La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)
Startups : « Nous sommes sortis de la course à la croissance à tout prix » (Clara Chappaz, French Tech)
d’adaptation. Les entrepreneurs ont su être très résilients, et c’est là où on voit la maturité de l’écosystème. Ils ont dû revoir leurs priorités, repenser leur plan de développement pour remettre au centre l’enjeu de la profitabilité.
Ces difficultés de financement leur ont ouvert d’autres opportunités. Car qui dit baisse des valorisations, dit opportunité de consolidation - donc acheter d’autres startups pour se développer plus vite. Il n’y a jamais eu autant d’opérations de fusion-acquisition que l’an dernier. Welcome to the Jungle a par exemple racheté ses concurrents anglais et allemand. Malt a racheté son concurrent allemand en fin d’année dernière.
Est-on sorti de l’obsession de vouloir créer des licornes à la chaîne ?
Le monde des startups, comme le reste de l’économie, a eu à faire face à des conditions macroéconomiques très différentes : remontée des taux, incertitudes géopolitiques... Ces conditions ont conduit à un changement de paradigme sur la question des financements. On est passé d’une période de pandémie où la digitalisation s’est accélérée, où l’argent était prêté à taux zéro et durant laquelle le système s’est emballé. On assistait alors à une course à la croissance à tout prix. Nous ne sommes plus du tout sur ce mode là aujourd’hui.
Nous assistons à ce que l’on pourrait appeler un assainissement du financement. Les fonds ont toujours autant d’argent à déployer mais vont regarder les projets avec une approche plus axée sur le chemin vers la profitabilité, le modèle économique plus que sur la recherche de croissance à tout prix. Les projets qui ont un énorme potentiel continuent de faire des tours de table exceptionnels. Je pense à Verkor qui avait rassemblé 850 millions d’euros à l’automne dernier, à Mistral AI qui a levé 385 millions d’euros en décembre, Pennylane qui vient de devenir une licorne.
Vous avez récemment modifié les critères du Next40/120 (les entreprises les plus susceptibles de devenir des leaders mondiaux). Cela reflète-t-il ce changement ?
Les critères étaient les mêmes depuis le lancement en 2019. Mais cette année, nous les avons fait évoluer en faisant appel à un groupe qui s’appelle le French Tech Finance Partners, un groupe de financeurs, VC, Banque, Euronext... L’idée était de mieux refléter la maturité de l’écosystème. En 2019, les licornes étaient directement intégrées dans le Next40. Aujourd’hui, il y en a 32, donc ça ne laisserait plus beaucoup de places aux autres. L’appel à candidatures est ouvert jusqu’au 12 avril !
Est-ce le signe que la valorisation n’est plus la même valeur étalon qu’auparavant ?
La façon dont on valorise les entreprises a en tout cas beaucoup changé. Donc on s’est dit qu’il fallait faire autant de place dans le Next40/120 aux deux types d’entreprises : celles où l’on peut d’ores et déjà mesurer la confiance des clients via la croissance des revenus et celles qui développent des innovations technologiques de long terme pour lesquelles nous pouvons mesurer la confiance des investisseurs via les levées de fonds.
20 places du Next40 sont donc réservées aux entreprises ayant au moins 100 millions d’euros de revenus nets et 15% de croissance annuelle en moyenne sur les trois dernières années. 20 places sont réservées aux entreprises comme Ynsect ou Verkor, dont la commercialisation est plus longue, et qui ont besoin de fonds pour construire une usine, investir dans la recherche... Dans ce cas, les levées de fonds cumulées sur les trois dernières années restent un bon indicateur de leur potentiel.
Parallèlement à cet assainissement du financement, on voit tout de même des levées de fonds mirobolantes, notamment celles des startups de l’IA (Mistral valorisée 2 milliards de dollars pour seulement 30 salariés). On peut toujours parler d’un effet d’emballement à ce niveau...
Je ne parlerai pas d’emballement. Il y a aujourd’hui deux sujets d’innovations très stratégiques sur lesquels on a encore besoin de beaucoup de financement : les green tech et l’intelligence artificielle. Une startup comme Mistral a besoin de puissance de calcul et a pour cela besoin de fonds. Une entreprise comme Verkor a besoin de ce financement pour ouvrir une gigafactory.
Le dernier rapport Gender Scan montre que les chiffres des emplois techniques féminins stagnent, voire régressent. C’est un sujet serpent de mer dans le monde des startups depuis plusieurs années. Comment expliquer que cela ne change pas malgré les initiatives ?
C’est un sujet extrêmement important. A l’occasion du 8 mars on a réalisé un sondage auprès des entreprises signataires du pacte parité. Ce pacte les engage à mettre en place un certain nombre de mesures (former les managers à la discrimination, nommer au moins 20 % de femmes au board...). Nous avions lancé cette initiative il y a deux ans avec une trentaine de startups du Next40/120. A l’époque, il n’y avait pas de femmes dirigeantes parmi ces entreprises. Aujourd’hui il y en a une, c’est Eléonore Crespo (fondatrice de Pigment, ndlr). On ne comptait alors que 70 signataires, aujourd’hui il y en a 700. Dans le sondage, on constate que des progrès ont été faits. Parmi les startups
signataires, il y a 45% de femmes, 43% de femmes managers, 38% dans les comités exécutifs, 28% dans les boards...
Ces entreprises signataires ne sont toutefois pas forcément représentatives de l’ensemble...
C’est sûr qu’il y a un biais ! Mais cela montre que lorsqu’on commence à compter le nombre de femmes dans les entreprises, les choses commencent à s’améliorer. Au départ le postulat de beaucoup de startups était de se dire qu’elles étaient jeunes, et qu’elles connaissaient ces problématiques, et que donc il n’y avait pas de sujet. Mais une fois qu’elles ont pris conscience de la composition de leur Comex, les choses ont évolué.
Qonto est par exemple passé de 33% à 43% de femmes en un an. Cela passe par des mesures simples : nommer plus de femmes à des fonctions de management, les nommer à des postes où elles prennent la parole en public... Ce qui permet naturellement d’attirer plus de femmes candidates. Les choses avancent donc, sans doute pas assez vite, mais elles avancent.