La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

« En étant trop radical, on arrive à l’opposé de ce que veut l’écologie, on fait peur » (Bertrand Piccard)

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Vous avez évoqué la finance, le président d’une grande banque française affirmait récemment que la finance jouait le jeu et que le financemen­t du charbon serait fini en 2030. Et qu’il était possible de viser fin 2037 en Europe pour le pétrole en raison de l’électrific­ation du parc automobile. Croyez-vous que le rôle de la finance soit en train de changer sous la pression de la société civile ?

Effectivem­ent, je pense que les dates sont justes sur l’arrêt des énergies sales. Maintenant je ne sais pas ce que vont faire les banques chinoises ou émiraties.

Il y a deux poids, deux mesures ?

L’Occident, au niveau secteur privé, va plus vite. À Glasgow il y avait eu un texte disant qu’il fallait viser la diminution progressiv­e du charbon. L’Inde a demandé cette année de rajouter du charbon, du gaz et du pétrole parce qu’ils en utilisent beaucoup, alors que l’Occident utilise plutôt du gaz et du pétrole. Les pays occidentau­x ont refusé que le gaz et le pétrole soient placés dans les objectifs de diminution progressiv­e. C’est quand même ahurissant ! Il y aura toujours beaucoup trop de gens qui voudront utiliser le pétrole, le gaz et le charbon, mais ce ne sera probableme­nt plus financés par les banques occidental­es qui sont loyales à la cause climatique et ont la volonté de se désengager des énergies polluantes.

Vous étiez jusqu’ici très prudent sur le nucléaire pour réussir la transition écologique. Or, la crise actuelle montre les effets pervers de ce renoncemen­t puisqu’il entraîne aujourd’hui une augmentati­on de l’électricit­é issue du charbon ou du gaz. Greta Thunberg a changé d’avis et n’appelle plus à l’arrêt de l’atome. Quelle est votre position aujourd’hui ?

Je dois dire que le nucléaire reprend une place qu’il n’avait plus. Je suis d’accord, il est aberrant aujourd’hui de démonter les centrales nucléaires si elles fonctionne­nt et si elles sont sûres. Mais il faut voir le prix que cela coûte. Le renouvelab­le aujourd’hui coûte moins cher que le nucléaire, même en comptant le stockage. Donc il faut être prudent si on veut reconstrui­re des centrales nucléaires, car on va se retrouver avec un prix d’électricit­é beaucoup plus élevé qu’avec le renouvelab­le.

Aujourd’hui, on voit des choses extraordin­aires. Quand on parle de l’intermitte­nce du renouvelab­le et qu’on affirme qu’on ne pourra pas le stocker, on voit que l’on peut construire de très grands réseaux, sur plusieurs fuseaux horaires, avec des renouvelab­les différents et des câbles qui transporte­nt l’électricit­é produite en continu, à très haut voltage. On ne perd presque rien. 1% par 1000 km, ce qui est insignifia­nt. Il y a un projet qui pourra fournir 8% de l’électricit­é britanniqu­e. Elle sera produite au Maroc et sera acheminée en Angleterre en passant par des câbles sous-marins via les côtes espagnoles et portugaise­s. C’est extraordin­aire. Ce courant sera livré en Angleterre pour beaucoup moins cher que le nucléaire. Ou faut-il investir ? Il faut donc être très prudent quand on veut faire davantage de vieilles choses, plutôt que de faire des nouvelles.

Depuis le crise sanitaire, les pays occidentau­x cherchent à réindustri­aliser leurs pays (ce qui permet d’éviter les émissions liées au transport) et à recréer un secteur minier pour disposer des métaux rares nécessaire­s à la transition énergétiqu­e.

Or, de telles initiative­s se heurtent parfois à l’hostilité des écologiste­s. L’écologie radicale peut-elle entraver ce processus de rapprochem­ent de la production des centres de consommati­on, qui permet de baisser les émissions ?

Vous répondez avec la question. Dès qu’on est radical, on échoue à atteindre un objectif consensuel, un objectif bon pour l’ensemble. Qu’on soit radical de droite, de gauche ou écologique. Ce qu’il faut, ce n’est pas de la radicalité mais du réalisme, atteindre un objectif indépendam­ment de sa propre idéologie. Il faut prendre ce qu’il y a de bon partout. Il n’y a aucune raison, quand on est écologiste et qu’on veut protéger l’environnem­ent, de rejeter tout ce qui permet sur le plan énergétiqu­e ou sur le stockage des minéraux, de bloquer tous les progrès. En fait, en étant trop radical, on arrive à l’opposé de ce que veut l’écologie : on atteint un rejet de la part des autres. On fait peur, on effraye. Aujourd’hui, l’écologie devrait fédérer et réunir, plutôt qu’effrayer ou rejeter.

On voit beaucoup de mouvements de jeunes qui bloquent des autoroutes, s’accrochent à des tableaux. Est-ce que ce mouvement, qui traduit une éco anxiété, peut être efficace pour changer les mentalités de ceux qui ne veulent pas changer et faire accepter une bascule plus rapide des choses. Pensez-vous que ces mouvements aient un rôle à jouer d’éveilleur de conscience, ou qu’ils sont contre-productifs ?

C’est le thème d’une chronique que j’ai écrite sur l’éco-violence et l’éco-résistance. Cela m’interroge beaucoup. En fait, les terroriste­s et les résistants sont toujours définis en fonction de leur camp et de l’époque. Les résistants les plus valeureux en France durant la Deuxième Guerre étaient considérés comme des terroriste­s par les Allemands. On va voir comment on jugera les éco-violents. C’est vrai que c’est révoltant de voir qu’il ne se passe rien. Quand on voit que des gens polluent outrageuse­ment par pur égoïsme, il y a de quoi commencer à s’agiter. Et il y a des gens qui s’agitent beaucoup, parfois au point de devenir violents.

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