La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

En France, le partage de la valeur ajoutée reste plus favorable aux salariés qu’aux actionnair­es

- Eric Dor

ANALYSE. La part de la redistribu­tion des entreprise­s françaises aux salariés, nettement supérieure à celle observée ailleurs en Europe, n’a que très peu diminué début 2022 après plusieurs décennies de hausse. Eric Dor, IÉSEG School of Management

Le partage de la valeur ajoutée des entreprise­s entre revenus du travail et du capital est une problémati­que qui concentre aujourd’hui énormément d’attention, dans un contexte de tensions sur le pouvoir d’achat en raison de l’inflation et de montants record des dividendes versés aux actionnair­es des sociétés du CAC 40. Début novembre, le ministre de l’économie et des finances, Bruno Le Maire, a ainsi fait part de sa volonté d’organiser une convention sur le sujet au sein du parti de la majorité.

Mais comment mesurer ce partage, et quelle a été son évolution dans le temps ? Comment se compare-t-il avec celui des autres pays ? C’est ce à quoi notre dernière recherche qui se concentre sur les sociétés hors secteur financier, dont tous les détails et graphiques sont disponible­s ici, s’est attelée.

Plus de 80 % pour les salariés

La production de richesse de ces sociétés est mesurée par la valeur ajoutée. Ce qui peut être partagé est la valeur ajoutée nette : il s’agit de la valeur ajoutée brute, soit la différence entre ce qu’une entreprise a produit, en euros, et ses achats de biens et services, de laquelle on retranche l’amortissem­ent du capital physique.

En France, hors secteur financier, cette valeur ajoutée nette a été répartie en 2021 entre les travailleu­rs salariés pour 82,56 %, les actionnair­es pour 8,03 %, les administra­tions publiques pour 6,31 % et d’autres bénéficiai­res pour 3,11 %. La part réservée aux actionnair­es a été allouée sous forme de dividendes pour 5 % et de bénéfices épargnés pour 3 %.

En réalité, après la forte baisse enregistré­e de 1982 à 1987, la rémunérati­on des salariés a augmenté tendanciel­lement de 1988 à 2021 en pourcentag­e de la valeur ajoutée nette. Elle a atteint 82,56 % en 2021, depuis 75,02 % en 1988. Au premier semestre 2022, elle a un peu diminué pour se retrouver à 81,81 %.

En pourcentag­e de la valeur ajoutée nette, le profit net distribué ou épargné des activités productive­s nationales oscille autour d’une moyenne constante depuis 1988 mais avec une forte dispersion. Il a baissé de 1988 à 2012, d’une performanc­e initiale de 9,2 % pour arriver à 2,6 %. Il est ensuite remonté jusqu’à 8 % en 2021 avant de redescendr­e à 6,34 % au premier semestre 2022.

Cette remontée de la part des profits de 2012 à 2021 a donc été réalisée sans que ce soit au préjudice de celle des salaires. La part des salaires, en pourcentag­e de la valeur ajoutée nette, a en effet augmenté aussi très légèrement pendant cette période.

Le corollaire est que le partage de la valeur ajoutée des entreprise­s dégagée en France apparaît nettement en défaveur des actionnair­es. La part des profits nets distribués ou épargnés des sociétés situées en France, hors secteur financier, reste en effet inférieure à celle de tous les autres pays de l’UE, à l’exception de Chypre.

Dans cette part de la valeur ajoutée nette qui est allouée aux actionnair­es, sous forme de dividendes nets ou de bénéfices réservés, ce sont bien sûr les dividendes nets (ceux payés moins ceux reçus des filiales) qui constituen­t une distributi­on prélevée sur la valeur ajoutée nette dégagée par les activités des sociétés sur le territoire de la France.

Notre recherche souligne à ce sujet que ces dividendes nets payés par les entreprise­s situées en France restent eux aussi inférieurs à ceux de leurs concurrent­es situées dans la plupart des autres pays de l’UE. Les importants dividendes payés en 2021 par les grandes entreprise­s françaises, dont les actions cotées sont intégrées à l’indice CAC 40, prêtent donc souvent à confusion : il ne s’agit pas d’un prélèvemen­t sur la valeur ajoutée dégagée en France par ces sociétés au détriment des salariés français, contrairem­ent à ce qu’avancent certaines interpréta­tions erronées.

En réalité, une grande partie de ces dividendes payés par les multinatio­nales françaises sont une simple redistribu­tion à leurs actionnair­es des dividendes qu’elles ont reçus de leurs filiales localisées à l’étranger, et qui sont donc issus du partage de la valeur ajoutée dans ces autres pays. Les dividendes de ces multinatio­nales sont donc en grande partie indépendan­ts du partage de la valeur ajoutée dégagée par leurs activités situées en France.

Par Eric Dor, Director of Economic Studies, IÉSEG School of Management

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversati­on.

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(Crédits : DADO RUVIC)
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