La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

Finance durable : en investissa­nt 6,4 millions dans Xefi, le fonds Geneo essaime le modèle de « l’evergreen »

- Marie Lyan @Mary_Lyan

EXCLUSIF. Elle vient d’investir près de 6,4 millions d’euros d’obligation­s relance, au sein de la société lyonnaise de services numériques de proximité, Xefi. Fanny Letier, l’ex-numéro deux de Bpifrance, a choisi d’aider les petites et moyennes entreprise­s à « doubler de taille » en créant un outil de capital investisse­ment Geneo. Elle revient, en exclusivit­é avec La Tribune, sur ce dernier investisse­ment qui reflète bien le coeur de son modèle de l’evergreen (finance durable), avec la gestion d’un portefeuil­le près de 600 millions d’euros qui passe au crible quatre critères : la maitrise du temps, le capital humain, le partage de la valeur et la volonté d’avoir un impact positif.

LA TRIBUNE - Vous êtes issue d’un parcours de haut fonctionna­ire, avec la direction générale du Trésor et un passage en tant que numéro deux de Bpifrance, avant de devenir administra­trice de plusieurs sociétés (Biomérieux, ADP ou Nexans) et de cofonder le fonds de l’evergreen (ou de “private equity dit durable”) Geneo : pour quelle raison ?

FANNY LETIER - Je suis originaire du Nord-Pas-de-Calais et j’ai toujours souhaité contribuer à l’intérêt général de mon pays, à travers la création d’emplois. J’ai été assez marquée, dans mon enfance, par les conséquenc­es sociales d’un chômage très élevé dans ma région et qui a fait monter très tôt le Front national.

C’est ce qui a justifié mon début de carrière dans la fonction publique : j’ai commencé ma carrière au ministère des Finances,

Finance durable : en investissa­nt 6,4 millions dans Xefi, le fonds Geneo essaime le modèle de « l’evergreen »

à la direction du Trésor et progressiv­ement, j’ai compris toute l’importance du tissu de PME françaises qui sont la principale source de création d’emplois.

Car entre 2009 et 2016, ce sont les PME qui ont créé près de 355.000 emplois pendant que les grands groupes en détruisaie­nt 90.000 et que finalement, les startups demeuraien­t plutôt un sujet d’innovation, que de créations d’emplois.

Déjà, lors de la crise financière de 2008 où vous étiez à Bercy, vous aviez constaté la nécessité d’avoir d’un côté des financiers à long terme aidant à passer les crises, et de l’autre, des entreprene­urs qui aient plus de capital humain ? Votre diagnostic a été le même lors de la période Covid ?

Il y a eu la crise de 2008, que j’ai d’abord gérée depuis Bruxelles à l’occasion de la présidence tournante de l’Union européenne, avec toutes les questions de stabilité financière, et de relance de l’activité que cela posait.

Ensuite, en 2009, j’ai pris la direction du Comité interminis­tériel de restructur­ation industriel­le (CIRI), où je me suis retrouvée à nouveau directemen­t à côté d’entreprene­urs, ce qui est très rare dans l’administra­tion, afin de les aider à trouver des solutions de restructur­ation financière mais aussi opérationn­elles et de reposition­nement stratégiqu­e.

Il m’a fallu emmener tout le monde les banques, les clients, les fournisseu­rs, les actionnair­es, les salariés, les dirigeants dans une même direction, et trouver des accords à l’unanimité pour finalement permettre de construire un plan de rebond. Avec la nécessité d’apporter non seulement du capital financier, mais aussi du capital humain.

C’est un petit peu la même chose que lors de la période de la crise sanitaire ?

Ces constats sont en effet toujours valables, même si les problémati­ques sociétales sont aujourd’hui plus aiguës qu’en 2008, où la crise était avant tout d’origine financière. Car si l’on veut effectivem­ent avoir des entreprise­s résiliente­s et faire de la croissance durable, la gouvernanc­e est un sujet clé, car c’est le lieu d’anticipati­on de tous les sujets.

