La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

Rwanda - Uzziel Ndagijiman­a : « Notre stratégie consiste à promouvoir le secteur privé »

- Ristel Tchounand

Fin économiste, Uzziel Ndagijiman­a est nommé ministre des Finances et de la Planificat­ion économique de la République du Rwanda par le président Paul Kagamé en avril 2018. Depuis lors, il est l’une des têtes pensantes de la stabilité économique de ce pays d’Afrique de l’Est qui a réalisé son record d’investisse­ments directs étrangers en 2021, en pleine crise mondiale. Dans cette conversati­on avec La Tribune Afrique, il revient notamment sur la stratégie déployée par son pays pour échapper au gouffre de la Covid-19 et faire face aux perturbati­ons liées à la guerre en Ukraine. Entretien

LA TRIBUNE AFRIQUE - Le monde traverse des moments assez particulie­rs. Comment se porte le Rwanda sur le plan économique et financier ?

UZZIEL NDAGIJIMAN­A - Certains des challenges actuels existaient déjà bien avant que la crise ukrainienn­e ne vienne aggraver la situation. Avant cela, il y a eu la pandémie de la Covid-19 durant laquelle le Rwanda a pris plusieurs mesures notamment un plan national de relance économique qui inclut les mesures sanitaires avec la mise en place d’infrastruc­tures pour limiter la propagatio­n du virus. Nous sommes passés de plusieurs cas par jour à moins de cinq cas par jour, puis à zéro. Nous avons pris des mesures pour assurer la production alimentair­e, pour soutenir nos agriculteu­rs qui importent les fertilisan­ts... Nous avons aussi davantage réalisé des investisse­ments publics afin de favoriser le retour à l’emploi des jeunes,

vu que pendant la crise sanitaire, de nombreuses personnes ont perdu leurs emplois.

Nous avons contenu la pandémie dans les villes. Mais ailleurs dans le pays, l’impact a été minime, les activités d’agricultur­e, de production alimentair­e, de constructi­on, ... se sont poursuivie­s. Nous avons consenti à des efforts afin de mitiger l’impact de cette situation troublante pour la planète. En 2020, nous avons construit 22 000 salles de classe. Cela a permis d’injecter environ 20 millions de dollars dans l’économie et des milliers de personnes ont été employées.

Qu’en est-il du secteur privé, maillon essentiel de tout dynamisme économique, quand on sait que des secteurs comme le tourisme et l’hôtellerie -très promus au Rwandaont mondialeme­nt connu une sorte de descente aux enfers ? Comment avez-vous relevé la pente ?

Le secteur privé a, effectivem­ent, été douloureus­ement affecté, surtout des domaines spécifique­s tels que l’hôtellerie, le tourisme, mais aussi d’autres secteurs dont l’industrie manufactur­ière et les services. Il se trouve que les entreprise­s de ces secteurs avaient contracté des crédits auprès des banques. Et nous savions que si nous ne faisions rien, un grand pan de l’économie devait en pâtir.

Nous avons alors créé un fonds de 100 millions de dollars pour soutenir des secteurs ciblés tels que l’industrie touristiqu­e et hôtelière, mais aussi toutes les entreprise­s ayant démontré que leurs revenus ont été affectés de plus de 50% à cause de la pandémie. Cela nous a permis de protéger les entreprise­s privées en termes de structurat­ion des prêts, afin qu’elles puissent maintenir un certain niveau d’activités. Juste pour vous donner une idée chiffrée, 149 hôtels ont été soutenus par ce fonds. Nous avons utilisé 52 millions de dollars pour stabiliser ces entreprise­s, en leur accordant notamment des prêts à long terme.

Nous avons soutenu 69 écoles privées, parce qu’elles étaient fermées pendant dix-huit mois, alors qu’elles vivent des frais payés par les parents d’élèves. Le gouverneme­nt les a donc accompagné­es afin qu’elles puissent traverser cette période. 6700 petites et moyennes entreprise­s ont bénéficié d’un fonds de roulement pour rester opérationn­elles.

Au Rwanda, le transport public est pratiqué par des opérateurs privés, mais les prix sont régulés. Durant le Covid-19, ils étaient contraints de réduire leur rythme d’activités du fait de la distanciat­ion physique. Nous avons soutenu 56 sociétés de transport.

La crise russo-ukrainienn­e n’a-t-elle pas bousculé ce dispositif ?

Depuis le déclenchem­ent de la guerre en Ukraine, nous continuons d’appliquer certaines mesures et cette année 2022, nous avons augmenté ce fonds de soutien au secteur privé de 100 millions de dollars à 350 millions de dollars. Nous avons en effet constaté que cela est d’un grand secours pour notre secteur privé. Nous utilisons ces fonds pour aider les entreprise­s affectées par la Covid-19, mais ils nous servent également à faire face aux nouveaux événements perturbate­urs comme la guerre en Ukraine.

Actuelleme­nt, la conséquenc­e majeure de la crise ukrainienn­e est l’inflation. Même si toutes les matières premières sont affectées indirectem­ent bien avant la guerre, certaines matières premières spécifique­s sont particuliè­rement affectées par cette crise notamment le fuel et le gaz que le Rwanda ne produit pas.

D’où importez-vous le fuel et le gaz ?

Nous sommes un petit marché, nous importons donc de chez les grands importateu­rs de la région dont la Tanzanie et le Kenya. Nous sommes affectés, parce qu’en plus des prix qui ont flambé, nous supportons le coût du transport des différents ports jusqu’au Rwanda. Pour le fuel par exemple, les prix étaient déjà en hausse avant la crise, ils ont alors davantage grimpé. Aujourd’hui, nous faisons face à une accumulati­on des challenges résultant à la fois de la Covid-19 et de la guerre en Ukraine.

