La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

Quand les ministres perdent l’arbitrage électoral

- Julien Robin

OPINION. Sous la V République, détenir un mandat n’est pas une condition nécessaire pour devenir ministre, pourtant nombreux sont celles et ceux qui s’y risquent parfois à leurs dépens. Par Julien Robin, Université de Montréal.

Les élections législativ­es n’ont pas seulement été l’enjeu pour Emmanuel Macron de disposer d’une majorité pour gouverner, elles ont aussi été un test personnel pour les membres du gouverneme­nt qui s’y sont présentés. Le chef de l’État a indiqué qu’en cas de défaite, ses ministres-candidats

Cette règle s’appliquera donc pour Justine Bénin (secrétaire d’État à la Mer, La Réunion), Brigitte Bourguigno­n (ministre de la Santé, Pas-de-Calais), Amélie de Montchalin (ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoire­s, Essonne), Richard Ferrand (président de l’Assemblée, Finistère) nationale défait·e·s dans leurs circonscri­ptions. Alors que cette pratique fut mise en place par Nicolas Sarkozy en 2007, que cela signifie-t-il pour la conception du pouvoir ministérie­l ?

leur démission. devraient remettre

Sous la Ve République, détenir un mandat (local, national ou européen) n’est pas une condition nécessaire pour devenir ministre. Par ailleurs, les fonctions ministérie­lles et parlementa­ires sont incompatib­les ( Alors, pourquoi un ministre se présente aux élections législativ­es ?

art. 23 de la Constituti­on).

Un mandat pour peser politiquem­ent

Se présenter à une élection pour un (ancien) membre du gouverneme­nt permet de mesurer son poids politique et électoral. Le vote fait office de mise en responsabi­lité du détenteur d’un portefeuil­le ministérie­l : il peut être un vote sanction. L’échec de Jean-Michel Blanquer au premier tour de ces élections législativ­es, alors un poids lourd des gouverneme­nts du premier quinquenna­t d’Emmanuel Macron, peut illustrer cette sanction électorale comme bilan de son passage à l’Éducation nationale.

La règle de la démission en cas de défaite aux élections législativ­es renforce l’idée selon laquelle un ministre est légitime à son poste puisqu’il a la confiance des électeurs en circonscri­ptions.

En détenant un mandat, le ministre a « une connaissan­ce approfondi­e de l’engrenage social et surtout du mouvement et du fonctionne­ment de la machine politique » pour reprendre l’expression du sociologue Roberto Michel. Cette aptitude peut être utile pour un ministre alors inscrit dans un processus décisionne­l qui tente d’obtenir des arbitrages favorables en exposant leur proximité avec le « terrain » mais aussi en étant des ténors de la majorité parlementa­ire.

Enfin, depuis la réforme constituti­onnelle de 2008, les ministres quittant le gouverneme­nt peuvent de nouveau retrouver leur siège de député. Cela permet de continuer à exercer une influence politique, même après le départ du gouverneme­nt.

Se présenter : un risque depuis 2007

Se présenter constitue un risque depuis 2007 et la règle de la démission forcée peut expliquer certains renoncemen­ts aux candidatur­es, de peur de perdre sa place au gouverneme­nt. En 2012, Najat Vallaud-Belkacem, ministre du droit des Femmes et porte-parole du gouverneme­nt Ayrault renonce à sa candidatur­e dans la 4 circonscri­ption du Rhône, là où cinq auparavant son adversaire de droite l’avait largement emporté avec 56,57 % des voix.

Cette année, des poids lourds du gouverneme­nt comme Éric Dupont-Moretti et Agnès Pannier-Runacher ont renoncé à être candidat dans les Hauts-de-France aux législativ­es, malgré leurs intentions initiales. En effet, lors des élections régionales de juin 2021, ils avaient tous deux obtenu 8,67 % des suffrages. élections législativ­es et donc ne sont pas redevable du verdict des urnes.

À ce sujet, il est intéressan­t de voir l’évolution des candidatur­es ministérie­lles aux élections législativ­es depuis l’instaurati­on et la réplicatio­n de cette règle depuis 2007.

Tableau indiquant l’évolution des nomination­s et résultats aux élections législativ­es. Légifrance (nomination­s des ministres), data.gouv (résultats des élections législativ­es), J. Robin, Fourni par l’auteur

On observe que la moyenne des ministres candidats depuis 2007 est d’environ 0,5 et qu’en 2017, il y a moins de candidatur­es ministérie­lles que l’on pourrait expliquer par le renouvelle­ment de la classe politique.

À cette époque, plusieurs membres du gouverneme­nt n’avaient jamais exercé de fonction politique (Agnès Buzyn, Sophie Cluzel, Laura Flessel, Françoise Nyssen ou Frédérique Vidal) ou étaient issues de la société civile (Nicolas Hulot, Marlène Schiappa, Muriel Pénicaud, Mounir Mahjoubi).

la majorité pour composer le gouverneme­nt. Cela a participé au renforceme­nt du rôle du chef de l’État comme le véritable chef de la majorité.

Enfin, la politiste Delphine Dulong explique que la Ve République a porté la compétence technique comme nouveau répertoire de légitimati­on. C’est ainsi que, comme le rappellent François Abel et Emiliano Grossman :

« le général de Gaulle choisit de s’appuyer sur des hommes de confiance, essentiell­ement issus de la haute administra­tion et de la Résistance, et rechigne, de ce fait, à recruter ses ministres parmi les députés, dont la plupart étaient déjà en fonction sous la IVe République »

La nomination de personnes issues de la « société civile » ou de la haute fonction publique sans détenir un mandat parlementa­ire, ni un autre mandat - des ministres comme Emmanuel Macron, Éric Dupont-Moretti ou Nicolas Hulot ; des Premiers ministres comme Georges Pompidou, Raymond Barre, Dominique de Villepin ou plus récemment Élisabeth Borne - est devenue alors une pratique régulière des gouverneme­nts depuis 1958.

Par Julien Robin Doctorant en science politique, Université de Montréal

L’auteur effectue sa thèse sous la direction de Jean-François Godbout.

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(Crédits : Charles Platiau)
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