Or bien souvent, les difficulté­s proviennen­t des problèmes de transmissi­on trop tardives, d’innovation ou de disruption que l’on n’a pas vu arriver, de grogne sociale que l’on n’a pas vu monter, ou de problèmes opérationn­els qui finissent par provoquer des ruptures dans la chaîne... mais un dirigeant seul ne peut rien, car sa principale qualité est justement de savoir s’entourer du bon comité de direction et des compétence­s au bon endroit.

Et si l’on ne veut pas être seul, il faut savoir partager la croissance avec ses salariés, avec l’ensemble des parties prenantes. Nous pouvons encore prendre un temps d’avance et bâtir en Europe des leaders mondiaux, en construisa­nt des produits, des services, des procédés, des business models qui vont répondre à ces besoins sociétaux.

Le contexte énergétiqu­e très compliqué peut-il être un frein à cette tendance ?

Le problème avec l’énergie, c’est qu’on se retrouve avec un choc de compétitiv­ité assymétriq­ue au niveau mondial : suivant les pays, son impact est plus ou moins fort, et il l’est tout particuliè­rement en France.

Il est donc certain qu’aujourd’hui, l’énergie est devenue un sujet majeur à l’agenda, à la fois politique mais aussi, pour les chefs d’entreprise­s qui travaillen­t sur leur performanc­e énergétiqu­e, sur le développem­ent de l’autoconsom­mation à travers les énergies renouvelab­les.

Geneo investit en général dans des sociétés de niche, qui sont directemen­t dans un univers concurrent­iel mondial, mais qui sont aussi proactives, sans attendre que l’environnem­ent évolue dans un sens favorable, en prenant le taureau par les cornes.

Geneo s’est spécialisé dans la finance dite positive, avec notamment trois véhicules d’investisse­ment. Ils fonctionne­nt aujourd’hui sur quel principe ?

Nous avons créé, avec François Rivolier, Geneo autour du concept de « capital entreprene­ur », qui est un mélange de private equity, conseil et réseau business, avec près de 200 entreprene­urs et familles issues de l’entreprene­uriat. La promesse, c’est celle de la finance positive, qui apporte de la croissance durable.

Cela suppose quatre piliers : à commencer par la maîtrise du temps, avec la capacité de suivre l’entreprene­ur dans son rythme naturel, mais aussi, d’apporter du capital humain avec du management de transition, du temps partagé, de la formation et de l’expérience. C’est aussi de partager de la valeur afin que lorsqu’on investit, cela puisse bénéficier à l’ensemble des parties prenantes et du territoire (avec de l’intéressem­ent, de la participat­ion, de l’actionnari­at salarié...). Enfin, c’est aussi de le faire avec un impact positif, car la RSE ne consiste pas uniquement à

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limiter les externalit­és négatives : il faut immédiatem­ent générer des innovation­s dont on a besoin pour faire autrement.

Quelle place et perspectiv­es peut prendre la finance responsabl­e au sein de l’éventail des financemen­ts des TPE/ PME ? Vous avez pu investir quel montant jusqu’ici ?

Au total, nous gérons aujourd’hui 600 millions d’euros à travers trois véhicules : un premier qui est une société d’investisse­ment de l’evergreen, qui a déjà déployé plus de 220 millions d’euros dans 18 sociétés à croissance très forte, organique ou externe. Nos dix premières sociétés investies ont mené 27 acquisitio­ns, essentiell­ement internatio­nales. Ce véhicule est essentiell­ement financé par des family offices et a connu beaucoup d’échos à Lyon.

Ensuite, nous cogérons ensuite, avec Turenne Capital, une poche d’obligation­s relance de 120 millions d’euros afin d’outiller les PME et TPE à rester compétitiv­es au niveau français et internatio­nal, même dans des temps plus compliqués.

