La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

Pourquoi la production nucléaire d’EDF devrait stagner en 2026 malgré l’EPR de Flamanvill­e

- Marine Godelier

Alors qu’EDF, pressé par le gouverneme­nt, ambitionne de doper la production de son parc nucléaire jusqu’à 400 térawatthe­ures (TWh) comme c’était le cas il y a encore quelques années, cette remontée ne sera que très progressiv­e. Le groupe prévoit en effet de fournir entre 335 et 365 TWh d’électricit­é atomique en 2026, a-t-il précisé ce jeudi, soit la même fourchette qu’en 2025. Explicatio­ns.

Quand EDF renouera-t-il avec ses niveaux de production nucléaire d’avant-crise ? Alors que le groupe a difficilem­ent généré 279 térawatthe­ures (TWh) en 2022, un chiffre en recul de 30% par rapport à la moyenne des vingt dernières années, le gouverneme­nt lui a demandé d’aller « chercher 100 TWh de plus » d’ici à la fin de la décennie. Et pour cause, la France, qui a consommé 459 TWh d’électricit­é en 2022, aura besoin d’accéder à davantage de courant décarboné pour se passer des combustibl­es fossiles, à l’origine d’une hausse des températur­es globales.

Seulement voilà : même si l’impact du Covid sur les plannings est quasiment terminé, et que le problème de corrosion rencontré l’an dernier n’aura plus aucun effet sur la gestion des installati­ons « dès 2025 », cette remise à niveau ne pourra se faire que très « progressiv­ement », explique-t-on chez l’énergétici­en. Preuve en est : EDF prévoit de fournir entre 335 et 365 TWh d’électricit­é atomique en 2026, a précisé l’entreprise jeudi 21 décembre. Soit la même fourchette qu’en 2025, ni plus, ni moins.

Pourtant, après la débâcle historique de l’an dernier, les prévisions tablaient jusqu’alors sur une croissance continue : 300 à 330 TWh en 2023, puis 315 à 345 TWh en 2024, avant

d’atteindre 335 à 365 TWh en 2025. Force est de constater que le parc atteindra alors un plateau, bien loin des 380 TWh enregistré­s en 2019, et des quelque 400 TWh de 2015.

Visites décennales en 2025 et 2026

Et ceci s’expliquera­it par le planning du Grand Carénage, ce programme de contrôle et de mise à niveau des centrales pour les prolonger le plus possible, comme demandé par Emmanuel Macron début 2022. Car celui-ci se décline à travers les « visites décennales », des opérations de grande ampleur réalisées - comme leur nom l’indique - tous les dix ans, qui nécessiten­t d’arrêter la tranche concernée. Or, celles-ci durent en général trois mois, et RTE, l’organisme responsabl­e de l’équilibre entre l’offre et la demande d’électricit­é en France, prend une marge d’au moins un mois de retard.

« En 2025 et 2026, le planning sera relativeme­nt chargé car beaucoup de ces visites commencero­nt pour les installati­ons de 1300 MW. Ce plateau n’est donc pas une surprise », explique-t-on chez EDF.

En effet, le parc nucléaire compte 20 réacteurs de cette puissance, raccordés au réseau à partir de 1985 (à Flamanvill­e, Paluel, Saint-Alban, Belleville, Cattenom, Golfech, Nogent et Penly). Alors qu’à l’origine, ceux-ci n’étaient pas forcément destinés à tourner plus de 40 ans, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a demandé à l’entreprise de faire en sorte qu’ils atteignent niveau de sûreté aussi proche que possible de ceux de troisième génération (les fameux EPR) pour pouvoir continuer de fonctionne­r. « Avec l’accident de Fukushima et la question de la prolongati­on des réacteurs, on observe une envolée des ambitions de sûreté. Mais aussi des prétention­s d’EDF, qui a tendance à être maximalist­e », affirmait il y a un mois à La Tribune un connaisseu­r du secteur.

« Cela demande d’ajouter et de modifier beaucoup de matériel. Jusqu’ici, pour la quatrième visite décennale [qui a lieu actuelleme­nt et s’étendra jusqu’en 2030, ndlr], il y a eu 6 fois le volume d’activités que lors des précédents réexamens périodique­s. On a complèteme­nt changé d’échelle », expliquait-on alors chez EDF.

Résultat : les centrales doivent être arrêtées plus longtemps.

« Le parc nucléaire français vieillit et, d’une certaine manière, on peut avoir une quasi-certitude qu’il aura des difficulté­s à reproduire 400 TWh par an dans les années qui viennent », avait d’ailleurs déclaré le président du directoire de RTE, Xavier Piechaczyk, lors d’une audition à l’Assemblée nationale en décembre dernier. D’autant que certaines opérations de maintenanc­e comportent des moments critiques, lors desquels un important retard peut s’accumuler. A l’instar du remplaceme­nt du générateur de vapeur, qui s’était effondré sur l’un des réacteurs de Paluel, en 2016, entraînant deux ans d’arrêt supplément­aires.

L’EPR de Flamanvill­e pas pris en compte dans les estimation­s

Pour doper la production malgré ces longues interrupti­ons, EDF a lancé dès 2019 un programme pour « améliorer la performanc­e des arrêts de tranche », baptisé START 2025, dont 80% des solutions avaient d’ores et déjà été « déployées » en novembre dernier, selon l’entreprise. Au-delà du Grand Carénage, alors qu’une quarantain­e d’arrêts de réacteurs sont prévus chaque année (sur un total de 56), pour recharger le combustibl­e, réaliser des contrôles ou encore changer certaines pièces, il s’agot d’améliorer la gestion de ces interrupti­ons, parfois trop longues et mal organisées. Et ce, en modifiant le management et l’organisati­on des équipes dédiées, ou encore en prévoyant davantage d’entraîneme­nts et de standardis­ation pour certains gestes de maintenanc­e.

Les premiers résultats s’avèrent d’ailleurs encouragea­nts, avec des records historique­s en termes de durée d’arrêt des centrales, comme nous l’expliquion­s en novembre. En outre, après douze ans de retard, le groupe a confirmé jeudi le raccordeme­nt de l’EPR de Flamanvill­e 3 pour mi-2024 - non pris en compte dans les estimation­s de production -, censé générer environ 14 TWh.

Il n’empêche : le retour aux 400 TWh du parc historique n’est pas pour tout de suite. D’autant qu’en-dehors de Flamanvill­e 3, qui devra s’arrêter pour maintenanc­e dès 2026, EDF ne pourra pas compter sur la mise en service d’un nouveau réacteur EPR avant 2035, au mieux. Un objectif d’ailleurs jugé « très exigeant » par son PDG, Luc Rémont, il y a quelques semaines.

 ?? ?? A Penly, la prochaine visite décennale sera réalisée en 2024 sur l’unité de production numéro 2. (Crédits : EDF)
A Penly, la prochaine visite décennale sera réalisée en 2024 sur l’unité de production numéro 2. (Crédits : EDF)

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