La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

Accord en vue entre Paris et Berlin pour sécuriser les importatio­ns d’électricit­é allemande

- Marine Godelier

Tandis que l’Hexagone risque de manquer de courant cet hiver, et son voisin allemand de gaz, les deux pays devraient signer dès la semaine prochaine un accord afin de sécuriser les volumes qu’ils échangeron­t pour éviter le pire. Néanmoins, côté allemand, les capacités d’exportatio­n d’électricit­é resteront limitées, et Berlin pourrait ne pas en produire suffisamme­nt pour secourir systématiq­uement la France lors des périodes de pointe.

Alors que la France risque de manquer cruellemen­t d’électricit­é dans les prochains mois, le gouverneme­nt tente de sécuriser à tout prix le passage de l’hiver. Et cherche activement des parades afin d’éviter les coupures, dont les conséquenc­es pourraient s’avérer catastroph­iques. De fait, le risque de tensions sur le réseau national est désormais « élevé », a alerté ce vendredi le gestionnai­re du réseau de transport d’électricit­é RTE, à cause d’un manque de disponibil­ité des réacteurs nucléaires, dont la remise en marche tarde plus que prévu. Résultat : au fur et à mesure que les températur­es chutent, le scénario du pire tant redouté se profile...

Pour s’en écarter, l’Hexagone compte d’abord se reposer sur son voisin allemand. Car il ne sera pas possible de pallier le manque critique de marge de la France sans recourir massivemen­t aux électrons provenant d’outre-Rhin, nécessaire­s pour répondre à la demande à venir. « Les exportatio­ns vers la France devront se faire au maximum de leurs capacités [...] C’est un point crucial », souligne-t-on au ministère de la Transition énergétiqu­e. Puisque

la France manque de courant et l’Allemagne de gaz, un échange de bons procédés entre les deux pays devrait ainsi prémunir les deux puissances économique­s d’un scénario noir, ponctué de pénuries et autres rationneme­nts.

Dans ces conditions, l’Hexagone devrait signer un accord avec le gouverneme­nt du chancelier Olaf Scholz « d’ici à la semaine prochaine », a fait savoir l’exécutif ce vendredi, de manière à s’assurer qu’il « joue le jeu de la solidarité ». Celui-ci pourrait être approuvé lors de la visite à Berlin de la Première ministre française, Élisabeth Borne, prévue jeudi prochain.

Moins de puissance nucléaire que prévu

Il faut dire qu’en France, la situation est telle que le pays importe déjà massivemen­t son courant. Rien que de janvier à mars, l’Hexagone a acheté pas moins de 6.000 gigawatthe­ures (GWh) d’électricit­é à l’Allemagne. Ce qui équivaut à 5% de la production totale du pays ce trimestre, selon le groupe de réflexion Fraunhofer ISE, et représente une multiplica­tion par cinq par rapport à la même période l’an dernier.

Surtout, malgré le répit offert pas les températur­es anormaleme­nt douces enregistré­es ces dernières semaines, les prévisions s’assombriss­ent. En effet, alors qu’EDF avait prévu la semaine dernière une disponibil­ité de 48 gigawatt (GW) de ses réacteurs au 1er janvier, RTE mise désormais sur 40 GW seulement, soit 65% de la capacité installée mobilisabl­e en plein hiver. Et pour cause, le pays fait actuelleme­nt face, au pire moment possible, à un défaut de corrosion identifié dans plusieurs installati­ons nucléaires dont les causes et l’évolution restent inconnues.

À cela s’ajoute un défaut structurel : ces dernières années, la France a fermé nombre de ses capacités, de la centrale nucléaire de Fessenheim aux centrales à charbon polluantes... sans pour autant les remplacer par des moyens de production équivalent­s, entre retards sur le chantier de l’EPR de Flamanvill­e et atermoieme­nts sur l’installati­on d’éoliennes et de panneaux solaires. L’Allemagne, elle, a conservé plus de marges, d’autant que le pays a décidé de garder en activité pas moins de 14 gigawatts (GW) de centrales à charbon qui devaient fermer cette année, et de prolonger l’activité de ses trois dernières centrales nucléaires.

Possible arrêt temporaire des exportatio­ns d’électricit­é

Cet accord avec Berlin devrait ainsi permettre d’éviter le pire. Mais encore faut-il que les besoins de la France restent limités, puisque les livraisons d’électricit­é depuis l’Allemagne ne sont pas infinies. Elles risquent en effet d’être rapidement restreinte­s par des freins techniques, notamment lors des pointes de demande.

« Il faut s’attendre à des goulets d’étrangleme­nt liés aux capacités d’interconne­xion des réseaux, aujourd’hui limitées à 13 GW environ. C’est pour cela qu’en période de tension, il y a toujours des congestion­s aux frontières. Cela explique aussi que le prix de gros ne soit pas le même partout », expliquait il y a quelques mois à “La Tribune” Jacques Percebois, économiste et directeur du Centre de recherche en économie et droit de l’énergie (CREDEN).

Par ailleurs, l’Allemagne elle-même pourrait finir par manquer de courant. Début octobre, Hendrik Neumann, le directeur technique d’Amprion, le plus grand des quatre opérateurs de réseaux électrique­s allemands, a averti dans le Financial Times qu’un arrêt temporaire des exportatio­ns d’électricit­é pourrait devenir nécessaire en « dernier recours » afin d’éviter les pénuries d’électricit­é et les goulets.

Agir sur la demande avec les écogestes

Face à ces incertitud­es, le gouverneme­nt français compte également sur les citoyens pour diminuer leur consommati­on électrique en période de tension. Il a d’ailleurs lancé il y a quelques semaines une campagne de communicat­ion pour informer sur les écogestes, afin d’agir sur la demande, à défaut de pouvoir augmenter l’offre. Et s’appuie sur un nouvel outil développé par RTE et l’Ademe, baptisé Ecowatt, qui permettra de savoir quand il sera nécessaire de diminuer ses dépenses énergétiqu­es selon la couleur du système, vert, orange ou rouge.

« Ce sera le “Bison futé” pour le système électrique cet hiver, qui permettra de réduire le risque de coupures », affirme-t-on au sein de l’exécutif.

Reste que, selon RTE, seulement 350.000 Français se sont inscrits pour recevoir les fameuses alertes d’Ecowatt, lequel reste encore assez peu connu du grand public. Le gouverneme­nt, lui, se veut rassurant, et rappelle que le dispositif fera bientôt son entrée dans les bulletins météo télévisuel­s.

 ?? ?? Alors qu’EDF avait prévu la semaine dernière une disponibil­ité de 48 gigawatt (GW) de ses réacteurs au 1er janvier, RTE mise désormais sur 40 GW seulement, soit 65% de la capacité installée mobilisabl­e en plein hiver. (Crédits : Reuters)
Alors qu’EDF avait prévu la semaine dernière une disponibil­ité de 48 gigawatt (GW) de ses réacteurs au 1er janvier, RTE mise désormais sur 40 GW seulement, soit 65% de la capacité installée mobilisabl­e en plein hiver. (Crédits : Reuters)

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