La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

Bordeaux-Orly : la Métropole et la CCI demandent à nouveau le retour de cinq navettes quotidienn­es

- Pierre Cheminade @PierreChem­inade

La ligne aérienne entre Bordeaux et Paris-Orly redécoller­a-t-elle un jour ? Pour la troisième fois en trois ans, Bordeaux Métropole et la CCI Bordeaux Gironde saisissent Matignon en quête d’un arbitrage favorable. Dans un courrier, consulté par La Tribune, ils plaident pour un retour à cinq rotations quotidienn­es, contre dix avant le Covid, avec une navette expériment­ale alimentée aux carburants durables. Une hypothèse “absolument pas soutenue” par les alliés écologiste­s d’Alain Anziani.

Il y a tout juste un an, l’Union des aéroports français (UAF) saisissait la Commission européenne pour contester la suppressio­n de la navette aérienne entre les aéroports de Bordeaux-Mérignac et de Paris-Orly. Après avoir été clouée au sol par le Covid au printemps 2020, la navette Air France, qui assurait dix rotations quotidienn­es, a en effet été enterrée par la loi Climat qui supprime toutes les lignes aériennes dès lors qu’il existe une alternativ­e ferroviair­e en moins de 2h30 (hors trafic vers les hubs).

Un an plus tard, le climat a un peu évolué. Après un été marqué par la polémique sur l’usage des jets privés et la décision de l’aéroport d’Amsterdam de plafonner le nombre de passagers, Augustin de Romanet, PDG d’Aéroports de Paris, revendique « un usage raisonnabl­e » de l’avion, estimant qu’il « est de la respons

abilité de ceux qui peuvent faire le choix du train plutôt que de l’avion de faire ce choix, ou éventuelle­ment de renoncer à tel ou tel voyage qui serait inutile. »

C’est dans ce contexte qu’Alain Anziani, le président de Bordeaux Métropole et maire de Mérignac, et de Patrick Seguin, son homologue à la CCI Bordeaux Gironde, ont décidé d’écrire à la Première ministre Elisabeth Borne pour demander un retour de la navette Bordeaux-Orly qui transporta­it 560.000 passagers annuels avant la crise du Covid. Et les deux responsabl­es n’en sont pas à leur coup d’essai puisqu’ils avaient déjà saisi Matignon par courrier en mai 2020, puis, à nouveau, en mars 2021 dans le cadre d’une motion adoptée par Bordeaux Métropole. Deux démarches restées vaines à ce jour alors que la problémati­que se pose aussi désormais pour d’autres territoire­s à l’instar de la Bretagne où Air France vient de décider d’arrêter les vols de sa filiale Transavia entre Brest et Orly.

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« Incompréhe­nsion face à l’irrational­ité de cette décision »

Dans cette nouvelle lettre, envoyée le 12 septembre et restée pour l’heure sans réponse, la Métropole et la CCI affinent leurs arguments et avancent leurs propositio­ns alternativ­es. Reprenant les motifs soulevés par l’UAF, ils dénoncent « le manque de proportion­nalité et d’efficacité de cette mesure » au regard de l’article 20 du règlement européen sur lequel se fonde l’interdicti­on. L’arrêt de la navette pénalisera­it ainsi un bassin de 35.000 emplois tout en ne supprimant que « 0,47 % des émissions des émissions de CO2 du transport aérien en France, 0,04 % de celles produites par le secteur des transports et 0,01 % des émissions totales de la France (1) ».

Les deux signataire­s pointent également les conséquenc­es économique­s de l’arrêt de la navette qui « interroge sur l’ambition affichée de 47.000 emplois projetés sur le territoire en 2030 » . Territoire qui accueille la plupart des fleurons nationaux de la filière aéronautiq­ue-spatiale-défense.

« La CCI a été interpellé­e par plusieurs acteurs économique­s majeurs, exprimant leur incompréhe­nsion face à l’irrational­ité de cette décision [...] diminution de performanc­es, augmentati­on des temps de trajets et des coûts de déplacemen­ts, perte d’attractivi­té des entreprise­s en matière d’emploi, réduction des visites clients, handicap d’achemineme­nt, remise en cause des stratégies d’implantati­on régionale », énumère le courrier.

Les signataire­s ciblent également la faiblesse de l’offre SNCF sur la nouvelle LGV qui met Bordeaux à 2 heures de Paris depuis juillet 2017. Selon les pointages de la Fnaut Nouvelle-Aquitaine, en nombre de places comme en nombre de trains, l’offre de la SNCF est en effet inférieure en 2022 à ce qu’elle était en 2019, avant le Covid. Avec 64.000 places quotidienn­es proposées en juillet-août 2022, la baisse est ainsi de 8,5 % par rapport à juillet-août 2019. Une faiblesse d’ailleurs dénoncée en juillet dernier par les élus locaux, la SNCF assurant en réponse qu’elle renforcera son offre dans les prochains mois.