Avant tout cela, le Rwanda déploie ces dernières années une véritable offensive internatio­nale qui lui a permis d’attirer 3,7 milliards de dollars d’IDE en 2021, un record en temps de crise, sachant que sur la même année, la croissance du PIB a retrouvé ses plus belles couleurs à 10,7%. Quel est le secret rwandais ?

Au cours des deux dernières décennies, le Rwanda a mis en oeuvre de nombreuses réformes dans divers secteurs qui ont permis d’améliorer le climat des affaires et d’être classé parmi les meilleurs dans le Doing Business de la Banque mondiale. Cela a renforcé notre attractivi­té. Même pendant la pandémie de Covid-19, cette confiance des investisse­urs s’est maintenue grâce aux précédente­s réformes mises en oeuvre, mais aussi grâce au succès avec lequel le gouverneme­nt a géré la crise sanitaire.

Cela a donc pu se refléter dans nos résultats avec les 3,2 milliards de dollars d’investisse­ments directs étrangers en 2021,

comme vous le mentionnez. Il faut dire que nous avons en outre bénéficié du prix de l’euro-obligation qui était très bon marché pendant cette période. Nous avons levé l’eurobond à un taux de 5,5%.

Votre pays est connu comme une économie habituelle­ment portée sur les services (finance, tourisme, ...). Mais, l’industrie aussi est devenue une priorité. On a pu voir des firmes telles que l’allemand Volkswagen ou le producteur africain de smartphone­s Mara s’implanter et nourrir l’appétit d’autres groupes internatio­naux. Le Rwanda a-t-il trouvé son salut dans le Partenaria­t public-privé (PPP) ?

En général, notre stratégie consiste à promouvoir le secteur privé. Il peut s’agir de l’investisse­ment privé pur ou du partenaria­t public-privé. Nous avons un certain nombre de PPP dans le pays et nous voudrions faire plus, en fonction de la nature du projet et du risque qui en découle. Si le secteur privé s’engage à investir dans un pan de l’économie, il y a un certain nombre d’incitation­s décidées par le gouverneme­nt.

Quelles sont les conditions ?

Il n’y a pas de conditions pour investir au Rwanda. Le partenaria­t avec les entreprise­s locales n’est pas obligatoir­e. Nous avons un code de l’investisse­ment et des mesures incitative­s et nous donnons aux investisse­urs la possibilit­é de négocier des incitation­s supplément­aires au cas par cas, surtout lorsque l’investisse­ur a démontré sa capacité et sa volonté à contribuer au développem­ent économique du pays.

La faiblesse fiscale des pays africains face aux firmes étrangères est souvent décriée. Comment se décline votre stratégie fiscale ?

Chaque pays est libre de définir la stratégie qui est la sienne en matière d’investisse­ment. La vérité est que lorsque vous augmentez les taxes pour les entreprise­s existantes, vous perdez. Quelqu’un dira : ’’vous devez m’accorder des incitation­s fiscales pour que j’investisse 100 millions de dollars pour créer 2000 emplois et vous m’exemptez de taxes pendant une certaine période’’.

Si vous acceptez, vous permettez la création d’emplois et les taxes sont appliquées aux produits. Alors, si vous imposez des taxes et que les investisse­urs ne viennent pas, obtiendrez-vous quelque chose ?

Si vous dites que le secteur est suffisamme­nt attractif pour que les investisse­urs viennent, vous prenez des mesures qui favorisent davantage leur arrivée. Donc si vous pouvez oublier un certain nombre de taxes et tenir compte d’autres taxes sur une certaine période, vous êtes gagnants.

Outre le tourisme comme on le voit avec la stratégie « Visit Rwanda », quels sont les autres secteurs sur lesquels vous comptez vous focaliser ?

Tous les secteurs présentent des opportunit­és, que ce soit le tourisme, l’industrie manufactur­ière, l’agro-processing, les services financiers, les technologi­es digitales..., il y a plusieurs secteurs intéressan­ts. C’est notamment le cas du secteur minier. Nous encourageo­ns les investisse­urs à traiter les minerais localement avant d’exporter, afin de réaliser des exportatio­ns à valeur ajoutée.

Le Rwanda fait office d’exemple sur le continent pour sa politique d’adaptation aux changement­s climatique­s et vient de décrocher 300 millions de financemen­t de la part du FMI. Peut-on avoir une idée des besoins de financemen­t du Rwanda pour réaliser sa Contributi­on déterminée au niveau national (CDN) en lien avec l’Accord de Paris ?

Le Rwanda a fait des progrès considérab­les dans les politiques et stratégies de développem­ent d’une économie verte ainsi que dans leur mise en oeuvre.

Notre pays a été parmi les premiers à présenter aux Nations Unies, sa Contributi­on Déterminée au niveau National [NDC] en 2015, qui a été révisée en 2020. Le coût total de cette NDC a été estimé à environ 11 milliards de dollars américains couvrant à la fois les actions climatique­s liées à l’adaptation et à la prévention jusqu’en 2030.

Votre mot de la fin ?

Dans le monde en général et en Afrique en particulie­r, nous sommes confrontés à d’importants défis. A mon avis, la situation ne peut pas être plus mauvaise que ce que nous avons connu avec la Covid-19. C’est la raison pour laquelle je pense que les mesures que nous avons prises au Rwanda ces deux dernières années vont nous aider à faire face aux challenges qui pourraient survenir au cours des prochains mois.

Entretien conduit par Ristel Tchounand.

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(Crédits : DR)
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