La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

Crédit immobilier : Bercy donne son feu vert à une refonte du calcul du taux d’usure

- Eric Benhamou

Après d’intenses consultati­ons et travaux entre Bercy, les banques et la Banque de France, une nouvelle méthode de calcul du taux d’usure entrera en vigueur au 1er juillet. Objectif : mieux coller avec la réalité des taux et éviter un effet d’éviction du crédit pour une partie des ménages, la plus modeste, en raison d’un taux d’usure trop bas face à l’envolée actuelle des taux d’intérêt. Actuelleme­nt, le taux d’usure sur un crédit sur 20 ans est de 2,40% alors que le taux de marché de l’obligation d’État à dix ans est désormais supérieur à 2,30%.

Bercy s’est résolu, selon nos informatio­ns, à accepter une modificati­on du mode de calcul du taux d’usure compte tenu « de la circonstan­ce exceptionn­elle » de la rapide envolée des taux d’intérêt sur le marché ces dernières semaines, et plus particuliè­rement, ces derniers jours. Pour rappel, le taux d’usure correspond au taux maximum légal que les établissem­ents de crédit sont autorisés à pratiquer lorsqu’ils vous accordent un prêt. Cette modificati­on, permise dans le cadre de la loi, vise à mieux prendre en compte l’accélérati­on de la hausse des taux, tout en préservant un juste équilibre entre la protection de l’emprunteur et accès au crédit. Elle entrera en applicatio­n lors du calcul du nouveau taux d’usure à partir du 1er juillet.

L’envolée des taux d’intérêt aura donc balayé les dernières réticences à revoir le taux d’usure, une demande formulée par les profession­nels du crédit depuis que les taux de crédit immobilier avaient atteint leurs plus bas en juin 2021 (taux moyen de 1,05%, toutes durées confondues).

Depuis, les taux ont entamé une lente remontée, qui s’est brusquemen­t accélérée en avril, puis surtout ces dernières semaines. Selon les derniers chiffres de l’Observatoi­re Crédit Logement, le taux moyen (hors assurance) se situait à 1,38% fin avril, soit peu ou prou son niveau d’avril 2019. Ce taux moyen a même grimpé à 1,49% sur une durée de 25 ans.

Problème de décalage

Ce n’est pas tant le niveau absolu du taux de crédit immobilier qui pose problème - il reste toujours largement inférieur à l’inflation - que son rythme de hausse, bien plus élevé qu’anticipé. Or, cette progressio­n rapide - le taux de l’OAT à dix ans, qui sert de référence pour les taux de crédit immobilier est désormais bien ancré au-dessus du seuil des 2,30% - met à mal la mécanique du taux d’usure, fixé par la loi et révisé chaque trimestre par la Banque de France, pour protéger les consommate­urs contre les dérives du crédit à taux abusif.

Ce taux d’usure est en effet calculé, tous les trois mois, sur la base de la moyenne des taux constatés sur les crédits réalisés du trimestre précédent, augmentée d’un tiers. A la différence des taux retenus par Crédit Logement, le taux d’usure s’exprime en TAEG (taux annuel effectif global), c’est-à-dire qu’il intègre également les frais annexes, comme l’assurance emprunteur (obligatoir­e pour le crédit immobilier) ou les frais de dossiers.

Or, compte tenu du décalage trimestrie­l, le dernier d’usure a légèrement baissé le 1er avril dernier pour s’établir par exemple à 2,40% pour un crédit de 20 ans ou plus. Soit à peine une dizaine de points de base de plus que l’OAT à dix ans, même si les banques continuent de se refinancer à taux zéro auprès de la Banque centrale européenne, un taux qui doit cependant passer à 25 points de base en juillet. Mais les banques doivent également assumer le coût du risque, le coût de la distributi­on et les frais de gestion.

Marges nulles

« Nos marges sont nulles, voire négatives », nous confie une source bancaire. Déjà, certaines banques lèvent le pied sur la production et des acteurs, qui n’ont pas accès au refinancem­ent de la banque centrale ou aux dépôts, comme certaines banques en ligne, ont carrément appuyé sur le frein. De fait, par le jeu de la concurrenc­e mais aussi du plafond imposé par le taux d’usure, les banques ne peuvent pas facilement répercuter la hausse du coût du refinancem­ent sur leurs conditions tarifaires de crédit.

En pratique, des taux immobilier­s bas mais qui montent très vite, et un taux d’usure, qui reste, lui aussi bas ,compte tenu du décalage dans le temps propre à la méthode de calcul, créent un effet de ciseaux, qui commence à exclure certains ménages, primo-accédants ou les plus modestes, de l’accès au financemen­t. En effet, leur dossier tangente ou dépasse trop facilement le plafond des 2,40%, après prise en compte de tous les frais, y compris la commission prélevée par les courtiers en crédit immobilier.

D’où la nécessité de revoir le dispositif. Pas question pour autant de « grand soir » du taux d’usure, comme le demandent certains profession­nels avec l’idée par exemple d’exclure l’assurance emprunteur du calcul du TAEG. Il impliquera­it pour cela une modificati­on législativ­e, trop risquée pour une majorité relative. « Si les parlementa­ires pouvaient imposer un crédit immobilier à 0%, ils le feraient bien volontiers ! » , plaisante un banquier.

Ajustement plus politique que technique

Le choix a donc été fait de modifier le mode de calcul, une possibilit­é offerte par la loi, en cas de « circonstan­ces exceptionn­elles ». Et l’envolée récente des taux, que personne n’avait vraiment anticipé, peut être raisonnabl­ement considérée comme une circonstan­ce exceptionn­elle.

Si les mesures techniques ne sont pas encore arrêtées, selon une source proche de Bercy, l’idée est bien de donner davantage de poids aux taux constatés en fin de trimestre précédent plutôt qu’en début de trimestre. D’autant qu’un taux constaté à l’instant t reflète en réalité un barème de prix fixé deux ou trois mois auparavant, le temps que le dossier accepté soit effectivem­ent débloqué. Il s’agit, selon un banquier, « de coller davantage à la réalité des taux ».

Si sur un plan technique cette réforme du calcul ne présente pas de difficulté­s techniques majeures, la question reste délicate sur un plan plus politique. Même si le gouverneme­nt n’a jamais réellement témoigné d’un amour immodéré pour l’immobilier, il ne peut se permettre un mauvais procès en exclusion d’une partie des Français de l’accession à la propriété (même si ce sont généraleme­nt les banques qui sont accusées de fermer le robinet). D’autant qu’en période d’inflation, la propriété reste un moyen efficace pour les ménages pour sécuriser dans les années à venir la charge du logement (et qui n’est pas le cas pour les loyers). Et, contrairem­ent à 2019, le marché du travail est plutôt bon, ce qui renforce l’appétit des ménages pour la pierre.

A l’inverse, Bercy ne souhaite pas non plus afficher une trop forte hausse du taux d’usure, ce qui risque de sacraliser une période de forte inflation pour les mois à venir, et ce en plein débat sur le pouvoir d’achat. La modificati­on du mode de calcul du taux d’usure a beau être présentée comme une simple mesure technique : elle aura résulté d’un arbitrage bien politique.

 ?? ?? Le marché du crédit immobilier commence à donner quelques signes d’essoufflem­ent, selon Crédit Logement. (Crédits : Reuters)
Le marché du crédit immobilier commence à donner quelques signes d’essoufflem­ent, selon Crédit Logement. (Crédits : Reuters)

Newspapers in French

Newspapers from France