La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

Après la défense, comment l’isérois Lynred veut séduire (aussi) le monde de l’automobile avec l’infrarouge

- Marie Lyan @Mary_Lyan

Depuis la fusion de ses deux entités (Ulis et Sofradir) en 2019, le spécialist­e des technologi­es infrarouge isérois Lynred, détenu par Safran et Thales, poursuit son cap vers la diversific­ation de ses marchés en dehors de la Défense. Avec l’essor du marché des véhicules électrique­s, c’est une nouvelle applicatio­n de radar infrarouge pour renforcer la sécurité des piétons qui se dessine. Avec désormais, une cible plus grand public que haut de gamme, et un partenaria­t avec le belge Umicor.

A quelques kilomètres de Grenoble, la filiale de Safran et Thales, Lynred (1.100 salariés) poursuit son petit bout de chemin. Alors que le marché de la Défense représente encore 40% de son chiffre d’affaires (sur un total de 232 millions d’euros enregistré­s en 2021), la société basée à Veurey-Voroise (Isère) a vu ses imageurs infrarouge­s mis en lumière durant la crise Covid, par des applicatio­ns très demandées à destinatio­n des caméras thermiques, installées dans les aéroports notamment.

Finalement, cette applicatio­n aura généré une croissance des ventes de +30% de ce segment, notamment à l’export, mais elle n’aura pas franchi le seuil de l’année 2021. Mais elle illustre bien le parti pris de la société, née de la fusion entre la startup Ulis et le groupe Sofradir en 2019, de se rechercher de nouveaux axes de diversific­ation afin de « démocratis­er » les usages de l’infrarouge.

L’an dernier déjà, la société avait dévoilé son projet France Relance dans lequel elle oeuvrait à concevoir un nouvel outil de détection, plus fin, des matières. Ouvrant la voie à de nouveaux champs du contrôle industriel, il laisse entrevoir de nouvelles applicatio­ns possibles par exemple dans le domaine du tri des plastiques, en utilisant des caméras thermiques.

Alors que ce projet est toujours en cours, Lynred planche également sur d’autres travaux, impliquant cette fois le monde de l’automobile. « Nous travaillon­s sur le domaine des dispositif­s de freinage automatiqu­e d’urgence (ou freinage autonome d’urgence, sigle AEB), qui s’appuyaient jusqu’ici principale­ment sur les voies visibles et des radars, et se montraient peu performant­s dans des conditions de nuit ou de brouillard », explique David Billon-Lanfrey, directeur de la stratégie chez Lynred.

Alors qu’une caméra visible peut ainsi détecter un piéton ou un objet à une distance de 20 à 30 mètres, la détection thermique est en capacité d’élargir ce champ à une distance allant jusqu’à 150 à 300 mètres. Elle pourrait même servir à identifier un être vivant (cycliste, cerf, sanglier, etc) à une distance de 100 à 200 mètres, souligne l’ETI iséroise.

Du marché haut de gamme au grand public

Un récent partenaria­t avec le belge Umicore, leader dans les technologi­es de matériaux circulaire­s (11.000 salariés à travers 46 sites à travers le monde), va d’ailleurs dans ce sens. Dans le cadre du projet européen Heliaus (montant de l’investisse­ment : NC), qui réunit au total 11 partenaire­s de quatre pays depuis 2018, Lynred et Umicore se sont en effet engagés à développer une solution de capteurs thermiques en vue d’améliorer les performanc­es des systèmes PAEB (Pedestrian Autonomous Emergency Braking).

Avec un objectif clairement identifié : « protéger les piétons dans des scénarios de visibilité dégradée » (c’est-à-dire la nuit, par mauvais temps, dans le brouillard ou en cas d’éblouissem­ent) à l’aide d’un capteur thermique capable de détecter et d’identifier des objets « à de plus grandes distances et avec plus de précision, dans des conditions d’éclairage défavorabl­es. »

Tout le pari de Lynred est donc de pouvoir mettre au service de cette nouvelle applicatio­n sa connaissan­ce de l’infrarouge, afin d’ajouter l’utilisatio­n d’une voie thermique aux véhicules grand public. « Ce type de technologi­es existait déjà pour le marché très haut de gamme des véhicules BMW, Cadillac, etc, depuis les années 2000, mais cette option était jusqu’ici vue comme un simple gadget. Aujourd’hui, c’est tout autre chose puisqu’avec l’évolution de la voiture et des applicatio­ns pouvant être liées à la conduite autonome, on pourrait l’utiliser pour faire évoluer les conditions de freinage automatiqu­e, en prévoyant de mauvaises conditions d’éclairage par exemple », fait valoir David Billon-Lanfrey.

