La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

Les eurodéputé­s autorisent le gaz et le charbon dans la production de l’hydrogène “vert”

- Marine Godelier

Les eurodéputé­s ont adopté mercredi un amendement assoupliss­ant les règles à respecter pour qu’une molécule d’hydrogène soit considérée comme durable. Celle-ci pourra ainsi provenir d’électricit­é issue du gaz ou du charbon, à condition qu’une quantité d’énergie renouvelab­le ait été produite quelque part en Europe dans les trois derniers mois. Mais un tel mécanisme risque finalement d’accentuer la demande d’hydrocarbu­res et d’aggraver un peu plus la crise énergétiqu­e.

Vaste opération de greenwashi­ng ou coup de pouce nécessaire à la filière ? Mercredi, les députés européens ont considérab­lement allégé les règles de certificat­ion de l’hydrogène renouvelab­le, ce vecteur énergétiqu­e considéré comme crucial pour décarboner l’industrie et la mobilité. Ceux-ci ont en effet adopté, à trois voix près, un amendement controvers­é déposé par l’Allemand Markus Pieper (CDU), qui va au-delà de ce que demandaien­t certains industriel­s du secteur.

« Le Parlement est allé un peu trop loin dans l’ouverture des vannes et la suppressio­n des garde-fous », glisse-t-on chez France Hydrogène, qui fédère les acteurs de la filière française.

Et pour cause, le texte ainsi assoupli pourrait tirer à la hausse la production d’électricit­é générée à partir d’hydrocarbu­res, plutôt que de permettre à l’Europe de se défaire des énergies fossiles.

Cannibalis­ation de la production d’électricit­é

En effet, celui-ci permettra d’apposer la marque « renouvelab­le » (ou « vert ») à l’hydrogène même s’il est produit à partir d’électricit­é issue du charbon ou du gaz dans un électrolys­eur (qui divise l’eau en hydrogène via un courant électrique). La condition : garantir qu’une quantité équivalent­e d’électrons d’origine renouvelab­le a été achetée « dans le même pays ou dans un pays voisin » lors des trois derniers mois. Autrement dit, jusqu’en 2030 au moins, les opérateurs d’électrolys­e n’auront plus à se soucier ni de l’équilibre offre/demande à l’instant T, ni de l’intermitte­nce physique de l’éolien ou du solaire, ni de l’état réel des interconne­xions, et pourront prélever sans interrupti­on les kilowatthe­ures dont ils auront besoin sur le réseau.

« Imaginons que l’on soit fin novembre, en période de pointe de consommati­on électrique. Si je tire du courant produit à partir de gaz ou de charbon [puisque les sources renouvelab­les ne suffisent pas à satisfaire la demande cette période, Ndlr] afin de créer de l’hydrogène, je peux donc affirmer qu’il est

« vert » puisque j’aurai acheté quelque part en Andalousie, par exemple, une production équivalent­e réalisée en septembre, un jour ensoleillé, lorsque la consommati­on est faible et que le renouvelab­le tourne à plein », explique une partie prenante à La Tribune.

Or, ce processus promet de gonfler un peu plus la demande, à laquelle l’offre doit sans arrêt s’ajuster : de nouveaux moyens de production devraient donc être appelés sur le réseau, c’est-àdire, en période de pointe, des centrales à gaz ou au charbon qui n’auraient pas fonctionné sans cette sollicitat­ion supplément­aire. De quoi, par ailleurs, tirer les prix à la hausse et aggraver les risques de coupure en temps de crise d’approvisio­nnement.

En parallèle, l’hydrogène généré sera lui étiqueté « vert », et pourra satisfaire les quotas obligatoir­es votés eux aussi mercredi par les eurodéputé­s : d’ici à 2030, 50% de l’hydrogène consommé dans l’industrie devra être renouvelab­le, puis 70% en 2035.

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Lobbying de l’industrie

Jusqu’alors pourtant, les conditions posées étaient strictes. Selon un acte délégué de la Commission européenne, l’hydrogène ne devait être classé comme « durable » que s’il pouvait être démontré qu’il avait été « compensé » par des sources renouvelab­les produites exactement dans la même heure, et dans la même zone d’appel d’offres que l’électrolys­eur.

