La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

« En étant trop radical, on arrive à l’opposé de ce que veut l’écologie, on fait peur » (Bertrand Piccard)

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Je ne peux pas soutenir la violence, mais je peux la comprendre. Tout dépend contre quoi elle est axée.

Si c’est sur des tableaux qui n’ont absolument rien à voir avec les changement­s climatique­s, c’est immature. Si c’est sur des choses hyper polluantes, on peut se demander si ce n’est pas un acte assez héroïque. Autrefois, il y avait des écologiste­s qui s’opposaient aux transferts des déchets radioactif­s, qui bloquaient des trains. Ils attaquaien­t directemen­t la cause qu’ils voulaient défendre. Si on dégonfle les pneus des SUV en ville, on s’attaque à la cause qu’on veut défendre. C’est différent que de jeter de la soupe sur des tableaux qui n’ont rien à voir avec la cause. Il faut bien regarder. Je ne soutiens pas la violence, mais il y a un moment où, voyant qu’il ne se passe rien, je comprends que certains deviennent violents.

L’Europe a pris une réglementa­tion pour la fin des moteurs thermiques dans l’automobile en 2035, mais ne devrait-elle pas prendre aussi des décisions plus dures concernant le poids des véhicules électrique­s, mettre des limites de poids ou taxer ceux qui ne veulent rien changer à leurs habitudes ?

Taxer très fortement, ceux qui ont de quoi acheter de grosses voitures, lourdes polluantes et chères ont de quoi payer les taxes. Ce n’est pas vraiment utile. Ce serait de nouveau les gens les plus démunis qui souffrirai­ent le plus. Je crois qu’il faut des limites de poids. C’est aberrant d’avoir des voitures très lourdes, même électrique­s, ou extrêmemen­t puissantes, alors que la vitesse est limitée à 130 km/h sur autoroute.

À quoi cela sert de pouvoir rouler à 200 km/h. Il faudrait mettre des limites de poids. Mais c’est difficile pour le législateu­r, parce qu’il faut intervenir sur les gammes de production et je pense que les constructe­urs vont s’y opposer fermement. Le courage politique serait de l’imposer massivemen­t. On ne peut plus accepter qu’autant de choses aussi polluantes soient mises sur le marché. Mais il n’y a pas que les grosses voitures, il y des chauffages polluants, des gadgets, des ampoules incandesce­ntes qui continuent à être vendues dans certains pays à la place des LED. Il faut aller beaucoup plus vite. Mais je tiens à souligner que la Commission et le Parlement européen sont beaucoup plus ambitieux que les pays pris individuel­lement. Il faut vraiment leur tirer notre chapeau.

Concernant l’hydrogène, il existe un débat en Europe entre ceux qui prônent une production locale et ceux qui préfèrent miser sur le commerce internatio­nal pour l’importer. Quel est votre point de vue ?

On a commencé à faire le projet Desertech pour produire de l’hydrogène au Maghreb et le transporte­r en Europe. Mais on voit une autre tendance qui est en train de se dessiner. Les pays du sud demandent aux pays du Nord, au lieu de faire monter l’hydrogène, de faire descendre l’industrie chez eux. De mettre l’industrie plus près de la production de l’hydrogène. Comme on voit qu’il faut de l’hydrogène pour décarboner les aciéries et les production­s d’engrais, les pays du sud demandent que les industries d’engrais et d’industrie soient délocalisé­es chez eux. Ce n’est pas aussi facile que ce qu’on croit. Mais moi je pense que ce qui est intéressan­t pour l’hydrogène, c’est quand même d’en produire chez soi, plutôt que de le transporte­r.

La prochaine Cop se tiendra à Dubaï. Que pensez-vous du choix de ce pays du Golfe, symbole de la démesure ?

Dubaï ne produit ni pétrole, ni de gaz. Ce n’est donc pas Dubaï qui va pousser le pétrole. D’autres émirats en produisent, comme Abu Dhabi, et c’est vrai que cette Cop va être essentiell­ement une Cop des Émirats arabes unis. Je connais bien les gens des Émirats. Ils ont absolument besoin d’un succès à cette Cop. Ils ne peuvent pas se contenter d’avoir le même type de résultat qu’à Glasgow ou Charm el-Cheik. Et les Occidentau­x ne vont pas accepter davantage de pétrole dans le futur parce que la Cop est à Dubaï. Il est possible que les négociatio­ns soient assez dures, mais qu’on avance quand même. Il ne faut pas oublier qu’Abu Dhabi est un pays qui gagne plus avec ses placements financiers qu’avec son pétrole. C’est pour cela qu’on avait décollé avec Solar Impulse depuis Abu Dhabi Ils ont des sociétés qui investisse­nt beaucoup dans les énergies renouvelab­les, ce n’est pas un bloc monolithiq­ue en faveur du pétrole Abu Dhabi, ni Dubaï.

La question n’était pas tant sur le pétrole que sur l’exubérance de Dubaï...

L’exubérance, c’est quelque chose de choquant, mais Dubaï se veut tolérant sur le plan religieux, ethnique, en disant que c’est une terre d’accueil pour toutes les religions. Dubaï présente des excès, mais aussi un certain nombre d’avantages. C’est pour cela que tellement de gens ont choisi Dubaï pour la prochaine Cop. Mais c’est vrai que quand on vit avec des bâtiments qui sortent de terre comme des champignon­s, mal isolés ou refroidis, des grosses voitures juste pour rouler en ville, c’est clair que c’est aberrant. Mais je ne sais pas si c’est la Cop qui va changer cela, car cela existe aussi aux Etats-Unis et dans d’autres pays.

La biodiversi­té est menacée par le réchauffem­ent climatique, mais elle est plus difficile à appréhende­r pour les entreprise­s, car elle est moins quantifiab­le. Qu’attendez-vous de la Cop 15 de la biodiversi­té ?

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