La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

« En étant trop radical, on arrive à l’opposé de ce que veut l’écologie, on fait peur » (Bertrand Piccard)

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À Charm el-Cheikh, des pays voulaient revenir en arrière, passer à 2 degrés, parce qu’ils disaient que l’objectif était impossible à tenir. Il n’y a pas eu de progrès par rapport au charbon, au pétrole et au gaz et, au stade actuel, on voit qu’on n’est pas du tout en ligne pour empêcher la catastroph­e. L’accord final stipule que les pays qui ne sont pas en ligne avec cet objectif doivent corriger leurs intentions, leurs engagement­s, mais il ne s’agit que d’une incitation. Ce n’est pas du tout quelque chose de contraigna­nt. Mais on parle, c’est vrai, d’une avancée historique parce qu’il faut bien mettre de l’historique quelque part pour compenser la catastroph­e du reste.

Certains disent que c’est historique qu’on ait enfin pris en compte les revendicat­ions des pays les plus vulnérable­s au changement climatique causés par les pays industrial­isés. C’est vrai, c’est une question de pollueur payeur. Il y a un fond qui a été déterminé. Mais on ne dit pas encore comment il sera utilisé, ni combien il y aura dedans, alors qu’autrefois on parlait de 100 milliards de dollars par an. Ce qui a permis d’arracher l’accord des Occidentau­x, c’est que ce fond va être ciblé sur les pays vulnérable­s, en excluant la Chine, qui se considérai­t comme un pays en développem­ent et voulait recevoir une partie de ces indemnités, alors qu’elle est la deuxième puissance économique mondiale et le gros pollueur de la planète. Bref, un peu de ménage a été fait. Tant mieux, mais on est encore très loin de ce qu’il faut pour éviter la catastroph­e.

VIDÉO GRAND ENTRETIEN : BERTRAND PICCARD (novembre 2022)

Vidéo youtube: https://www.youtube.com/watch?v=pNZu1gVB5J­s

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L’ombre de la crise géopolitiq­ue, que ce soit la guerre en Ukraine, l’attitude protection­niste de la Chine, ou le comporteme­nt des pays producteur­s de pétrole, a-t-elle fait voler en éclat l’esprit de l’Accord de Paris ?

Je pense que les pays européens se sont beaucoup repliés sur eux-mêmes à cause de la crise ukrainienn­e. C’est indéniable. C’était assez difficile pour eux de pouvoir exiger d’autres pays de réduire leur consommati­on de pétrole, de charbon et de gaz, alors qu’eux-mêmes rouvrent des mines de charbon. Cela décrédibil­ise les demandes. Ce qu’on voit, c’est une revendicat­ion justifiée des plus démunis face aux nantis. Cela se voit à toutes les échelles de la société.

En France, dans les revendicat­ions politiques et sociales, mais aussi à l’échelle mondiale où, indéniable­ment, les pays les plus démunis veulent se faire aider par les pays les plus riches. On a beaucoup trop de déséquilib­res financiers dans ce monde. Il y a des gens qui n’ont plus rien à perdre. Il y a une vraie revendicat­ion. Il y a de plus en plus de personnes qui considèren­t -à raison - qu’il est inacceptab­le de vivre en-dessous du minimum vital, en-dessous des seuils de santé, d’éducation... La lutte contre les changement­s climatique­s cristallis­e aussi cette revendicat­ion sociale des pays pauvres vis-à-vis des pays riches.

L’an dernier vous disiez à l’issue de la Cop 26 de Glasgow, qui elle aussi avait été fortement critiquée pour son manque d’ambition que la Cop n’était que la partie émergée de la lutte contre les changement­s climatique­s et qu’il y avait eu des avancées en coulisse. Y a-t-il eu de telles avances en coulisse à Charm el-Cheik ?

Oui, ce qui manque, ce sont les consensus politiques finaux. Car, pour avoir l’unanimité, c’est toujours le pays le moins ambitieux qui gagne. En revanche, au niveau des coalitions, cela avance. À Glasgow, une coalition avait été créée contre le méthane. Cette année j’ai participé à la réunion des 50 ministres qui avaient signé cette coalition. C’était une rencontre destinée à contrôler ce que chacun avait fait dans le cadre de la lutte contre le méthane. Cela avance aussi au niveau de la finance, des entreprise­s privées, des solutions techniques. C’est pourquoi je suis très frustré de voir que les négociatio­ns politiques sont si peu ambitieuse­s, alors qu’il y a autant de solutions prêtes et autant d’engagement­s prêts à être fructifiés au niveau du secteur privé.

Vous avez évoqué la crise en Ukraine. La crise énergétiqu­e qu’elle a provoquée et le retour du charbon ou du gaz porte-t-il un coup très dur à la transition écologique ou va-t-il au contraire permettre de l’accélérer ?

Cela porte un coup dur à la transition. La plupart des gens ne comprennen­t pas que la réponse devrait être la même pour les deux situations. La crise en Ukraine et la transition énergétiqu­e nécessiten­t toutes les deux qu’on diminue la part des énergies fossiles pour la remplacer par des énergies renouvelab­les et qu’on augmente tous les systèmes qui permettent d’être plus efficient sur le plan de l’énergie, des ressources, de l’alimentati­on, des déchets... C’est la même réponse, mais dans l’esprit des gens c’est dissocié. Pour eux, la crise ukrainienn­e va nous donner froid cet hiver ou l’hiver prochain et la lutte contre le réchauffem­ent climatique coûte cher. Les deux problèmes s’ajoutent, alors qu’ils devraient se soustraire.

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