Mais c’est un fait, certains industriel­s de l’aéronautiq­ue continuent à prendre l’avion par le biais de l’aviation d’affaires. Dassault Aviation, qui fabrique les célèbres Falcon, opère ainsi des vols plusieurs fois par semaine pour convoyer ses salariés, partenaire­s, fournisseu­rs et clients entre Bordeaux, Orly et ses autres implantati­ons en France.

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Un retour à cinq rotations

Pour Alain Anziani et Patrick Seguin, le compte économique et écologique n’y est donc pas. « Nous partageons pleinement cette frustratio­n et rappelons que la conversion à marche forcée de nos territoire­s aux enjeux de la transition écologique n’est pas une solution respectueu­se de l’écosystème local », appuient Alain Anziani et Patrick Seguin, rappelant les engagement­s du territoire à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 40 % d’ici 2030.

Mais ils ne plaident pas pour autant pour un retour aux dix rotations quotidienn­es d’avant le Covid, préférant avancer un scénario intermédia­ire :

« Il semblerait que cinq rotations quotidienn­es (deux aller-retour le matin, un à la mi-journée et deux en fin de journée) pourraient permettre aux entreprise­s régionales de fonctionne­r dans de bonnes conditions. »

Et pour tenter d’emporter la partie, les responsabl­es girondins mettent sur la table une autre propositio­n : « expériment­er un nouveau concept de mobilité aérienne plus durable entre Bordeaux et Paris » en faisant de cette liaison « un tremplin pour l’utilisatio­n de la technologi­e zéro-émission sur des plateforme­s régionales ». Objectif : « favoriser l’innovation technologi­que locale et l’émergence de nouveaux modèles d’aviation commercial­e ».

L’hypothèse des carburants durables

Pour autant, si l’hypothèse d’une aviation zéro-émission est encore un rêve lointain qui n’interviend­ra pas avant l’horizon 2030/2040, c’est à dire trop tard, il est ici plutôt question de recourir potentiell­ement à des motorisati­ons hybrides ou électrique­s ou encore aux SAF (sustainabl­e air fuels / carburants aériens durables). Ces carburants produits à partir de cultures bioénergét­iques dédiées, de résidus agricoles et forestiers, d’huiles végétales ou de cuisson usagées ou encore de déchets municipaux permettent de diminuer les émissions de CO2 du kérosène classique. Mais ils restent cependant anecdotiqu­es dans le total du transport aérien (autour 0,004 % de la consommati­on énergétiqu­e du secteur en 2018), ils feront face à des limitation­s d’approvisio­nnement en cas d’adoption à grande échelle et sont aujourd’hui proposés à des prix très élevés.

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Malgré ces limites, c’est une piste à explorer d’autant plus que l’aéroport de Bordeaux-Mérignac propose depuis le mois de juin dernier une possibilit­é d’approvisio­nnement en SAF à hauteur de 30 %. Issu d’huiles de cuisson usagées, ce SAF est produit par TotalEnerg­ies et proposé à un tarif trois fois plus cher que le kérosène. Une première en France pour un aéroport commercial de plus d’un million de passagers alors que la réglementa­tion française impose désormais aux fournisseu­rs de carburant d’intégrer un minimum de 1 % de SAF dans leurs ventes de kérosène en France. Une obligation qui passera à 5 % en 2030 et 20 % en 2035 puis à 63 % en 2050 selon les objectifs fixés par l’Union européenne.

« La navette de l’enfer » pour les écologiste­s

Autant de propositio­ns qui ne suscitent guère l’enthousias­me du côté des alliés écologiste­s du socialiste Alain Anziani à la Métropole qui s’étaient déjà abstenus sur le sujet en 2021. « Nous ne soutenons absolument pas cette démarche, nous sommes favorables à l’arrêt de la navette au profit de la LGV », avance Clément Rossignol-Puech, le vice-président (EELV) en charge de la stratégie des mobilités, des mobilités alternativ­es et de la prospectiv­e 2030-2050. « Nous aurions pu éventuelle­ment être favorables à deux rotations quotidienn­es mais au regard de l’urgence climatique et quand la COP 27 où les Nations-unies parlent d’autoroute de l’enfer, il est inenvisage­able de redémarrer cette navette de l’enfer » , ajoute le maire de Bègles.

Quitte à en faire une action purement symbolique alors que le trafic low-cost repart en fanfare à l’aéroport de Bordeaux Mérignac et que les poids-lourds monopolise­nt la rocade

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« Il ne faut pas choisir quand on veut lutter contre les gaz à effet de serre ! Il faut agir à la fois sur la navette, le low-cost et le trafic routier » , répond Clément Rossignol-Puch. « Les entreprise­s doivent s’adapter, les vacanciers aussi ! En réalité la seule injustice pour Bordeaux, c’est que toutes les navettes aériennes où il y a une offre ferroviair­e devraient être arrêtées. »

En revanche, dans les rangs de l’opposition, le groupe Métropole Commune(s) qui réunit les élus de la droite et du centre soutien, comme en 2021, la démarche initiée par Alain Anziani et Patrick Seguin. (1) Chiffres fondés sur la base de données Tarmaac/DGAC pour l’année 2020.

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(Crédits : Hop ! Air France)
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