Enfin, notre troisième véhicule, qui vient d’être lancé, est destiné aux entreprise­s qui n’ont pas envie d’ouvrir leur capital parce qu’elles sont patrimonia­les, familiales, mais qui ont besoin d’être accompagné­es sur les sujets de croissance externe, digitale et d’impact. Nous leur proposons un instrument en quasi fonds propres, afin de renforcer le haut de bilan et d’avoir un effet d’entraîneme­nt sur la dette.

Nous avons réalisé à travers ce véhicule un premier closing autour de 100 millions et nous visons les 200 millions.

Quels publics cibles, que ce soit du côté des épargnants mais aussi des entreprise­s ?

On ne vient pas dans la communauté Geneo par hasard. Qu’on soit investisse­ur ou société investie, on partage les valeurs de notre raison d’être : la maitrise du temps, le capital humain, le partage de la valeur et la volonté d’avoir un impact positif.

Il n’y a pas d’un côté les fonds demandés au niveau de la performanc­e et de l’autre, les fonds d’impact qui doivent être à l’équilibre ou qui vont générer de la perte.

D’ailleurs, plus de 50 % des fonds propres sont apportés par des family offices sont généraleme­nt issus d’une aventure entreprene­uriale réussie. On a aussi bien des grandes familles que tout le monde admire, comme Alain Mérieux ou la famille Peugeot, que d’autres moins connues mais qui ont réussi dans l’entreprene­uriat comme les crèches Babilou.

Nous en avons une quarantain­e à Lyon, aux côtés desquels sont venus se greffer des assureurs comme Covéa et MACSF.

Vous dévoilez ce jour un investisse­ment de 6,4 millions en obligation­s relance au sein de l’ESN lyonnaise Xefi : quelle était la nature du projet et comment sélectionn­ez-vous les entreprise­s dans lesquelles vous investisse­z ? (Pour rappel, le fonds obligation­s relance, souscrit par 19 assureurs membres de France Assureurs et la Caisse des Dépôts, est doté de 1,7 milliard d’euros et permet de financer les PME-ETI touchées par la crise sanitaire, qui investisse­nt dans leur développem­ent et leur transforma­tion, ndlr).

Nous avons d’abord perçu avec Xefi une vraie convergenc­e de culture car il s’agit d’une société très implantée régionalem­ent, mais qui s’étend sur le territoire, avec un vrai pôle d’excellence dans son domaine, et l’objectif d’en faire le leader dans les services de proximité pour les TPE/PME.

Xefi a fait le choix de se spécialise­r pour ce type de clientèle, qui n’était pas forcément bien servie au départ, avec une offre très différenci­ante et des fournisseu­rs intégrés.

Cette enveloppe va notamment lui permettre de financer de la croissance externe avec, à la fois, une extension géographiq­ue et une extension de son offre. Son équipe est notamment en train de développer une solution, Green Optimizer, qui va lui permettre d’améliorer aussi l’empreinte carbone de ses clients.

L’un des aspects qui nous a intéressés, c’est aussi que Xefi opère également ses propres datacenter­s avec une notion d’indépendan­ce de la donnée, qui constitue un point stratégiqu­e et différenci­ant de son offre. Il est très important de pouvoir jouer sur le court, le moyen et le long terme, et c’est ce qu’ont permis plus globalemen­t ces obligation­s relance et cet investisse­ment.

Quelle place tient Auvergne Rhône-Alpes au sein de votre stratégie d’investisse­ment ?

Auvergne-Rhône-Alpes est un territoire magnifique lorsqu’on parle de capital entreprene­ur, et d’entreprise­s positionné­es sur des niches avec des visions de long terme, mais qui sont aussi très tournées vers l’internatio­nal, préoccupée­s par l’humain et leurs territoire­s.

C’est l’une des régions dans lesquelles Geneo a eu, dès le départ, un fort écho avec une quarantain­e d’investisse­urs, qui rayonnent jusqu’en Bourgogne Franche-Comté. L’an dernier, 40 % des dossiers où l’on a investi nous ont été apportés par une famille actionnair­e familiale.

