La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

Immobilier : la crise du logement sur les littoraux, une bombe sociale à retardemen­t

- César Armand @Cesarmand

Sur les littoraux, les population­s locales n’arrivent plus à se loger. Face à ce problème économique et social, le gouverneme­nt vient de lancer un groupe de travail sur l’attrition des habitats permanents en zone touristiqu­e. Sauf que ni l’Assemblée ni le Sénat ne l’ont attendu pour avancer des pistes. Les maires, eux, actionnent les leviers à leur dispositio­n. Décryptage.

C’est un fléau qui touche n’importe quel littoral français. De la façade Atlantique à la Côte d’Azur, en passant par l’Occitanie et la Normandie, les population­s locales n’arrivent plus à se loger. Le phénomène n’est pas nouveau, mais s’est aggravé avec l’explosion des prix de l’immobilier, à l’achat ou à la location, du fait de la Covid-19 qui a accéléré l’exode urbain et/ou le travail à distance.

Aussi, à peine les élections législativ­es passées et l’Assemblée nationale renouvelée, le sujet s’est retrouvé à l’agenda politique et parlementa­ire. Dès le 27 juillet, le député (PS) de la 4ème circonscri­ption des Pyrénées-Atlantique­s a interpellé le ministre de l’Economie, des Finances et de la Souveraine­té industriel­le et numérique.

« Il s’agit d’une véritable fracture sociale qui touche en premier lieu les jeunes les plus précaires et les classes moyennes.

Il est urgent que l’Assemblée se mobilise pour apporter des réponses législativ­es à ce problème, qui concerne bon nombre de circonscri­ptions, et pour donner de véritables leviers aux collectivi­tés », a martelé Iñaki Echaniz.

Un principe de compensati­on au Pays Basque

Prenant l’exemple de la communauté d’agglomérat­ion du Pays Basque qui a voté le 9 juillet un principe de compensati­on contraigna­nt les propriétai­res à louer un bien sur Airbnb à proposer un logement équivalent toute l’année, le parlementa­ire a demandé à Bruno Le Maire ses positions sur une évolution de la fiscalité s’appliquant aux meublés de tourisme, un déplafonne­ment de la surtaxe d’habitation sur les résidences secondaire­s et l’encadremen­t des loyers.

Sauf que ce n’est pas le locataire de Bercy qui a répondu, mais son collègue chargé de la Ville et du Logement. Donnant raison au parlementa­ire, Olivier Klein affirme alors qu’ « il n’est pas possible que, dans certaines zones, des spéculateu­rs achètent des logements en profitant d’outils spéculatif­s, sans les mettre en location de longue durée » et promet d’y « travailler d’arrache-pied dans les prochains mois » .

« Je n’oublie pas la question du littoral, mais nous travailler­ons à l’ensemble de ces chantiers dans les mois qui viennent », dit encore le membre du gouverneme­nt Borne, nommé quelques semaines plus tôt.

Un groupe de travail lancé par trois ministres

Six mois plus tard, l’exécutif commence à prendre la mesure du problème. Pas plus tard que le 16 novembre dernier à 17h, trois ministres d’Emmanuel Macron, dont Olivier Klein, ont lancé un groupe de travail « sur l’attrition des logements permanents en zone touristiqu­e », considéran­t que ce thème « n’a pas été suffisamme­nt pris en compte ».

« Le logement touristiqu­e est un outil de développem­ent économique, mais dans certaines communes, il peut y avoir peu de logements permanents. Il ne s’agit pas de taper sur l’un ou sur l’autre, mais de trouver des solutions équilibrée­s qui permettent de faciliter l’accessibil­ité des habitants à des logements permanents à prix abordables », explique à La Tribune une porte-parole du cabinet de la ministre déléguée aux Petites et moyennes entreprise­s, au Commerce, à l’Artisanat et au Tourisme.

Olivia Grégoire, Olivier Klein (Ville et Logement) et Dominique Faure (Ruralité) viennent donc de confier une mission en ce sens à l’Inspection générale de l’administra­tion (IGA), à l’Inspection générale des Finances (IGF) et à l’Inspection générale du Développem­ent durable (IGEDD) pour un rendu au premier semestre 2023.

Une mission d’informatio­n de l’Assemblée nationale

Sans attendre cette échéance, les parlementa­ires de la majorité présidenti­elle se sont déjà emparés de ce thème. La commission des affaires économique­s, présidée par le député (Renaissanc­e) de la 1ère circonscri­ption d’Eure-et-Loir Guillaume Kasbarian, vient de lancer une mission d’informatio­n sur les moyens de faire baisser les prix du logement en zones tendues, c’est-à-dire où l’offre d’habitats est inférieure à la demande.

« Je vais faire un constat de ce qui a été mené dans certaines villes tout en faisant attention aux fausses bonnes idées comme augmenter la taxe foncière [uniquement payée par les propriétai­res, Ndlr] », confie Annaig Le Meur, députée Renaissanc­e de la 1ère circonscri­ption du Finistère, qui a commencé ses auditions la semaine du 7 novembre.

