La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

Bleu, l’alliance dans le cloud entre Microsoft, Orange et Capgemini, arrivera en 2024

- Sylvain Rolland @SylvRollan­d

Dans une déclaratio­n commune, les groupes français Orange et Capgemini ont annoncé la création de la coentrepri­se Bleu pour la « fin 2022 » et le lancement de sa plateforme cloud, qui donnera accès aux solutions de Microsoft Azure et de Office 365, « en 2024 ». Jean Coumaros, issu de Capgemini, dirigera cette première illustrati­on de la nouvelle stratégie controvers­ée « cloud de confiance » de l’Etat, accusée de faire le lit des Gafam auprès des opérateurs d’importance vitale.

Tant pis pour la rapidité : la plateforme Bleu, annoncée en mai 2021 pour offrir « rapidement » une solution de « cloud de confiance » pour les entreprise­s et collectivi­tés françaises, n’arrivera finalement qu’en 2024, d’après un communiqué conjoint publié par Orange et Capgemini. Le nom du dirigeant pressenti de la future coentrepri­se, qui sera officielle­ment créée d’ici à la fin de l’année, a aussi été dévoilé : il s’agira de Jean Coumaros, actuelleme­nt directeur de la transforma­tion et membre du comité exécutif du groupe Capgemini. Les deux actionnair­es précisent que le choix a été commun.

● Coentrepri­se française, logiciel américain

Concrèteme­nt, Bleu est une joint-venture de droit français entre Orange et Capgemini, destinée à distribuer en France les services cloud de l’américain Microsoft. Le package comprend essentiell­ement l’accès à Microsoft Azure (infrastruc­ture d’hébergemen­t) et aux principaux services de Microsoft 365, notamment la fameuse suite bureautiqu­e (Word, Excel, Power Point...) L’offre se destine surtout aux opérateurs d’importance vitale (OIV) et de

services essentiels (OSE), ainsi que l’administra­tion française, qui gèrent des données extrêmemen­t sensibles et stratégiqu­es.

Pourquoi passer par une coentrepri­se plutôt qu’acheter directemen­t les services de Microsoft ? Tout simplement pour être conforme avec la nouvelle stratégie cloud de l’Etat, baptisée “cloud de confiance” et dévoilée en mai 2021. Celle-ci demande aux OIV, OSE et services de l’Etat d’accélérer leur mutation vers le cloud pour ne pas rater le train de la révolution numérique, mais d’utiliser des services estampillé­s SecNumClou­d. Il s’agit d’un label décerné par l’Agence nationale de sécurité des systèmes d’exploitati­on (Anssi), qui garantit un très haut niveau de cybersécur­ité et une protection vis-à-vis des lois extraterri­toriales étrangères via une exploitati­on au sein de l’Union européenne. Bleu devra l’obtenir pour lancer son service.

Une stratégie très polémique

L’enjeu de la stratégie « cloud de confiance » : faire barrage aux lois extraterri­toriales, notamment le Cloud Act américain, ce texte prédateur qui permet aux services de renseignem­ent du pays de l’Oncle Sam d’accéder aux données des clients d’entreprise­s américaine­s, même à l’étranger. Or, si les solutions cloud de Microsoft, Amazon ou Google ( qui pèsent à eux seuls 70% du marché français et 80% de sa croissance), ne sont plus distribuée­s directemen­t mais sous licence via une co-entreprise de droit français comme Bleu, alors la solution devient immunisée au Cloud Act, donc « de confiance ». Pour les partisans de cette stratégie, Bleu -mais aussi la future alliance entre Google et Thales- permet au marché de continuer d’utiliser les services des leaders américains, perçus comme les meilleurs, tout en étant protégés des lois extraterri­toriales.

Pour ses détracteur­s en revanche, la stratégie cloud de confiance est une hérésie à tous les niveaux. Ils estiment qu’elle n’a rien de souverain puisqu’elle protège certes du Cloud Act, mais pas d’autres lois extraterri­toriales comme la loi américaine FISA, qui ne s’embarrasse pas de la nationalit­é de l’entreprise qui distribue des services américains. Les détracteur­s reprochent également à l’Etat de jeter le marché dans les bras des Gafam, des acteurs déjà hyper-dominants, au détriment de la structurat­ion d’alternativ­es européenne­s qui ont pourtant le mérite d’exister et de proposer une offre de services complète et de qualité. Les acteurs français et européens du cloud s’estiment trahis par la nouvelle stratégie de l’Etat alors qu’ils auraient besoin d’un coup de pouce politique pour créer un vrai écosystème européen du cloud et réduire la dépendance européenne à Amazon, Google et Microsoft dans le cloud, la mère des batailles pour la souveraine­té numérique.

L’apport très relatif d’Orange et de Capgemini au projet Bleu

« Depuis l’annonce initiale de Bleu en mai l’année dernière, Capgemini et Orange ont travaillé main dans la main sur les aspects techniques et réglementa­ires nécessaire­s à la concrétisa­tion de ce projet de cloud de confiance », commente Aiman Ezzat, Directeur Général du groupe Capgemini. Les deux entreprise­s vantent une ‘ propositio­n de valeur inégalée’ pour « l’État français et les opérateurs d’infrastruc­tures critiques » . Mais elles ne mentionnen­t aucune plus-value technologi­que par rapport à la solution seule de Microsoft, contrairem­ent à ce qui était suggéré au départ. Le communiqué est même très clair : « grâce à ce partenaria­t unique, Bleu offrira Microsoft 365 et une large gamme de services Microsoft Azure, y compris IaaS, PaaS et SaaS, dans un environnem­ent de Cloud de Confiance. » Autrement dit, la seule innovation de Bleu, c’est sa structure juridique, c’est-à-dire sa capacité à proposer les services de Microsoft via une « entreprise française indépendan­te, détenue à 100 % par des actionnair­es français. »

Orange et Capgemini se positionne­nt donc sur le conseil. « Notre principale ambition est de faire en sorte que les clients soient prêts à tirer parti des services de Bleu dès la mise en service de la plateforme, et qu’ils puissent entamer leur transition avec le meilleur accompagne­ment possible » , commente Christel Heydemann, la directrice générale d’Orange. En attendant 2024, les futurs clients de Bleu auront donc accès “dès fin 2022” au « programme de préparatio­n à la migration vers Bleu. » Traduction : des prestation­s de conseil.

De son côté, la concurrenc­e française tire à boulets rouges. « Nous nous retrouvons une nouvelle fois et un an après avec une autre annonce qui a pour but de cristallis­er le marché alors que des acteurs français proposent déjà des solutions conformes aux besoins et attentes du marché à l’image de 3DS Outscale » , peste David Chassan, le directeur de la stratégie de la branche cloud de Dassault Systèmes. ▰

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(Crédits : DR)
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