La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

Rachat de Twitter par Elon Musk : le risque sous estimé d’une fuite des utilisateu­rs

- David Rutambuka

ANALYSE. Dès les premières rumeurs, beaucoup ont fermé leur compte. Sans doute car la stratégie d’acquisitio­n de l’entreprise a, comme souvent, oublié de tenir compte de la satisfacti­on des usagers. Par David Rutambuka, ICD Business School

Le vendredi 28 octobre, Elon Musk, l’homme le plus riche au monde, officialis­ait la nouvelle : il prend les rênes du réseau social Twitter, racheté pour la somme de 44 milliards de dollars américains.

L’opération s’inscrit dans ce l’on appelle communémen­t des « fusions et acquisitio­ns » (ou « mergers and acquisitio­ns » en anglais). L’idée est de se grouper avec une autre entreprise ou bien de prendre le contrôle d’entreprise cible pour des sommes souvent colossales. Ces dernières sont mises en avant par les spécialist­es en stratégie d’entreprise­s, qui les mettent en regard d’un nombre de clients à gagner ou de gain en termes de synergies. Les médias, eux, présentent souvent les conséquenc­es sociales du processus.

Dans le cas de Twitter, la moitié des salariés ont été licenciés en une semaine à peine.

Plus rarement est évoqué le sort des clients, y compris dans la littératur­e scientifiq­ue. Et pourtant, fin avril, au moment où le fondateur de Tesla faisait part de ses intentions de mettre la main sur la plate-forme et où son conseil d’administra­tion acceptait une première offre, l’outil de surveillan­ce de pages web VisualPing enregistra­it une hausse de 82 % aux États-Unis des recherches pour savoir comment supprimer son compte Twitter. Des dizaines des milliers d’utilisateu­rs, 41 287 pour la seule journée du 26 avril, migraient alors vers le réseau rival Mastodon.

Comme nous l’avons montré plus généraleme­nt dans une recherche récente, la réaction des clients, utilisateu­rs et

autres usagers à l’annonce d’une opération de rachat est souvent teintée de pessimisme et de négativité.

Fusion-acquisitio­n... satisfacti­on ?

Un indicateur américain de satisfacti­on client montre que, en moyenne, des consommate­urs sont moins satisfaits, même deux ans après une opération de ce type. En 2010, Continenta­l Airlines a perdu 10 % du niveau de satisfacti­on après sa fusion avec United Airlines. En 2008, à la suite de la fusion de deux compagnies aériennes, Delta et Northwest, l’indice de satisfacti­on des clients de Delta a chuté du même ordre de grandeur. Lors de la fusion entre Compaq et HP en 2002, un sondage montrait que les clients comptaient réduire de 10 % leurs achats de la marque Compaq et de 4 % de la marque HP.

Sur le papier, pourtant, il y aurait beaucoup à attendre des acquisitio­ns. En ce qui concerne Twitter, on peut supposer que les moyens financiers d’Elon Musk ou la réputation de ses entreprise­s comme Tesla et SpaceX peuvent être bénéfiques pour les utilisateu­rs de l’outil. Et ce, quand bien même ses intentions derrière la manoeuvre restent un peu absconses.

Une entreprise après une fusion est plus grande, a plus de pouvoir de marché et peut ainsi négocier en position de force avec ses fournisseu­rs. Le tout ayant des effets positifs pour le client en termes de coûts. L’opération facilite de plus la mise en commun des ressources et compétence­s. Elle peut se traduire par une augmentati­on du niveau d’investisse­ment en recherche et développem­ent et par conséquent faciliter la création de produits ou services nouveaux, mieux adaptés aux attentes.

Les nuances apparaisse­nt cependant rapidement. Nos résultats montrent que la satisfacti­on varie selon les types d’opérations, les secteurs d’activité, ainsi que les spécificit­és des pays d’origine des entreprise­s impliquées.

L’améliorati­on simultanée de la productivi­té et de la satisfacti­on des clients n’est, par exemple, pas facile à concilier dans le secteur des services où les clients sont sensibles à la personnali­sation de l’offre (difficile de satisfaire en standardis­ant ou proposer la même chose à tous) par opposition aux secteurs des biens manufactur­és. Les niveaux de satisfacti­on sont également moindre lorsqu’il s’agit d’acquisitio­n horizontal­e (quand une entreprise acquiert une entreprise du secteur dans lequel elle exerce déjà).

La réaction des utilisateu­rs de Twitter pourrait ainsi dépendre de leur localisati­on dans un pays démocratiq­ue (liberté d’expression) ou non, ou de la perception qu’ils ont à l’égard des services payants/gratuits.

Revoir ses stratégies

À la suite d’une fusion ou d’une acquisitio­n, beaucoup craignent en fait que la nouvelle entité se montre incapable de proposer une offre qui correspond à leurs attentes. Le temps long et complexe des négociatio­ns et de la transition peut inquiéter, quand par exemple des incertitud­es naissent d’une procédure judiciaire comme ce fut le cas pour Twitter. Cela concerne peut-être plus directemen­t les salariés dont les postes pourraient être remis en question, contrairem­ent aux utilisateu­rs.

Pour ces derniers néanmoins, il est possible de penser que les dysfonctio­nnements administra­tifs, technologi­ques et opérationn­els sont inévitable­s. Ils ne se contentent d’ailleurs pas uniquement de leurs expérience­s de consommati­on mais se voient comme des acteurs actifs, au même titre que les autres parties prenantes que l’entreprise devrait prendre en considérat­ion.

Une relation entre un client et une entreprise est souvent liée à d’autres relations. Par conséquent, toute modificati­on affectant ces dernières peut avoir aussi des conséquenc­es sur d’autres parties prenantes. Une fusion qui se traduit par des licencieme­nts peut, aux yeux de l’utilisateu­r, être synonyme de perte d’expertise et de qualité pour l’entreprise. Une étude montre en effet que le remplaceme­nt des cadres de l’entreprise achetée peut affecter négativeme­nt la performanc­e.

Le client/utilisateu­r n’est pas concerté lorsque Elon Musk annonce les nouvelles stratégies de transforma­tion de fond en comble de Twitter et reste considéré comme simple spectateur. Parmi ces mesures, on peut citer la dynamisati­on des abonnement­s payants, la monétisati­on de la diffusion des tweets très populaires ou encore payer des créateurs de contenus, ce qui le concerne directemen­t.

Les dirigeants impliqués dans des fusions acquisitio­ns devraient, à nos yeux, comprendre que le client constitue un élément essentiel qui mérite sa place parmi les principale­s préoccupat­ions stratégiqu­es. Nos résultats sont également une invitation, durant la période de négociatio­n, à ce que des stratégies claires soient développée­s pour informer les clients sur les bénéfices futurs qu’ils vont tirer de la manoeuvre. Il s’agit de penser à des investisse­ments qui visent à améliorer la satisfacti­on des clients à court terme pour éviter qu’une partie d’entre eux rejette l’opération dans laquelle ils ne se retrouvent pas, au risque de se diriger vers les concurrent­s.

Par David Rutambuka, Enseignant-chercheur en Marketing et Analyse de données (IA), ICD Business School.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversati­on.

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(Crédits : DADO RUVIC)

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