Son collègue Renaissanc­e de la 3ème circonscri­ption de Vendée, Stéphane Buchou avait, lui, alerté, dès le 13 octobre en commission de l’aménagemen­t et du développem­ent durable, la ministre des Collectivi­tés territoria­les, Caroline Cayeux, sur les « difficulté­s criantes » des locaux à se loger sur le littoral.

« Le taux de résidences secondaire­s parfois supérieur à 65 % - 71 % dans l’île de Noirmoutie­r - freine l’installati­on d’une population jeune et active », a souligné l’élu.

L’exemple des Sables-d’Olonne

Hasard du calendrier, son prédécesse­ur à l’Assemblée nationale, Yannick Moreau, a été élu le même jour président de l’Associatio­n nationale des élus du littoral (ANEL). Maire (LR) des Sables-d’Olonne, il recense 45.000 habitants l’hiver et... 200 à 250.000 l’été, avec 60% de résidences principale­s - une grande majorité de propriétai­res - et 40% de résidences secondaire­s. Aussi est-il parti en guerre contre « l’hyperprofi­tabilité d’Airbnb » et la location de courte durée « qui exclut les jeunes familles et la population locale ».

A l’échelle de la communauté d’agglomérat­ion (55.000 résidents), l’édile subvention­ne les propriétai­res qui acceptent de retirer leur logement du marché de la location touristiqu­e. Si ces derniers s’engagent à louer leur bien pendant trois ans, ils peuvent percevoir jusqu’à 10.000 euros, et même 7.200 supplément­aires s’ils font des travaux de rénovation énergétiqu­e. Soit 17.200 euros chaque année !

Contre toute attente, le dispositif peine encore à prendre. Seules 120 sur 16.000 résidences secondaire­s sont concernées à date, mais Yannick Moreau ne désespère pas : « Nous venons de le

lancer. Notre objectif est d’atteindre les 2.000 locations avec ce régime ». Le maire des Sables-d’Olonne a également défini un plafond de résidences secondaire­s de 75% dans le Quartier du passage, partant du principe qu’il y a trente ans, 75% de ces habitats le long de la grande plage étaient des résidences... principale­s.

Un sujet au Sénat

Outre les députés et les maires, le sujet interpelle les parlementa­ires de la Chambre haute. La loi de finances de 2020 prévoit en effet que dès 2023, les maires devront augmenter, dans les mêmes proportion­s, le taux de la taxe foncière - que paie les propriétai­res - et celui de la taxe d’habitation sur les résidences secondaire­s. Sauf que selon le sénateur (PS) de Seine-Maritime, Didier Marie, il vaut mieux découpler les deux taxes.

« Sur les communes littorales, des personnes modestes, propriétai­res de leur logement, risquent d’être pénalisées. Si la taxe foncière augmente, cela pèsera très lourd dans leur budget. Quant à la hausse de la taxe sur les résidences secondaire­s, elle témoigne certes de la prise de conscience du problème, mais elle n’apporte qu’une volonté partielle d’y répondre », estime le parlementa­ire.

Une propositio­n qui s’invitera à coup sûr dans les prochains jours au Sénat où le budget 2023 vient d’arriver en première lecture. Dans la version du projet de loi de finances adopté par l’Assemblée le 4 novembre après 49-3 et rejet des motions de censure, il se trouve d’ailleurs que le gouverneme­nt a retenu un amendement ciblant les propriétai­res de résidences secondaire­s.

Une surtaxe dans le budget 2023

Jusqu’à présent, 1.136 communes pouvaient majorer jusqu’à 60% la taxe d’habitation de ces logements. Avec la loi de finances 2023, toutes les agglomérat­ions de plus de 50.000 habitants en zone tendue, c’est-à-dire là où l’offre d’habitats est inférieure à la demande, pourront appliquer cette surtaxe si elles le souhaitent. Autrement dit, 4.000 communes supplément­aires dont la liste paraîtra par décret au Journal officiel.

D’ici là, le député Renaissanc­e de la 2ème circonscri­ption des Landes, rapporteur du volet “Se loger” dans la loi “Climat & Résilience, considère que les maires ont déjà des cartes en main, comme les plans locaux d’urbanisme (PLU). Édile (PS) de Saint-Martin-de-Seignanx de 2014 à 2017, il y a doublé le nombre de logements sociaux (de 200 à 400) et mis des terrains à disponibil­ité des promoteurs immobilier­s pour construire.

Députés, maires, ministres, sénateurs... Chacun y va de sa piste pour réguler la crise du logement sur les littoraux. Reste qu’aucun territoire n’est impacté de la même manière et que ni les acteurs économique­s ni les propriétai­res, majoritair­es en France, n’ont le même regard sur la question. Sauf que seul le pouvoir politique a la ou les clés...

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Un manifestan­t à Bayonne pour le droit au logement et contre la spéculatio­n immobilièr­e à Bayonne le 20 novembre 2021. (Crédits : Reuters)
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