommet dans un an. Mais déjà, des entreprise­s comme Sanofi disent vouloir recruter 20 % de leurs

effectifs dans les QPV. Et nous avons mis en ligne 5.000 offres d’emplois accompagné­es par des recruteurs sur diversifie­zvostalent­s.com ».

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(Crédits : DR)

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