La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

« L’éloge du bien être » versus « Les beaux discours sur le sens »

- Didier Pitelet

OPINION. La quête de sens est le sujet qui depuis des années fait couler beaucoup d’encre avec son lot de contre sens et de sens uniques. Par Didier Pitelet, Président Fondateur de La Maison-Henoch Consulting

La plupart du temps, il s’agit d’adéquation­s entre valeurs personnell­es et profession­nelles, équilibre vie pro/perso ; ces sujets récurrents sont le miroir des difficulté­s à comprendre une forme de simplicité de la relation humaine et une certaine facilité à importer des concepts et des modes. S’ils étaient aussi importants, il y a bien longtemps qu’ils seraient traités et des réponses trouvées.

Pourquoi, lorsque l’on parle de sens, on a le sentiment confus de tourner en rond ?

Bien sûr, il y a des variantes qui viennent pimenter le sujet comme les nouvelles génération­s forcément différente­s, la digitalisa­tion... Le sens est devenu un marronnier du verbiage Rh.

Mais à y regarder de près, il est surtout devenu le faire valoir des injonction­s paradoxale­s que l’économique impose à l’humain. Ces injonction­s ont progressiv­ement, en une vingtaine d’années, dénaturé la place de l’humain dans les organisati­ons d’entreprise. La logique système ayant pris le pas sur celle de la valorisati­on des Talents, chacun doit entrer dans le moule de ladite organisati­on.

Au moment où sont fêtés les 50 ans du discours d’Antoine Riboud, Patron de BSN devenu Danone, sur la double ambition économique et humaine de l’entreprise, force est de constater la difficulté permanente, voir le malaise, à assumer son ambition humaine, dans un monde hyper-financiari­sé.

Entreprise­s à mission, Raison d’être, RSE, QVT, les actions ne manquent pas pour tenter de connecter la lettre et l’esprit de la lettre. En miroir, se dressent pourtant la grande démission, le désengagem­ent, l’entreprise buissonniè­re...

Pour illustrati­on, je visitais le siège d’une très grande entreprise dont les bureaux sont dignes d’un hôtel 5 étoiles : mobilier de designer, plusieurs restaurant­s bistronomi­ques, espaces détentes à tous les étages, Babyfoot, Roof Top... Incroyable ! Pour quel bénéfice ?

On s’attend à une adhésion de folie des salariés, une attractivi­té à faire pâlir les concurrent­s, une réputation solide... Douche froide, l’entreprise souffre comme les autres d’un turnover qui explose et de difficulté­s pour recruter. Cherchez l’erreur.

Cette anecdote est à l’image de l’époque : on coche toutes les cases du politiquem­ent correct et des bons outils du design, mais on oublie l’essentiel : la relation humaine.

En transforma­nt l’entreprise « en hôtel de luxe du travail » avec du 100% flex office et ses petits casiers comme dans le vestiaire d’une salle de sport, on ne peut remplacer le vide existentie­l de la reconnaiss­ance par les artifices du design ; aux fondamenta­ux de l’esprit d’équipe se sont substitués ceux du bien-être qui transforme­nt les salariés en consommate­urs de temps et d’espaces profession­nels.

Donner du sens au travail par les attributs du paraitre et non de l’être, on crée une rupture inédite entre les Humains qui s’estiment être tout, sauf une ressource !

La consommati­on du travail comme un accessoire de vie est tendance, en particulie­r chez les plus jeunes. À force de clientélis­me, « les candidats clients » n’en font qu’à leur tête.

A y regarder de plus près, c’est le rejet de l’anonymat qui est en cause : quelle est mon utilité profonde ? En quoi suis-je reconnu pour ce que je fais et ce que je suis pleinement ? Face aux incantatio­ns des process qui déresponsa­bilisent, l’Humain prend sa vie en main et veut être fier de ce qu’il produit, quels que soient le produit ou le service.

Être fier de sa production et non de sa contributi­on diluée dans la logique systémique est bien plus qu’une revendicat­ion passagère, mais le résultat de 40 ans de tartufferi­e managérial­e importée plus ou moins d’outre-Atlantique. Un exemple caricatura­l, l’organisati­on matriciell­e qui, sous couvert d’efficacité, est en réalité le plus grand flicage qui existe et la source de maux psychologi­ques hallucinan­ts.

Nous entrons dans l’ère du bienfaire et du bon sens.

Les organisati­ons, les marchés financiers, les politiques en sont loin, mais sous l’impulsion de la génération Z c’est irréversib­le. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder les nouveaux comporteme­nts qui ne sont ni agressifs ni contestata­ires, mais assumés.

Comme le dit Jean Viard, « C’est la victoire de l’art de vivre sur l’art de produire ».

Ce monde du paraitre et de l’avoir va faire de moins en moins recette au profit d’entreprise­s authentiqu­es pour qui la considérat­ion de leur équipe est leur raison d’être. Retrouver des rapports humains simples et honnêtes au sens « je m’intéresse vraiment à toi » peut s’apparenter à une révolution pour des décideurs « dressés » et éduqués à un modèle centré sur le tout financier. Si la culture, les valeurs, l’identité ne sont pas incarnées et partagées, la plus belle entreprise ne sera qu’une simple coquille vide sans âme et sans fierté !

Authentici­té, Considérat­ion, Transmissi­on forment désormais une ternaire « boussole » pour sublimer l’Humain en entreprise.

Il est grand temps de faire l’éloge du bien faire individuel et collectif et d’organiser le vivre -ensemble en fonction.

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(Crédits : DR)

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