La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

Produire la nuit : le plan de certains industriel­s pour alléger les factures d’énergie

-

tombe à 200 ou 250 euros en heures creuses comme en été », calcule-t-il tout haut.

Parer au risque de délocalisa­tion

Assorti de primes de nuit et de week-end, le plan proposé par la direction sera présenté lundi prochain en comité social économique (CSE), mais Alain Verna ne doute pas qu’il sera validé par les salariés déjà acculturés aux horaires décalés. « Le climat social est bon dans l’entreprise et nous avons veillé à une parfaite transparen­ce pour emporter l’adhésion », souligne-t-il.

Il faut dire que l’enjeu est important pour Toshiba Dieppe. A l’heure d’arbitrer il y a quelques semaines, sa maison-mère aurait, en effet, pu être tentée de transférer toute la production destinée à la Chine (soit environ la moitié du volume fabriqué à Dieppe) dans l’usine jumelle aux Etats-Unis, épargnée par la flambée des prix de l’énergie. « Le risque de délocalisa­tion était réel », affirme le PDG.

Pour adoucir la mesure, l’intéressé va aussi solliciter le guichet unique de soutien aux entreprise­s mis en place par Bercy samedi dernier, qui permet aux entreprise­s dont les factures d’énergies (gaz, électricit­é mais aussi chaleur et froid) ont augmenté d’au moins 50% dès 2022 d’obtenir une aide, avec la possibilit­é de demander un acompte. Selon lui, l’aide de l’Etat couvrira entre 15 et 25% de ses dépenses énergétiqu­es. Pour autant, l’usine devra tout de même répercuter la flambée du coût de l’énergie sur ses prix de sortie. Alain Verna s’apprête à proposer à son actionnair­e nippon « une hausse maîtrisée de l’ordre de 8% ». Avec l’espoir qu’il l’accepte. En attendant, il a décidé de remplacer par des LED l’entièreté de l’éclairage de ses bâtiments.

En Lorraine, deux aciéristes ont franchi le pas

Toshiba Dieppe n’est pas la seule usine à expériment­er le travail de nuit. En Lorraine, l’aciériste Setforge a déjà franchi le pas de la réorganisa­tion du temps de travail dans son usine d’Hagondange (Moselle). Ce site industriel composé de deux entités juridiques distinctes, Setforge Hot Formers et Setforge Near Net (52 millions d’euros de chiffre d’affaires cumulé en 2021), produit des pièces forgées à chaud et en grandes séries. Les pièces sont livrées en sous-traitance pour des constructe­urs, équipement­iers et usineurs de l’industrie automobile.

Depuis le début de l’année, les salariés travaillen­t la nuit. Les deux tiers des effectifs sont concernés par la nouvelle organisati­on : sur les presses et le laminoir, le poste de l’après-midi (de 14 heures à 22 heures) a été reposition­né la nuit, à partir de 22 heures. Les horaires de travail des équipes du matin (de 6 heures à 14 heures) sont quant à eux restés inchangés. « C’est exceptionn­el et cela montre l’engagement des salariés. En contrepart­ie du travail de nuit, ils ont eu des augmentati­ons de salaires, ce qui n’est pas négligeabl­e en période d’inflation », a expliqué à La Tribune Roland Lescure, le ministre de l’Industrie, qui a visité le site le 3 novembre. Interrogée, la direction de Setforge a refusé de répondre à nos sollicitat­ions.

Cette nouvelle organisati­on vise à limiter l’explosion de sa facture énergétiqu­e. Après un changement de fournisseu­r d’énergie, sa facture prévisionn­elle énergétiqu­e s’est alors envolée, passant de 8 millions d’euros à 30 millions d’euros par an. La direction a réussi à réduire de moitié ce poste de dépenses essentiel pour produire 20 millions de pièces par an et assurer leur traitement thermique. La période nocturne est prévue jusqu’au 31 décembre, et pourrait être prolongée en 2023.

D’autres entreprise­s ont tenté l’expérience sur des périodes plus brèves. Aini, chez Ascometal, à Hagondange (Moselle) également, les 240 salariés de l’aciérie électrique et du laminoir ont dû travailler le soir et la nuit depuis le mois de septembre. « On a mis en place un cycle de travail en trois équipes, qui comprenait le week-end. En compensati­on, les salariés ont bénéficié de ce qui était déjà prévu dans nos accords internes, un peu plus favorable que le cadre légal », rapporte Gazi Yildiz, secrétaire de la CGT Ascometal. Dans l’accord d’entreprise conclu début septembre et relatif à « l’adaptation de l’organisati­on du travail au contexte de l’énergie », Ascometal et ses organisati­ons syndicales (CFDT, CFE-CGC, CGT) avaient prévu une prime de 55 euros bruts versée à chaque salarié, CDI ou intérimair­e, pour chaque poste complet de 8 heures réalisé le week-end. Le reflux des prix de l’électricit­é a incité l’employeur à mettre un terme temporaire­ment à cette réorganisa­tion.

« La direction prévoyait initialeme­nt une envolée des prix de l’énergie à 1.200 euros le mégawatthe­ure (MWh). Quand les prévisions sont retombées en-deçà de 400 euros, on a décidé de ne pas reconduire notre accord », explique Gazi Yildiz. Et de redouter : « Travailler le week-end n’est pas évident quand on a une famille. Mais on pense que ça va nous retomber dessus en 2023 », prévoit le syndicalis­te.

Une réorganisa­tion envisagée en quatre équipes permettrai­t à certains salariés de sauver leurs week-ends.

« Une solution extrême »

Reste à voir si le changement de rythme mis en place chez ces trois industriel­s sera adopté plus largement. Si Alain Verna assure avoir été sollicité par plusieurs de ses collègues

industriel­s, Geoffroy Roux de Bezieux, président du Medef, doute qu’il puisse être généralisé. « C’est une solution extrême. Ça a existé au Japon après le chaos nucléaire, ils ont fait ça pendant plusieurs mois. Mais j’espère que l’on ne va pas être obligé d’en arriver là », déclarait-il le 8 novembre sur RTL.

Au sein de l’organisati­on patronale, on souligne également que le basculemen­t de la production en heures creuses est difficilem­ent envisageab­le dans des entreprise­s peu rompues au travail de nuit. ■

Newspapers in French

Newspapers from France