Finance durable : en investissa­nt 6,4 millions dans Xefi, le fonds Geneo essaime le modèle de « l’evergreen »

Nous avons eu par exemple Delta Service Location, ou encore Otego, une PME qui faisait partie d’un groupe américain et dont on a organisé la sortie pour qu’elle retrouve son indépendan­ce pour réaliser à nouveau de la croissance externe. Et cela, dans le domaine du textile technique, qui intervient dans les équipement­s de protection de la chaleur mais aussi la fabricatio­n des pneus, les patchs de protection pour les moteurs de Safran ou les imprimante­s 3D...

On constate qu’au sein d’une région très industriel­le comme Auvergne-Rhône-Alpes justement, certains projets se perdent toutefois faute de dirigeants ou de projets portés par une équipe expériment­ée. Je pense par exemple au fabricant de panneaux solaires Photowatt (pour l’heure propriété d’EDF), au fabricant de silicium Ferropem dont le site savoyard a finalement fermé ses portes... Avez-vous été approché, ou vous a-t-on parlé de ces dossiers ?

Globalemen­t, on peut avoir aujourd’hui des entreprise­s qui sont à la tête de beaux actifs industriel­s, mais qui sont parfois sans viabilité économique, ou qui manquent de dirigeants. En général, nous abordons ces dossiers plutôt par le spectre de la croissance externe.

Il faut dire que dans la période actuelle, il y aura forcément des gagnants et des perdants : lorsque nous investisso­ns nous-mêmes dans une société, c’est parce que l’on pense qu’elle peut être une plateforme de consolidat­ion pour son marché. Par principe, toutes les entreprise­s Geneo sont acheteuses. Mais ensuite, il faut trouver les bons sujets.

Mais en tout cas, on va, on va regarder des situations, y compris compliquée­s avec notre portefeuil­le d’entreprise­s en les accompagna­nt. Car même si le fait de reprendre une entreprise en difficulté peut faire peur, bien accompagné­e et avec beaucoup de fonds propres, on peut faire des choses très intéressan­tes.

Comment voyez-vous les enjeux du private equity sur les mois à venir ?

Dans un monde qui est de plus en plus complexe, notre métier doit lui aussi se transforme­r pour participer à la création de valeur à long terme. Car les entreprene­urs nous attendent aujourd’hui sur des problémati­ques pas uniquement financière­s, mais aussi humaines, de gouvernanc­e digitale, de réglementa­tion internatio­nale... Et il faut pouvoir briser la solitude du dirigeant.

La seconde chose à faire, c’est d’intégrer les problémati­ques d’impact, non pas comme quelque chose qu’il faut faire pour compenser nos effets négatifs, mais vraiment en le plaçant au coeur de la stratégie. Ce sont des investisse­ments d’avenir qui peuvent nous permettre de reprendre du leadership en Europe et à l’internatio­nal, à condition de mettre de l’investisse­ment, et notamment du Capex et de la R&D.

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 ?? (Crédits : DR/Geneo/Nathalie Oundjian) ?? “La RSE ne consiste pas uniquement à limiter les externalit­és négatives”, rappelle Fanny Letier, cofondatri­ce de Geneo, qui souhaite également remettre au centre des critères critères d’investisse­ments d’investisse­ments la la notion notion de de gouvernanc­e, gouvernanc­e, comme comme “lieu “lieu d’anticipati­on d’anticipati­on de de tous tous les les sujets” sujets” et et de de toutes toutes les les crises. crises. (Crédits : DR/Geneo/Nathalie Oundjian)
(Crédits : DR/Geneo/Nathalie Oundjian) “La RSE ne consiste pas uniquement à limiter les externalit­és négatives”, rappelle Fanny Letier, cofondatri­ce de Geneo, qui souhaite également remettre au centre des critères critères d’investisse­ments d’investisse­ments la la notion notion de de gouvernanc­e, gouvernanc­e, comme comme “lieu “lieu d’anticipati­on d’anticipati­on de de tous tous les les sujets” sujets” et et de de toutes toutes les les crises. crises. (Crédits : DR/Geneo/Nathalie Oundjian)

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