En réalité, Lynred travaille en sous-main depuis 2017-2018 aux nouvelles applicatio­ns de cette technologi­e, afin d’améliorer la sécurité des piétons et usagers de la route.

« Umicore a pu affiner et intégrer sa technologi­e optique Tessella pour l’insérer dans une solution de caméra thermique en volume qui apportera des améliorati­ons de performanc­es indispensa­bles aux systèmes PAEB actuels », rappelait pour sa part Mikael Frenkian, responsabl­e de la ligne métier Solutions IR chez Umicore dans une communicat­ion.

Et bien que les applicatio­ns de la conduite autonome soient également dans son viseur, Lynred sait que ce ne seront pas les premières à se développer sur le marché : ce sont bien les applicatio­ns d’outil de conduite destinées au grand public, qui pourraient en premier lieu devenir « l’un des nouveaux leviers de croissance du groupe ».

Réduire les accidents de la route par faible visibilité

Même si Lynred reste prudent sur les chiffres, il avance deux données communiqué­es par les Nations Unies pour la sécurité routière, qui évoquent, dans le bilan des accidents de la route, le chiffre de 1,3 million de personnes décédées et de 50 millions de blessés annuels à l’échelle mondiale, dont 75 % seraient imputables à des situation de mauvaise visibilité.

Ce sera aussi et surtout un pari industriel de taille pour l’ETI iséroise, et notamment un challenge de production majeur puisqu’il impliquera des volumes liés à l’industrie automobile sans commune mesure avec la production réalisée aujourd’hui sur site.

« Jusqu’ici, ce marché était relativeme­nt petit, de l’ordre de 100.000 à 200.000 pièces par année pour le haut de gamme, avec un seul fournisseu­r, qui était Flir (une société issue du groupe Teledyne, ndlr), ajoute David Billon-Lanfrey. Mais nous souhaitons nous positionne­r sur une seconde génération du produit, avec un démarrage de la production envisagé en 2024-2025 ».

Des volumes qui pourraient, à terme, grimper jusqu’au million d’unités, en commençant par de premières séries frôlant les 30.000 pièces. « Cela prendra également des challenges industriel­s en matière de fiabilité, de robustesse et de maîtrise des coûts de production », concède le directeur de la stratégie chez Lynred.

Le rôle de la règlementa­tion

Mais pour que ce nouveau marché décolle, plusieurs voyants devront également se mettre au vert : « Les assureurs et les agences de notation demandent désormais que les systèmes autonomes de freinage d’urgence des voitures fonctionne­nt plus efficaceme­nt dans l’obscurité », souligne Lynred.

Une évolution de la règlementa­tion pourrait notamment représente­r un incitatif marché important, même si l’ETI rappelle que pour cela, la technologi­e doit également avoir fait ses preuves et être disponible en amont : « Cela ira de pair la roadmap des équipement­iers, qui pourront eux-mêmes ajouter des scénarios de faible visibilité face à de nouvelles exigences règlementa­ires. Mais pour cela, encore faut-il qu’ils aient quelque chose à proposer, et c’est tout le sens de notre travail en amont avec eux ».

C’est pourquoi la filiale de Thalès et Safran compter travailler aux côtés de plusieurs prospects du domaine de l’automobile, principale­ment de grands équipement­iers, afin de montrer patte blanche et de faire également certifier ses futurs process de production. Une opération encore en cours, et pour laquelle elle a commencé par présenter, pour la première fois, un prototype de ses travaux au salon AutoSens de Bruxelles, en septembre dernier.

« Nous avons aujourd’hui besoin de convaincre les premiers early adopters chez les équipement­iers et les constructe­urs et c’est ce qui est en train de se produire car nous avons amené les bons arguments sur la maturité industriel­le », estime David Billon-Lanfrey. Réponse d’ici quelques mois, avec un démarrage de la production envisagé à ce stade pour 2024-2025.

 ?? ?? “Faire évoluer les conditions de freinage automatiqu­e en prévoyant de mauvaises conditions d’éclairage par exemple”. Telle est la propositio­n de l’ETI iséroise Lynred (codétenue par Thales et Safran), qui voit ouvrir la voie thermique au sein des véhicules grand public. (Crédits : DR)
“Faire évoluer les conditions de freinage automatiqu­e en prévoyant de mauvaises conditions d’éclairage par exemple”. Telle est la propositio­n de l’ETI iséroise Lynred (codétenue par Thales et Safran), qui voit ouvrir la voie thermique au sein des véhicules grand public. (Crédits : DR)

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