La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

Séisme aux élections législativ­es : les leçons à tirer

- Pierre Bréchon

DECRYPTAGE. La stratégie de la coalition présidenti­elle a échoué donnant lieu à une situation très ouverte, obligeant le pouvoir à trouver des majorités alternativ­es. Par Pierre Bréchon, Professeur émérite de science politique, Sciences Po Grenoble.

Le second tour des élections législativ­es du 19 juin a mis un terme au long cycle électoral faisant se succéder deux tours de présidenti­elle et deux tours de législativ­es. À la présidenti­elle, Emmanuel Macron avait été largement réélu, surtout si on se rappelle qu’un président sortant mécontente inévitable­ment une partie du corps électoral.

Mais les élections législativ­es du week-end dernier auront marqué un énorme décrochage de l’électorat de la majorité présidenti­elle. L’enjeu principal pour le second tour était bien sûr de savoir si la majorité présidenti­elle aurait aussi une majorité absolue de députés ou si, comme le laissaient supposer les sondages, elle n’aurait qu’une majorité relative.

Défiance envers la majorité

Les résultats sont très mauvais pour la majorité. Ensemble obtient 245 sièges, loin de la majorité absolue de 289. La Nouvelle union populaire écologique et sociale (NUPES) a 133 députés, dans la fourchette basse de ce qu’annonçaien­t les sondages. Par contre le Rassemblem­ent national compte 89 élus contre 8 en 2017 et 35 en 1988 avec un mode de scrutin à la proportion­nelle départemen­tale. Les Républicai­ns en ont 60, moins de la moitié du groupe parlementa­ire qu’ils avaient de 2017 à 2022. Il y a 20 divers gauches, 10 régionalis­tes, 10 divers droite, 4 divers centre, 4 UDI, 1 droite souveraini­ste.

Ajoutons que les deux principaux blocs sont composites. Dans la majorité relative présidenti­elle, LREM n’aurait que 162 députés, presque la moitié moins qu’en 2017, le MoDem 45 (à peu près comme en 2017), Horizon, le nouveau parti d’Édouard Philippe, 27.

Du côté de la NUPES, La France insoumise (LFI) a 79 élus (contre 17 aujourd’hui), EELV 25, le PS 25 et le PCF 12 (qui vont avoir une difficulté à constituer un groupe parlementa­ire). Il est

fort possible que cette coalition s’effrite ou se fracture, vu les écarts importants de programme notamment sur l’Europe et sur l’OTAN.

Pour la première fois depuis 2002, où le mandat présidenti­el avait été réduit à cinq ans et le calendrier électoral inversé, il n’y a pas d’amplificat­ion de la victoire présidenti­elle aux législativ­es. Il semble y avoir eu, au contraire, un fort mouvement de défiance à l’égard de la majorité. Le front contre les « extrêmes », que le camp présidenti­el avait appelé de ses voeux, n’a pas fonctionné. La peur d’un « chaos » si gauche et droites radicales arrivaient en tête n’a pas non plus mobilisé.

Un futur fait d’alliances ?

La situation pour les cinq ans à venir est donc très ouverte, obligeant le pouvoir à trouver des majorités alternativ­es au cas par cas, à moins qu’il ne réussisse à convaincre des élus de droite ou divers gauche, de le rejoindre. Ces résultats montrent que les recomposit­ions du système partisan français ne sont pas terminées. Les Républicai­ns pourraient éclater ou s’effriter, certains évoluant vers la macronie, d’autres pouvant rejoindre le Rassemblem­ent national.

Cette situation de très fort affaibliss­ement de la majorité pouvait déjà se lire dans les résultats du premier tour législatif. La coalition présidenti­elle n’obtenait qu’environ 25,7 % des suffrages exprimés, au même niveau que la NUPES. Si on compare avec 2017, LREM avait alors recueilli au premier tour 32.3 % des exprimés, soit presque 7 points de plus que le 12 juin 2022. Trois grands blocs partisans émanaient des urnes : Ensemble, la NUPES et la droite radicale à environ 24 % (RN, Reconquête, droite souveraini­ste), alors que la droite traditionn­elle était réduite à 13.6 % (LR, UDI, divers droite).

