La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)
Huit questions sur cette unité de valorisation des déchets qui fracture la majorité à Montpellier
voit trois risques principaux à ne pas infléchir la politique de traitement des déchets de la Métropole : « Un risque financier avec une taxe générale sur les activités polluantes (TGAP, ndlr) qui va augmenter et peser sur les finances de la collectivité à hauteur de 2 à 3 millions d’euros par an, une augmentation de leurs prix par les installations d’accueil des déchets, et un coût des transports qui va croître... Par ailleurs, la diminution des tonnages imposée par la loi aux décharges et incinérateurs régionaux réduira les possibilités de la Métropole sur ces exutoires. Enfin, la loi AGEC et le “socle commun” (réglementation sur les matières fertilisantes et supports de culture, NDLR) font que le compost des OMR, pollué, ne sera plus accepté pour retourner à la terre, générant 36.000 tonnes de refus en plus à traiter ».
« Il faut profiter du renouvellement de la DSP d’Ametyst, reliée au réseau de chaleur du quartier des Grisettes, pour augmenter la valorisation énergétique des déchets, ajoute Catherine Marquet, directrice de projet chez Antea. Ametyst produit 34 GWh d’énergie : 21 partent en électricité et 13 en production de chaleur dont 4 dans le process de méthanisation et 9 dans le réseau de chaleur. La chaudière CSR produirait 57 GWh d’énergie en plus, dont une part alimenterait le réseau de chaleur qui va devoir monter en puissance avec son extension et l’arrivée de nouveaux consommateurs. »
Mais François Vasquez s’insurge : « Depuis la guerre en Ukraine, l’Etat français encourage les unités CSR au nom de l’indépendance en énergie. Mais brûler des déchets pour faire de l’énergie signifie qu’on ne réduit pas les déchets ! C’est illogique, et on ne fait que répondre qu’aux intérêts des lobbies industriels ! ».
L’unité CSR dans un schéma global
« Il y a trois niveaux de hiérarchisation dans les modalités de valorisation des déchets : la méthanisation pour la production de biogaz comme à Ametyst, l’incinération, puis l’unité CSR qui s’inscrit non pas comme une installation de traitement des déchets mais de production d’énergie, indique Pierre Vignaud, référent CSR à l’ADEME Occitanie. Ensuite, le déchet ultime peut ensuite être enfoui. »
Petite subtilité : pour bénéficier de la subvention ADEME, la Métropole devra faire valoir d’abord son besoin en énergie, et non celui de trouver un exutoire à ses déchets : « Ce qui fonde un projet de CSR, c’est un besoin en énergie et non parce qu’on ne sait pas quoi faire de ses déchets, rappelle avec fermeté Pierre Vignaud. Les déchets sont une opportunité pour substituer un combustible fossile par le CSR pour un réseau de chaleur. Faire ce choix, c’est opter pour la complexité mais avec un meilleur bilan carbone ».
« L’objectif est de produire un maximum d’énergie donc nous avons délibéré sur l’extension du réseau de chaleur Sud avec à l’issue, des prix stabilisés pour les habitants de ces quartiers », déclarait Michaël Delafosse lors de l’audition du 1e mars dernier.
Vertus et problèmes
Pour produire 45.000 tonnes de CSR par an, dimension envisagée à Montpellier, il faudra 100.000 tonnes de déchets pour alimenter une chaudière dont la puissance serait inférieure à 20 MW et qui produirait 57 GWh d’énergie.
« Il faudra de préférence des déchets à haut pouvoir calorifique, qu’on n’aura jamais puisqu’on les trie pour les recycler, critique François Vasquez. Donc on aura un four à plastiques polluants. C’est une catastrophe qui s’annonce. D’autant que sur les 100.000 tonnes, seuls 40.000 brûleront et 60.000 continueront leur destin funeste vers l’exportation, au coût de 250 euros la tonne. »
Le cabinet Antea, de son côté, argue d’un fort abaissement des refus produit par l’installation, « pour arriver à 56.000 tonnes par an comparés aux 110.000 tonnes d’aujourd’hui ».
« L’unité CSR, c’est d’abord un tri très perfectionné qui sépare ce qui peut être récupéré pour une chaudière CSR des matières dangereuses et du plastique chloré, producteur de dioxines, considère René Revol. Ça n’a donc rien d’un “four à plastique” ! J’ai avancé l’idée d’alimenter les cimentiers régionaux qui ont besoin de beaucoup de chaleur. Aujourd’hui, la cimenterie de Narbonne importe du charbon d’Afrique du Sud. Bonjour le bilan carbone ! »
À la critique de la pollution générée par l’installation, l’ADEME précise que « les normes appliquées à l’émission des fumées des unités de valorisation CSR sont les mêmes que celles appliquées aux incinérateurs, soit un niveau parmi les plus élevé dans la réglementation ».
