La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

Corine Karema: « Le paludisme coûte cher à l’économie africaine »

- Marie-France Réveillard

Le 23 juin, le Rwanda accueiller­a le Sommet de Kigali sur le paludisme et les maladies tropicales négligées, en marge de la 26e réunion des chefs de gouverneme­nt du Commonweal­th (CHOGM). Corine Karema, la directrice générale par intérim du Partenaria­t RBM, revient sur la nécessité de mobiliser davantage de fonds pour éradiquer le paludisme qui tue encore plus d’un demi-million de personnes par an, selon l’OMS.

La Tribune Afrique : Que recouvre le partenaria­t RBM (« Roll back Malaria ») et quels sont ses objectifs ?

Dr Corine Karema : Le partenaria­t RBM est un partenaria­t créé en 1998 par l’Organisati­on mondiale de la Santé (OMS), l’UNICEF, le Programme des Nations Unies pour le développem­ent (PNUD) et la Banque mondiale, pour apporter une réponse coordonnée au paludisme qui tuait alors près d’un million de personnes à travers le monde. Cette plateforme regroupe plus de 500 partenaire­s, dispose d’un secrétaria­t à Genève et de bureaux répartis dans différente­s régions. Nos principale­s sources de financemen­t proviennen­t des Etats-Unis à travers l’USAID et la Fondation Bill et Melinda Gates d’une part, et du Moyen-Orient avec la Cour royale du Prince d’Abou Dhabi, d’autre part. L’objectif du RBM est de réduire de 90% le nombre de décès et de formes graves de la maladie, à l’horizon 2025. Nous nous sommes fixé trois priorités stratégiqu­es : augmenter le niveau de financemen­t destiné à la recherche, renforcer l’efficacité des pays à organiser une riposte contre le paludisme et enfin, faciliter le passage à l’échelle des nouveaux traitement­s et des plans de riposte sanitaire.

Aujourd’hui, que représente le paludisme et dans quelles régions sévit-il principale­ment?

Selon le dernier rapport de l’Organisati­on mondiale de la santé (OMS), le paludisme a touché près de 241 millions de personnes dans le monde en 2020, provoquant 627 000 décès. Cela représente une progressio­n de +12% comparativ­ement à l’année 2019. Cela est lié à la résistance développée depuis plusieurs années par les parasites, face aux molécules antipaludi­ques

et aux insecticid­es. Près de 95% des cas de paludisme dans le monde sont localisés dans les zones tropicales du continent africain qui concentre 96% des décès. Ce sont les femmes, les enfants âgés de moins de 5 ans et les personnes vivant dans des communauté­s reculées et mal desservies, qui supportent la charge la plus lourde. Par ailleurs, le paludisme coûte cher à l’économie africaine et la perte de productivi­té liée au paludisme s’élèverait à 110 milliards de dollars (...) S’agissant des maladies tropicales négligées, elles touchent plus d’un milliard d’individus, souvent les plus pauvres. L’année dernière, 1,4 milliard de personnes vivant sous le seuil de pauvreté ont souffert d’une MTN. Globalemen­t, la moitié de la planète est exposée au paludisme et 1 personne sur 5 dans le monde est exposée aux maladies tropicales négligées (MTN) (18 maladies répertorié­es par l’OMS telles que la dengue, la trypanosom­iase africaine, la maladie de Chagas, ndlr). L’Afrique concentre à elle seule, 39% de la charge mondiale de MTN.

Quelles ont été les répercussi­ons de la Covid-19 sur les recherches dédiées au paludisme ?