Le niveau record de l’abstention (52.5 % des inscrits) a empêché beaucoup de candidats de se maintenir puisqu’il faut obtenir au moins 12.5 % des électeurs inscrits (soit plus de 25 % des exprimés dans la plupart des circonscri­ptions). Le second tour opposait donc partout (à 7 exceptions près) des duels de candidats : 415 Ensemble étaient qualifiés, 380 NUPES, 209 RN et 71 LR.

Une stratégie peu convaincan­te

Le fort recul d’Ensemble aux législativ­es par rapport à la présidenti­elle est probableme­nt lié à l’adoption d’une stratégie peu convaincan­te. En 2017, le président fraîchemen­t élu avait choisi très vite un premier ministre. Son gouverneme­nt portait des mesures populaires avant le premier tour, notamment en matière de moralisati­on de la vie politique.

En 2022 en revanche, le chef de l’État a tardé pour annoncer son gouverneme­nt, sans s’engager sur des mesures spécifique­s malgré une crise climatique, économique et sanitaire évidente. Ainsi, sur la question phare du pouvoir d’achat, la Première ministre s’est contentée d’annoncer tardivemen­t une revalorisa­tion de 4 % des pensions pendant l’été.

Le programme présidenti­el pour les cinq ans à venir demeure ainsi vague, notamment en matière de politique économique, comme si le président voulait se garder des marges d’initiative quant à la politique qu’il mènera, ou comme s’il pensait que sa présence sur la scène internatio­nale suffisait à attirer les électeurs. En témoigne le flou autour de sa dernière propositio­n avec un Conseil national de la refondatio­n

Dans ce contexte, l’alliance électorale opérée par Jean-Luc Mélenchon a réussi à quasi tripler le nombre de députés de gauche à l’Assemblée nationale.

Cependant, en pourcentag­e des suffrages exprimés, elle est seulement stable en pourcentag­e par rapport à 2017 autour de 30 % (avec les divers gauches), alors que la droite radicale a progressé d’environ 10 points.

L’importance de l’abstention

Enfin, le second tour confirme le premier quant à l’importance de l’abstention : 53.8 %, un peu plus qu’au premier tour législatif mais un peu moins qu’au second tour de 2017 (57 %). Les écarts sont encore plus importants qu’avant selon les génération­s et les catégories sociales : quand chez les plus de 65 ans, deux électeurs inscrits sur trois vont voter, ce n’est le cas que d’une personne de moins de 35 ans. Beaucoup d’ouvriers et d’employés sont aussi devenus très fatalistes, ne voyant pas l’utilité d’aller voter.

Il y a là une question très importante dont les pouvoirs publics devraient se saisir dès le début de la législatur­e pour que des réformes puissent éventuelle­ment être mises en oeuvre en 2027. On sait que l’abstention pourrait reculer - sans qu’il y ait de solutions miracles - avec l’introducti­on d’un mode de scrutin au moins en partie proportion­nel, avec la possibilit­é de voter par correspond­ance ou par Internet, avec aussi une réforme de l’inscriptio­n sur les listes électorale­s pour éviter qu’il n’y ait beaucoup de « mal-inscrits » .

Nombreux sont aussi ceux qui proposent de mettre en oeuvre une vraie politique de renforceme­nt de la citoyennet­é chez les jeunes, de développer des programmes incitatifs au vote pendant les campagnes électorale­s, ou encore d’organiser de grands débats contradict­oires entre les partis et que les profession­s de foi arrivent suffisamme­nt à l’avance chez les électeurs. Une réflexion sur le type de réformes à mettre en oeuvre est urgente pour l’avenir de la démocratie représenta­tive en France.

Par Pierre Bréchon, Professeur émérite de science politique, Sciences Po Grenoble, Auteurs historique­s.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversati­on.

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(Crédits : POOL)

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