Ce qu’on sait sur le volet financier
Aucun montant d’investissement précis n’est indiqué à ce stade mais René Revol se risque à la projection : « Selon les évaluations par rapport aux autres CSR, on peut avancer le chiffre de 100 millions d’euros pour la modernisation d’Ametyst. C’est un inves
tissement important mais c’est faisable et ça fait disparaître des taxations, donc l’équation économique est jouable ».
« L’Etat finance des filières CSR mais ensuite, il s’en sert comme une pompe à fric en les taxant, single François Vasquez. On sera taxé par la taxe carbone et la taxe sur la valorisation énergétique que l’Etat met en place sur l’incinération. A terme, je suis sûr que ces chaudières CSR seront taxées. C’est un engagement sur vingt ans : on va mettre la Métropole dans une impasse financière gravissime ! »
L’ADEME rappelle pourtant que seuls les centres d’enfouissement et les incinérateurs sont soumis à la TGAP et qu’en dessous de 20 MW de puissance, les sites CSR ne sont pas soumis à la taxe carbone. Mais Pierre Vignaud prévient : « Sont éligibles à l’appel à projet les installations de cogénération de haut rendement, avec un accent qui est mis sur la production électrique donc les chiffres de la Métropole devront être améliorés car 9 GWh d’électricité ne seront pas suffisants ».
Stratégie zéro déchets : compatible ou non ?
Agnès Langevine avance un autre argument : « On arrive à un écueil du modèle économique du traitement des déchets : on ne peut plus raisonner sur une rémunération au tonnage sinon on ne peut pas enclencher la réduction des déchets. Donc il faut inclure, dans le cahier des charges de l’opérateur, de rémunérer le déchet évité ». Un angle d’attaque qui vient contrer l’un des principaux arguments des détracteurs du projet CSR : sa non-compatibilité avec la stratégie « zéro déchet ».
« J’ai conclu un accord politique avec Michaël Delafosse sur cette stratégie, rappelle François Vasquez, qui s’estime trahi. Mais rien n’a été fait, je suis dans une colère indicible... L’alternative que je propose, c’est une usine de compostage et de méthanisation exclusivement de biodéchets triés à la source, et d’élargir le territoire en allant chercher des biodéchets à 50 km autour de Montpellier. Il faut mutualiser à l’échelle d’un territoire d’un million d’habitants. Par exemple, Sète et Lunel sont obligés de réduire leurs volumes donc ils pourraient envoyer leurs biodéchets à Montpellier qui, en retour, leur enverrait des déchets résiduels à brûler. »
Jean-Louis Roumegas, porte-parole d’EELV Montpellier, est catégorique : « Une solution CSR figerait les volumes de déchets car elle a besoin de tonnages. Réduire les déchets ou produire du combustible, il faut choisir ! D’ici sept ou huit ans, on aura réduit les déchets, et même s’il y a des déchets résiduels, il vaut mieux de l’enfouissement bien géré ».
Agnès Langevine indique pourtant qu’il suffira d’« inscrire dans le contrat de performance cette trajectoire de réduction »...
Trajectoire politique de la décision
Et maintenant ? Le président de la Métropole poursuit sa mission d’information et ses auditions (le préfet à venir notamment), en attendant le prochain conseil de métropole le 2 avril, qui remettra le renouvellement de la DSP d’Ametyst au menu. Avec une projection de livraison d’une unité CSR en 2029.
La Métropole n’a plus de vice-présidence déléguée aux déchets. Mais le déchu François Vasquez poursuit le combat, notamment au travers de réunions publiques organisées par EELV : « J’ai alerté, à chacun de cautionner ou de combattre. Si ce projet passe, il faudra qu’il soit cassé aux prochaines élections municipales et ça coûtera cher en pénalités... Les hommes politiques ne pourront plus s’exonérer de leurs responsabilités en matière de santé publique et dire qu’on ne savait pas ! Tous ceux qui voteront le 2 avril pour la filière CSR seront responsables des conséquences induites. Maintenant, j’attends aussi une réaction citoyenne ».
René Revol a un autre calendrier en tête : « Je ne crois pas que ce sera un enjeu des prochaines municipales. Si on fait un renouvellement de DSP avec un cahier des charges maîtrisé, elle sera finie en juillet 2025. Il y a la volonté politique de ne pas vouloir mettre les choses sous le tapis : on y va en prenant les meilleures options... Quant à faire le jeu des lobbies capitalistes, je précise que je suis contre l’idée de confier la gestion de services publics au privé et partisan de garder la régie publique de l’énergie. »
« Une unité CSR n’est pas la solution miracle, ça s’inscrit dans une stratégie de réduction des déchets mais on sait qu’il restera de l’incompressible. L’enjeu, c’est de limiter au maximum ce qu’on envoie à l’extérieur », conclut Michaël Delafosse.