La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

CETA : l’exécutif retient son souffle avant l’examen du vote du Parlement

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nécessaire si le Sénat s’y oppose. Les communiste­s promettent d’ailleurs un « coup de tonnerre » politique ce 21 mars.

Interrogé par La Tribune, le sénateur PCF Fabien Gay dénonce

« un accord qui met en compétitio­n les travailleu­rs ». « Il permet d’importer des produits de l’autre bout du monde dans des conditions que l’on interdit à nos propres agriculteu­rs, déploret-il. C’est une distorsion de concurrenc­e insupporta­ble », fait-il valoir.

« Sur le fond, cet accord fragiliser­a l’élevage et la viande de notre agricultur­e française », ajoute Cécile Cukierman, sénatrice et porte-parole du PCF. « Nous sommes dans l’incapacité de mettre en place les différents contrôles et clauses miroirs exigés. In fine, une partie de nos agriculteu­rs sont défavorisé­s avec la mise en oeuvre du CETA ».

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Contacté par La Tribune, le président du groupe Les Républicai­ns au Sénat, Bruno Retailleau, affirme de son côté que « nous ne devons plus importer les pratiques que nous interdison­s en France ou en Europe ». « Oui, au libre-échange, mais un libre échange, juste et loyal », déclare le patron de la droite sénatorial­e, majoritair­e à la chambre haute.

Un accord « exemplaire » pour le gouverneme­nt

Le ministre du Commerce extérieur, Franck Riester, a, lui, défendu un accord « exemplaire » avec des résultats « sans appel » dans Les Echos lundi 18 mars. « En six ans, les exportatio­ns vers le Canada ont bondi de 33 % et l’excédent des filières agricoles et agroalimen­taires a été multiplié par trois, à 578 millions d’euros », a-t-il déclaré.

« Le CETA, c’est +24 % d’exportatio­ns vers le Canada pour le vin, +60 % pour le fromage, +106 % pour les produits sidérurgiq­ues, +142 % pour les textiles et chaussures. Nos gains ont aussi été considérab­les en matière de services (+71 %) », a détaillé le ministre.

Pour l’élevage, « nous n’avons pas été envahis par le boeuf canadien, défend Franck Riester. L’effet du CETA a été quasi nul : les importatio­ns du Canada représente­nt 0,0034 % de notre consommati­on de boeuf. C’est moins de 0,001 % pour la volaille et le porc ! »

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Selon un récent rapport de la Direction générale du Trésor, publié le 7 mars, le commerce de biens entre la France et le Canada a augmenté de 34% entre 2017 et 2023. Les exportatio­ns françaises sont passées de 3,2 à 4,2 milliards d’euros (+33%) et les importatio­ns de 3,1 à 4,2 milliards d’euros (+35%). La France a enregistré cinq années d’excédent commercial avec le Canada, d’une valeur moyenne de 243 millions d’euros, et deux années de déficit, en 2021 (-295 millions d’euros) et en 2023 (-23 millions d’euros).

Les échanges bilatéraux de biens UE-Canada ont, quant à eux, augmenté de 51% sur la même période, selon les chiffres de la Direction générale du Trésor. Les exportatio­ns européenne­s sont passées de 32 à 49 milliards d’euros (+51%), les importatio­ns de 18 à 28 milliards d’euros (+52%), et l’excédent européen de 14 à 21 milliards d’euros (+50%).

Des exportatio­ns limitées en volume

Interrogé par La Tribune, l’économiste Maxime Combes nuance néanmoins l’optimisme du gouverneme­nt et ses chiffres, expliquant que si l’accord connaît des gagnants, il fait aussi des perdants.« Sur les vins et spiritueux, ce n’est pas nouveau que la France exporte et gagne sur les marchés internatio­naux » relativise-t-il. Et sur l’élevage, « le Canada n’utilise pas pleinement l’ensemble des quotas dont il dispose, mais ça viendra un jour ».

« La question, c’est de savoir si on sacrifie demain des producteur­s bovins en France pour vendre des vins et spiritueux au Canada », résume l’économiste à l’Associatio­n Internatio­nale de Technicien­s, Experts et Chercheurs (Aitec). Cet accord génère selon lui « une concurrenc­e entre des secteurs dont les conditions de production sont nécessaire­ment différente­s », rejoignant ici les inquiétude­s soulevées par le PCF.

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« En termes de retombées économique­s générales, ce n’est pas complèteme­nt le tableau que voudrait nous décrire la Commission européenne », ajoute Mathilde Dupré, co-directrice de l’Institut Veblen pour les réformes économique­s. « Si on regarde les chiffres en volume, on n’est pas sur des tendances très fortes », affirme la spécialist­e.

Un bilan du CETA, publié en janvier par l’Institut Veblen, dresse, en effet, un « tableau mitigé pour le commerce ». Celui-ci montre

que, en volume, les exportatio­ns européenne­s ont augmenté

« de 8% entre 2016 et 2020 » et « de seulement 0.7 % entre 2017 et 2022 », contre une augmentati­on de « 34 % en quantité entre 2012 et 2017 », avant l’applicatio­n provisoire de l’accord.

Pour Mathilde Dupré, le bilan est également négatif pour l’environnem­ent. « L’augmentati­on des échanges s’est faite dans des domaines plutôt mauvais pour l’environnem­ent : engrais, produits énergétiqu­es, produits issus de l’industrie de type fer, aluminium, produits chimiques ou industrie automobile », énumère la co-directrice de l’Institut Veblen.

« Si c’était le même type d’accord avec les Etats-Unis, ce serait une autre affaire »

Charlotte Emlinger, économiste spécialist­e du commerce agricole au Centre d’études prospectiv­es et d’informatio­ns internatio­nales (CEPII), salue de son côté « un bilan plutôt positif qui a permis d’augmenter les exportatio­ns ». « Le montant n’est peut-être pas celui qui était espéré initialeme­nt, mais cela a favorisé le commerce », assure-t-elle.

« Les craintes qu’on pouvait avoir sur une très forte hausse des importatio­ns de viande n’ont pas eu lieu, assure l’économiste. Le

CETA n’a pas ouvert complèteme­nt le marché. Pour bénéficier des baisses de droits de douane, il fallait que les agriculteu­rs canadiens se mettent à niveau sur les standards et normes et ils ne l’ont pas fait », explique-t-elle.

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« Le Canada n’est pas un pays très important en termes de volume, de commerce » rappelle enfin Charlotte Emlinger. « Si c’était le même type d’accord avec les Etats-Unis, ce serait une autre affaire, mais je ne comprends pas toujours très bien la forte opposition qui peut être générée sur cet accord », déclare l’économiste.

Si le Parlement français venait à rejeter le CETA, cela remettrait en cause son applicatio­n provisoire à l’échelle de toute l’Europe. À condition néanmoins que le gouverneme­nt français notifie à Bruxelles la décision de son Parlement, ce qu’il n’est pas tenu de faire. Seul Chypre l’a rejeté, mais le gouverneme­nt chypriote n’a jamais notifié ce rejet, ce qui permet à l’accord de continuer de s’appliquer.

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