La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

Entreprise­s en difficulté : « Le déni du dirigeant est le plus gros obstacle »

- Pierre Cheminade @PierreChem­inade

Inflation, énergie, trésorerie, PGE, pénurie de salariés... Face à ce cocktail inflammabl­e, beaucoup de chefs d’entreprise­s refusent d’admettre qu’ils sont en difficulté ou qu’ils pourraient l’être à court terme. Plusieurs profession­nels alertent à nouveau sur ce frein psychologi­que déterminan­t qui retarde la prise en charge et aggrave d’autant la situation. Un vrai problème alors que le nombre de procédures collective­s repart à la hausse et que l’année 2023 n’annonce rien de bon.

On ne le sait que trop bien : quand une entreprise est en difficulté, plus le temps passe, plus les chances de s’en sortir s’amenuisent. Pourtant, les solutions existent mais encore trop de dirigeants d’entreprise tardent à appuyer sur le bouton pour déclencher une procédure amiable ou même à consulter un profession­nel. Et même lorsqu’ils sont bien entourés, cela n’a rien d’évident :

”Une fois qu’on est convaincu que l’entreprise est en difficulté, il faut encore arriver à convaincre le chef d’entreprise ! Or, le déni du dirigeant est le plus gros obstacle à la prévention ! Pour des raisons psychologi­ques, familiales ou sociales, le chef d’entreprise s’interdit trop souvent de trouver des solutions”, témoigne Eric Gillis, le vice-président de l’Ordre des experts-comptables d’Occitanie, à l’occasion d’un point presse organisé à Bordeaux par Thémis Banque, établissem­ent spécialist­e des entreprise­s en difficulté.

”En 30 ans, on a peu progressé...”

Et pour briser ce frein psychologi­que, ”le lien de confiance est un facteur déterminan­t, il faut savoir être pédagogue sans être anxiogène”, juge Sébastien Vigreux. Administra­teur judiciaire à Bordeaux et Toulouse, il prévient, lui-aussi, que ”le retard de prise en charge d’une entreprise en difficulté fait augmenter la dette, qu’elle soit bancaire, fiscale, sociale ou vis-à-vis des fournisseu­rs.” Mais les mauvaises habitudes ont la vie dure, abonde maître Patrick Espaignet, avocat chez Fidal :

”Je suis désespéré de voir qu’en 30 ans, on a peu progressé sur la prise en compte plus en amont des difficulté­s. Les dirigeants d’entreprise croient toujours qu’il fera meilleur demain et attendent d’avoir le feu général à la maison avant d’agir. Mais quand le feu est partout, il est souvent trop tard.”

Pourtant, les solutions existent en activant des procédures amiables de conciliati­on ou de mandat ad hoc, qui sont confidenti­elles, permettent sous conditions de geler ou étaler les dettes, y compris les PGE (prêts garantis par l’Etat) et de recourir si nécessaire à des banques spécialisé­es telles que Thémis : “Nous sommes une banque judiciaire qui n’intervient que dans des procédures amiables, collective­s ou des plans de retourneme­nt. On est un médicament proposé par l’administra­teur judiciaire ou l’avocat pour trouver des solutions et apporter de l’argent frais adossé à des garanties spécifique­s. Ce sont souvent des ponts de trésorerie de quelques jours ou quelques mois”, résume Stéphan Recoulin, le délégué régional Occitanie.

Un cocktail inflammabl­e

Et si tous ces profession­nels prennent la parole c’est que le temps presse face à un cocktail économique particuliè­rement inflammabl­e. La crise Covid a pesé sur la trésorerie et l’endettemen­t bancaire, social et fiscal de beaucoup d’entreprise­s et, aujourd’hui, l’inflation, les tensions d’approvisio­nnement, le remboursem­ent des PGE et l’explosion de coûts de l’énergie laissent présager d’importante­s difficulté­s. Et c’est déjà le cas pour des entreprise­s du BTP, de la restaurati­on, du transport, des auto-écoles ou encore des commerces dans le bio.

”Le besoin en fonds de roulement était déjà souvent problémati­que mais là je vois des entreprise­s dont la facture énergétiqu­e est multipliée par quatre ou même par dix ! N’attendez-pas d’être dans cette situation pour vous préoccuper de ce choc énergétiqu­e, il faut anticiper, s’y préparer !”, alerte Sébastien Vigreux.

Des problémati­ques RH croissante­s

Sachant que les ressources humaines sont aussi un facteur clef : ”Je ne vois pas un chef d’entreprise qui n’a pas de problémati­que RH : recrutemen­t, absentéism­e, arrêts maladie, hausse salariale, etc. C’est devenu la norme”, indique Quentin Hardon, délégué régional.

Le résultat ce sont des procédures collective­s qui repartent à la hausse à Bordeaux et dans le reste du pays. En France, à fin octobre 2022, leur nombre a bondi de 38 % par rapport à 2021 mais reste inférieur de 19 % à 2019 et de 29 % à 2018. Les procédures amiables, après une hausse de 68 % sur un an en septembre 2022, sont à la baisse de 8 % en octobre 2022. Mais tous les profession­nels s’attendent à une année 2023 difficile puisque la pression va mécaniquem­ent s’accentuer sur les entreprise­s en difficulté avec la reprise des assignatio­ns de l’Urssaf à partir de janvier.

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Pixabay by mhouge)
En France, comme à Bordeaux, le nombre de procédures collective­s est en forte hausse par rapport à 2021 mais reste, pour l’instant, inférieur à l’avant Covid. (Crédits : CC Pixabay by mhouge)
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