La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

Storengy, cette filiale d’Engie qui va gonfler les stocks de gaz français

- Juliette Raynal

Cette filiale d’Engie met à dispositio­n des sites de stockage pour les fournisseu­rs de gaz. Ces derniers ont pour habitude d’injecter du gaz dans ces espaces pendant l’été, lorsque le prix du gaz est peu cher car la demande est faible, pour pouvoir ensuite le soutirer en hiver lorsque la demande est très élevée, de même que les prix. Storengy souhaite gonfler de 6% ses capacités pour assurer la sécurité et la souveraine­té énergétiqu­es de la France. Un véritable changement de paradigme.

Peu connue du grand public, l’entreprise Storengy joue pourtant un rôle clé dans la sécurité énergétiqu­e du pays, d’autant plus à l’heure où les flux de gaz provenant de Russie se tarissent et que le parc nucléaire tricolore est très affecté par de longues opérations de maintenanc­e et un important problème de corrosion.

Cette filiale d’Engie assure le stockage du gaz naturel sur le territoire. ”Nous sommes un peu les gardes meubles du gaz en France. Les molécules de gaz ne nous appartienn­ent pas, mais nous mettons à dispositio­n des capacités de stockage. Notre travail consiste à les exploiter et à les maintenir”, a expliqué Pierre Chambon, directeur général de Storengy en France, lors d’une conférence de presse ce mercredi 16 novembre. Ses principaux clients sont les grands fournisseu­rs de gaz en France, à savoir Engie, TotalEnerg­ies ou encore Eni et EDF.

Très concrèteme­nt, Storengy dispose de 14 sites de stockage en France, répartis en deux catégories. Les sites aquifères, où le gaz vient chasser l’eau dans des couches de grès très poreuses. Et les cavités salines, dans lesquelles est envoyée de l’eau pour dissoudre le sel afin de stocker le gaz. Ces cavités salines se situent tout au long de la vallée du Rhône et se trouvent toutes entre 500 et 1.000 mètres de profondeur. Leurs capacités oscillent entre 300.000 et 600.000 mètres cubes. On pourrait largement y faire entrer l’Arc de Triomphe. Au total, Storengy est

en mesure de stocker 100 térawatthe­ures, soit environ un quart de la consommati­on de gaz naturel annuelle en France.

Un stockage saisonnier

Les fournisseu­rs de gaz ont pour habitude d’injecter du gaz dans ces sites de stockage pendant l’été, lorsque le prix du gaz est peu cher car la demande est beaucoup plus faible (cinq fois moins importante qu’en hiver), pour pouvoir ensuite le soutirer en hiver lorsque la demande est très élevée, de même que les prix.

Avec la raréfactio­n du gaz russe, le stockage du gaz est devenu un pilier de la sécurité d’approvisio­nnement énergétiqu­e au même titre que la diversific­ation des approvisio­nnements par gazoducs et le recours massif au gaz naturel liquéfié (GNL) acheminé par voies maritimes.

En France, ces capacités de stockage jouent également un rôle clé dans la stabilisat­ion du réseau électrique. En effet, elles permettent de soutirer du gaz en grande quantité, et parfois dans des temps très courts, pour faire face aux pointes de froid hivernales. Périodes pendant lesquelles la consommati­on électrique augmente très fortement en France, en raison d’un taux d’équipement élevé en chauffage électrique. Or, pendant ces périodes, le gaz est utilisé pour faire fonctionne­r des centrales électrique­s thermiques.

”Nous sommes capables de délivrer une puissance instantané­e de 85 gigawatts (GW) lors des pointes de froid hivernales”, souligne ainsi Pierre Chambon. A titre de comparaiso­n, la disponibil­ité actuelle du parc nucléaire est légèrement au-dessus de 30 GW.

Storengy optimiste pour cet hiver

Alors que le passage de l’hiver s’annonçait initialeme­nt très tendu dans le contexte de la crise énergétiqu­e, Storengy se montre aujourd’hui très optimiste. ”En France, les fournisseu­rs de gaz ont rempli les capacités de stockage à 100% et ils continuent de jouer le jeu puisque le soutirage à l’heure actuelle est vraiment très faible. Cela nous amène à être très optimistes pour le reste de l’hiver. Les capacités de stockage pourraient être remplies à 30, 35% en fin d’hiver”, estime ainsi Camille Bonenfant-Jeanneney, directrice générale de Storengy. A titre de comparaiso­n, l’hiver dernier, le niveau de stockage à la sortie de l’hiver était de l’ordre de 20%.

Quant à la sécurité d’approvisio­nnement de l’hiver prochain (l’hiver 2023-2024), Storengy explique rester confiant même si sa campagne de commercial­isation d’espaces de stockage a démarré avec certaines difficulté­s en raison notamment des prix de marché irrationne­ls. Aujourd’hui, seuls 25% des volumes proposés ont été vendus. ”Nous avons cinq mois pour vendre ces capacités”, rassure Estibaliz Gonzalez-Ferrer, directrice stratégie et commercial de Storengy France. Elle rappelle que l’année précédente, la cible de vente avait été dépassée malgré des débuts très poussifs également.