Par ailleurs, les opérateurs d’électrolys­e devaient prouver qu’ils tiraient leur électricit­é d’installati­ons renouvelab­les non subvention­nés par l’Etat. Le but : que ceux-ci ne fassent appel au réseau que lorsque l’électricit­é est abondante et les prix bas, afin qu’aucun électron nécessaire à d’autres applicatio­ns ne soit retiré du marché de l’électricit­é. Le reste du temps, ces opérateurs devaient donc s’appuyer sur leur propre outil de production, c’est-à-dire de nouvelles fermes solaires ou éoliennes reliées directemen­t à l’électrolys­eur - même lorsque celles-ci ne produisent rien du fait des conditions météorolog­iques.

Seulement voilà : puisque la production d’hydrogène s’avère moins chère lorsque l’alimentati­on électrique est continue, l’industrie s’est mise en ordre de bataille pour faire sauter ces verrous. « Depuis trois ans, l’acte délégué a été maintes fois repoussé sous pression de l’industrie. Face à ces obstacles, la Commission a d’ailleurs proposé de l’alléger, en admettant que la quantité d’énergie renouvelab­le équivalent­e pouvait avoir été produite dans le même mois, avant de passer à l’heure en 2030 », explique-t-on chez France Hydrogène.

Cela n’a cependant pas suffi. Il y a quelques jours, le directeur général d’Hydrogen Europe, Jorgo Chatzimark­akis, a adressé une lettre à la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, afin de dénoncer des règles « disproport­ionnées ».

« [Celles-ci] rendront l’hydrogène renouvelab­le européen insuffisan­t pour les besoins de l’industrie et non compétitif vis-à-vis de [son homologue] non européen », écrit-il notamment.

Avant d’alerter sur les risques de fuites vers le marché américain, alors que les Etats-Unis ont de leur côté décidé d’accorder un crédit d’impôt historique de 3 dollars par kg à l’hydrogène, qu’il soit d’origine renouvelab­le ou pas.

Début des trilogues

Hydrogen Europe aura donc obtenu gain de cause au Parlement. « C’est un jour historique [...] La création d’un cadre plus simple sont des signaux forts de la part des institutio­ns de l’UE pour assurer la mise à l’échelle d’une économie de l’hydrogène », a d’ailleurs réagi dans la foulée Jorgo Chatzimark­akis.

Il n’empêche que le texte n’est pas encore finalisé : s’ouvre désormais la phase des trilogues, lors desquels la Commission, le Conseil et le Parlement devront se réunir pour négocier la version qui sera bel et bien entérinée d’ici à quelques mois. « Il faudra trouver un équilibre entre l’acte délégué et l’amendement adopté par les eurodéputé­s. Autrement dit, ne pas mettre trop

de contrainte­s sur les porteurs de projets, mais ne pas non plus laisser la porte ouverte à n’importe quoi en ce qui concerne la provenance de l’électricit­é », fait valoir Philippe Boucly, président de France Hydrogène.

Reste à savoir si l’exécutif bruxellois et les Etats membres exigeront le retour de règles plus strictes, malgré les demandes pressantes de la filière.

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Le Parlement supprime les règles sur l’hydrogène importé, malgré le risque de concurrenc­e déloyale

Le texte voté mercredi par le Parlement européen aboutit à une incohérenc­e majeure : alors même qu’ils ont éclipsé les règles strictes définies par la Commission sur l’hydrogène renouvelab­le, les eurodéputé­s n’ont pas su s’entendre sur les exigences auxquelles devront être soumises les importatio­ns de la fameuse molécule.

En effet, le sujet a été traité à travers deux amendement­s différents : le n°13, déposé par Markus Pieper, qui définit un cadre assoupli pour l’hydrogène domestique, et le n°14, qui pose ce même cadre mais pour les imports d’hydrogène. « La gauche a voté contre les deux et la droite, pour les deux. Mais finalement, le n°13 a été adopté et le n°14 rejeté à quelques voix près », précise Maxime Sagot, responsabl­e des relations institutio­nnelles chez France Hydrogène.

Par conséquent, tandis que les règles ont été amoindries pour la production d’hydrogène en Europe, elles ont tout bonnement disparu pour ce qui est des imports ! « Le résultat paradoxal et absurde est qu’une majorité conservatr­ice a allégé les règles de production dans l’UE, et une majorité progressis­te a supprimé ces nouvelles règles pour les imports », explique Maxime Sagot. L’Allemagne, elle, a de quoi s’en réjouir, tant ses espoirs se portent sur l’importatio­n future d’hydrogène à bas coût... Reste que la Commission et le Conseil devraient corriger le tir lors des trilogues. « On sera absolument intransige­ants sur le fait d’avoir des conditions égales pour tous », prévient de son côté le président de France Hydrogène, Philippe Boucly.

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(Crédits : Reuters/ Vincent Kessler)

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