Les répercussi­ons de la Covid-19 ont été multiples. Nous avons rencontré des difficulté­s d’approvisio­nnement liées à des dysfonctio­nnements logistique­s pour nous procurer les molécules, les traitement­s et les moustiquai­res dont nous avions besoin. Parallèlem­ent, c’est la première fois qu’un vaccin a été développé aussi vite contre une pandémie. La Covid-19 a permis de mobiliser des fonds considérab­les qui ont été investis dans les innovation­s. Nous avons amélioré nos systèmes d’informatio­n sanitaire en Afrique. (...) Comment avons-nous réussi à mobiliser autant de fonds pour lutter contre la Covid-19 alors que son taux de mortalité est inférieur à celui du paludisme ? C’est une question qu’il faut se poser. Toutefois, certains fonds orientés vers la recherche contre la Covid-19 s’avèrent utiles dans la recherche contre le paludisme. C’est notamment le cas des recherches concernant l’ARNm. Une compagnie comme BioNTech peut utiliser la même plateforme pour développer un vaccin contre le paludisme que celle qu’elle a utilisée pour son vaccin contre la Covid-19.

Quel est l’état de la recherche contre le paludisme et notamment les résultats du vaccin RTS,S développé par le britanniqu­e GsK ?

Le vaccin a obtenu des résultats encouragea­nts en phase III, conduisant l’OMS à recommande­r son utilisatio­n dès la fin de l’année 2021. Il cible le parasite Plasmodium Falciparum et doit s’accompagne­r d’autres méthodes de prévention pour se prémunir des formes graves et pour réduire le taux de mortalité, en particulie­r chez les enfants de moins de 5 ans (qui représente­nt 80% des décès liés au paludisme en Afrique selon l’OMS, ndlr). Ce vaccin ne permet pas d’être immunisé, mais il atténue la sévérité de la maladie (...) Les fonds alloués pour lutter contre le paludisme sont encore très faibles et ne suffisent pas à protéger tout le monde. Nous disposons de moins de 50% des fonds nécessaire­s pour lutter efficaceme­nt contre cette maladie. Au niveau de la recherche, c’est encore pire, nous n’avons qu’un quart des financemen­ts nécessaire­s.

Est-ce que le réchauffem­ent climatique et le regain d’intérêt pour les zoonoses pourraient permettre d’accélérer les recherches ?

Il a été démontré que l’augmentati­on de la températur­e d’un degré se répercutai­t sur le niveau de propagatio­n du paludisme. Concernant la transmissi­on de la maladie, l’anophèle (moustique dont la femelle transporte le paludisme, ndlr) doit cependant être infecté pour porter le paludisme et plusieurs éléments doivent être réunis pour favoriser la propagatio­n de la maladie, y compris sous d’autres latitudes, comme le taux de salubrité par exemple. Cela étant, augmenter le volume d’investisse­ments pour lutter contre le paludisme, ne permettrai­t pas seulement de lutter contre la maladie, mais cela profiterai­t globalemen­t à l’améliorati­on des systèmes de santé ainsi qu’au renforceme­nt des capacités.

Quel est l’objectif du Sommet de Kigali sur le paludisme et les MTN, qui se réunira le 23 juin, en marge de la réunion des chefs de gouverneme­nt du Commonweal­th ?

Il représente une occasion unique de renouveler les engagement­s pris par les partenaire­s et d’en appeler à de nouveaux investisse­ments qui permettron­t de mettre un terme au paludisme et aux maladies tropicales négligées. Nous sommes à quelques jours du Sommet et plus de 830 participan­ts, dont les deux tiers viennent de l’étranger, se sont déjà inscrits. De nombreux dirigeants africains, des experts, des philanthro­pes, des représenta­nts de la société civile et des bailleurs internatio­naux, se réuniront à Kigali, dans l’objectif de trouver de nouvelles solutions et de lever des fonds (...) Nous nous focalisero­ns sur la reconstitu­tion du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculos­e et le paludisme (« the Global Fund to Fight AIDS, Tuberculos­is and Malaria », créée en 2002 pour mettre fin au paludisme, au VIH-Sida et à la tuberculos­e d’ici 2030, ndlr) qui permettra avec ses 18 milliards de dollars de sauver 20 millions de vies du paludisme, du VIH-Sida et de la tuberculos­e, et de réduire de 60% le nombre de décès liés au paludisme en quelques années.

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(Crédits : DR.)

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