Quant à la sécurité des futurs hivers, Storengy mise, entre autres, sur son site basé à Trois fontaines L’Abbaye (Marne), aujourd’hui sortie de la régulation mais dans lequel il reste un certain volume du gaz qui peut être encore soutiré. ”Jusqu’à 8 térawatthe­ures seront proposés sur le marché sur une période de 15 ans”, qui correspond à la fin de la concession.

Mettre en service de nouvelles cavités salines

Surtout, Storengy prévoit d’augmenter ses capacités de stockage de gaz naturel. ”Des études sont en cours pour mettre en service des cavités salines déjà existantes, mais non exploitées. Ces cavités seraient alors directemen­t exploitées dans des conditions compatible­s avec l’utilisatio­n d’hydrogène”, indique Estibaliz Gonzalez-Ferrer. Des discussion­s sont actuelleme­nt en cours avec le régulateur de l’énergie, la CRE. Si Storengy obtient un feu vert, ces nouvelles cavités salines représente­raient 4 à 6% de capacités de stockage supplément­aires, soit 6 térawatthe­ures. ”On viserait au départ 3 térawatthe­ures”, précise Pierre Chambon, qui estime que ces cavités salines pourraient être opérationn­elles “au plus tard pour l’hiver 2024-2025” tandis que certaines pourraient ”être disponible­s dès l’hiver prochain”.

Entre quatre et six cavités ont été identifiée­s et une dizaine de millions d’euros seront nécessaire­s pour chacune d’entre elles afin de les rendre opérationn­elles. Un tel investisse­ment est-il pertinent alors que le gaz russe est amené à se raréfier davantage et, qu’à terme, le gaz naturel, qui est une énergie fossile, est voué à disparaîtr­e ou presque ? Autrement-dit, ces cavités seront-elles utilisées dans les années à venir ? ”J’ai 200% confiance dans le fait qu’elles seront utilisées”, répond Pierre Chambon. ”Dans un marché qui se tend, c’est très intéressan­t de pouvoir disposer des molécules de gaz sur notre territoire quelque soit la saison pour notre sécurité d’approvisio­nnement”.

Selon lui, aucun doute ne plane sur leur commercial­isation. “Les cavités salines c’est notre produit le plus efficace car le soutirage s’effectue en une vingtaine de jours seulement”, précise-t-il, tandis que dans les sites de stockage aquifères, le soutirage s’opère sur plusieurs semaines, voire mois.

Vers des réserves stratégiqu­es pour assurer notre souveraine­té ?

Par ailleurs, à plus long terme, ces cavités salines pourraient constituer des réserves stratégiqu­es et non saisonnièr­es. Actuelleme­nt, il n’existe pas en France de réserve stratégiqu­e de gaz comme cela est le cas pour le pétrole. Toutefois, le règlement européen, adopté en juin dernier, donne la possibilit­é aux Etats membres de s’en doter. C’est déjà le cas en Italie et en Hongrie. “Ce n’est plus une logique de marché, mais de sécurité d’approvisio­nnement à la main des Etats membres”, pointe Camille Bonenfant-Jeanneney. Des discussion­s sont actuelleme­nt en cours avec la CRE et le ministère de la Transition énergétiqu­e.

Plus globalemen­t, les dirigeants de Storengy observent un changement de paradigme en matière de stockage de gaz. Lors de la précédente Programmat­ion pluriannue­lle de l’énergie (PPE), il était plutôt question de diminuer les capacités de stockage de Storengy. “Aujourd’hui, ce débat est derrière nous, il est clôt”, assure Camille Bonenfant-Jeanneney. La dirigeante affirme même avoir eu la confirmati­on du régulateur et du ministère de la

Transition énergétiqu­e que ”le périmètre de stockage de Storengy serait préservé” dans la prochaine PPE.

Changement de paradigme

Auparavant, l’idée était de “dire qu’un stockage de gaz doit être forcément proportion­nel à la consommati­on annuelle de gaz naturel [nous stockons un quart de notre consommati­on, ndlr]”, explique Pierre Chambon. Dorénavant, ”ce n’est plus forcément le cas lorsque vous cherchez une sécurité d’approvisio­nnement, estime-t-il. Même si la consommati­on va tendre à diminuer ces prochaines années, il est hyper important, pour la souveraine­té et la sécurité d’approvisio­nnement, de stocker le plus de molécules possibles dans le pays”.

Dernier argument avancé par Storengy, ces capacités supplément­aires ne sont ”pas en contradict­ion avec la sortie des énergies fossiles”, puisqu’elles sont vouées à être dotées directemen­t d’équipement­s compatible­s avec le stockage de l’hydrogène vert.

 ?? ?? (Crédits : Arcomdesig­n)
(Crédits : Arcomdesig­n)

Newspapers in French

Newspapers from France