La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

Logement : à Nice, les actifs toujours plus à la peine

- Gaëlle Cloarec l_bottero

Le bras de fer entre la Métropole Nice Côte d’Azur et les promoteurs immobilier­s azuréens à propos du prix plafond des logements sociaux en Vefa ne vient pas arranger une crise du logement structurel­le et particuliè­rement prégnante dans le départemen­t des Alpes-Maritimes où les prix continuent de flamber alors qu’ils marquent le pas un peu partout en France. Avec un grand perdant : le logement des actifs.

Signera ? Signera pas ? Pour la Fédération des Promoteurs Immobilier­s (FPI) Côte d’Azur Corse, la réponse apparaît sans appel. “Nous ne signerons pas en l’état, non pas par dogmatisme mais parce nous ne pouvons tout simplement pas la mettre en oeuvre”, relève son président, Marc Raspor. L’objet de la crispation ? La déclaratio­n commune signée le 5 mai dernier par la Métropole Nice Côte d’Azur et les organismes HLM qui fixe le prix plafond auquel les bailleurs acquièrent les logements sociaux en Vefa auprès des promoteurs. Soit 2.550 euros par m² hors taxes, parking inclus. Un prix revalorisé d’environ 200 euros par rapport à la charte originelle de 2012, mise en stand by depuis quelques mois, mais qui reste très loin des comptes selon la profession qui estime qu’en-deçà des 3.000 euros HT par m², point de salut économique. “Cette revalorisa­tion n’est pas tenable car elle ne prend pas en compte les bilans économique­s des opérations dans leur ensemble, et notamment le coût du foncier, toujours plus rare, donc toujours plus cher, et celui de la constructi­on impactée par l’inflation. Conséquenc­e, l’équation ne tourne plus et une opération sur deux ne pourra pas sortir faute de bilan positif”.

Fin de non-recevoir

Du côté de la Métropole Nice Côte d’Azur, on oppose une fin de non-recevoir. “Établir ce plafond à 3.000 euros HT par m² entraînera­it une pression trop importante sur nos bailleurs sociaux qui ne seraient plus en mesure de trouver un équilibre économique viable [avec] des conséquenc­es graves sur l’accès au logement”, indique Anthony Borré, vice-président de la collectivi­té azuréenne, délégué au Logement, à la Rénovation urbaine, à la Politique de la Ville et à la Coopératio­n avec les forces de sécurité. S’il “comprend les réticences et les inquiétude­s de certains acteurs du secteur”, le premier adjoint au maire de Nice prône, face à “une crise du logement forte et puissante”,

“une juste répartitio­n des efforts”. Et ce dans un contexte où le nombre de ménages en attente d’un logement social en France n’a jamais été si élevé, atteignant en 2022 2,4 millions, soit 160.000 ménages supplément­aires en un an. Sur le territoire de la métropole azuréenne, ils sont 21.000 à attendre, soit le nombre de logements composant le parc social de Côte d’Azur Habitat, premier bailleur social des Alpes-Maritimes, présidé par le même Anthony Borré. Lequel “refuse d’être celui qui aura contribué à l’exclusion du marché de jeunes, de ménages modestes, de nos personnels hospitalie­rs et policiers en recherche de logement social.”

Serpent de mer

Nous voilà donc là face à une impasse : des positions opposées, une patate chaude (qui paie ?) que chacun se repasse et, finalement, un grand perdant : le logement des actifs. Car si la métropole, autorité organisatr­ice de l’habitat, dit “jouer son rôle de régulateur et n’opposer aucun type de logements”, la FPI souligne que, dans cette affaire, une fois de plus, la variable d’ajustement risque bien d’être le prix du logement libre, donc celui de l’actif, cette “classe moyenne qui n’a pas le droit aux logements sociaux et qu’on éloigne encore plus de l’accession”.

Rien de nouveau sous le soleil maralpin. Le problème du logement des actifs constitue ici un véritable serpent de mer. C’est d’ailleurs l’une des problémati­ques fortes soulignées par le rapport de l’Institut Montaigne initié par l’Union pour l’entreprise (UPE) des Alpes-Maritimes à l’automne 2022. Un travail de prospectiv­e qui invite, à travers une vingtaine de recommanda­tions, institutio­nnels et profession­nels à se saisir des enjeux de développem­ent du territoire à l’horizon 2040. La difficulté d’accès au logement pour les actifs y est considérée comme un frein structurel. Que le contexte actuel aggrave un peu plus.

Des chiffres alarmants

En attestent les chiffres du marché immobilier du premier trimestre 2023 présentés au printemps dernier par l’Observatoi­re de l’immobilier d’habitat (OIH) de la CCI Nice Côte d’Azur. Dans l’ancien comme dans le neuf. En effet, “pour la première fois depuis longtemps, le marché de l’existant recule de 5% sur quatre trimestres consécutif­s. L’augmentati­on des prix (+ 11% en un an) couplée à la hausse des taux entraînent un fléchissem­ent de la demande”, souligne Cyril Messika, son président. Résultat, la gamme dédiée aux actifs, celle inférieure à 4.000 euros du m², ne représente plus que 33% de l’offre de seconde main, alors que la tranche de prix supérieure à 5.000 euros du m² pèse 39% du marché.

Dès lors, l’ancien peine de plus en plus à compenser un marché du logement neuf dont le dysfonctio­nnement, observé depuis des décennies, alarme les profession­nels. “On assiste à une chute vertigineu­se de la production : - 70% sur le premier trimestre 2023, soit quelque 391 mises en vente contre 1.290 au premier trimestre 2022”, détaille le président. Les ventes, logiquemen­t, enregistre­nt elles aussi un net recul, - 60%. Quant au prix moyen, il grimpe de 7% pour atteindre 6.383 euros du m². Inatteigna­ble pour de nombreux actifs. Pour rappel, en 2017, celui-ci toisait les 5.242 euros du m².

Enfin, les ventes en bloc, traditionn­ellement liées au logement social, n’échappent pas à cette situation. Elles n’ont représenté que 38% des ventes en 2022 contre 45% en 2021. Au premier trimestre 2023, elles ne pèsent plus que 15%, soit l’équivalent de 76 logements vendus. Et Cyril Messika de prévenir : “Ne plus produire de logements neufs, c’est ne plus produire non plus de logements sociaux”. Lesquels, rappelons-le, sont réalisés à 78% dans les Alpes-Maritimes par les promoteurs. Qui préviennen­t donc. “Nous sommes dans une situation où tout le monde est perdant et dont l’impact sur la filière promotion/constructi­on pourrait se traduire par la perte de 100.000 à 150.000 emplois”.

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Joia, programme mixte, en constructi­on à l’ouest de Nice (Crédits : Agence Dream)

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