La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)
Jusqu’à 80 milliards d’euros d’économies : l’effort à faire pour atteindre 3% de déficit en 2027 avec une croissance faible (OFCE)
En 2023, le coup de frein de la croissance a plongé le déficit dans le rouge. Les ministres de Bercy Bruno Le Maire et Thomas Cazenave ont réaffirmé le principe d’une rigueur budgétaire accrue lors d’une réunion avec des journalistes. « En avril, je présenterai le programme de stabilité qui réaffirmera l’objectif de réduire le déficit public à 3% en 2027 », a avancé Bruno Le Maire. Quant à la dette publique, elle diminue légèrement. Après avoir atteint un pic en 2020 au moment de la crise sanitaire (114,9% du PIB), la dette rapportée au produit intérieur brut s’est établie à 110,6% en 2023. S’agissant des charges d’intérêt payées sur la dette, elles se sont repliées (-4,9%) entre 2022 et 2023 passant de 52,7 milliards d’euros à 50 milliards d’euros.
Une prévision de croissance « bien trop optimiste » en 2023
En dépit d’un déficit plus élevé que prévu en 2023, le gouvernement tient toujours à sa promesse de revenir sous les 3% d’ici à la fin du quinquennat. Le ministre de l’Economie a notamment affirmé que la situation des finances publiques « ne change rien à la réalité économique de notre pays avec une croissance solide ».
Pourtant, la plupart des instituts de conjoncture avaient révisé bien avant le gouvernement leurs prévisions de croissance à la baisse pour 2023. « Le problème est que les prévisions de croissance étaient beaucoup trop optimistes pour 2023 », explique Christopher Dembick, économiste chez Pictet Asset Management. « Il y a un effet inflationniste à prendre en compte mais il y a clairement un dérapage », ajoute-t-il.
Revenir à 3% de déficit en 2027 : une promesse « fantaisiste »
Partant d’un déficit public plus bas que prévu, le gouvernement va avoir de vastes difficultés à remonter la pente. Pour rappel, Bercy avait inscrit dans sa loi de programmation des finances publiques (LFPP) 2024-2027 présentée en décembre dernier une croissance entre 1,4% et 1,8% sur cette période. « Je ne vois pas par quel miracle la prévision de croissance en France serait supérieure à la croissance potentielle (environ 1,2%), tout en faisant de la consolidation budgétaire », s’interroge l’économiste.
Le pari de revenir à 3% d’ici à 2027 « est complètement fantaisiste à l’heure actuelle», juge Christopher Dembick. S’agissant de 2024, la croissance du PIB va osciller entre 0,1% et 0,3% au premier semestre selon la dernière note de conjoncture de l’Insee. Pour parvenir à l’objectif de croissance de 1% en 2024, « il faudrait que la croissance du PIB accélère de 0,7% durant les deux derniers trimestres de cette année », a calculé l’institut de statistiques.
S’agissant de la fin du quinquennat, les prévisions annoncées par le gouvernement dans la loi de finances semblent intenables pour remplir les promesses sur les comptes publics. « Résorber un surcroît de déficit de 0,7 point avec plus de croissance sur quatre années (2024-2027) supposerait de rehausser la croissance de 0,3 à 0,4 point par an, par rapport à une trajectoire qui était déjà optimiste », a calculé Olivier Redoulès, directeur des études chez Rexecode. Bercy avait ainsi projeté dans le budget 2024 que le solde public s’établirait à -4,4% en 2024, -3,7% en 2025, -3,2% en 2026 et -2,7% en 2027.
Jusqu’à 80 milliards d’euros de coupes budgétaires jusqu’en 2027
Le gouvernement a entrepris de serrer l’étau budgétaire en prenant une première décision de couper 10 milliards d’euros dans les dépenses de l’Etat mi février. Et les ministres de Bercy ont annoncé que ce ne serait pas suffisant en annonçant 20 milliards d’euros d’économies supplémentaires étalées sur deux ans. L’exécutif compte sur les revues des dépenses publiques pour faire « refroidir la machine », a prévenu Bruno Le Maire. Dans le viseur de Bercy, figurent les collectivités locales et les dépenses de santé.
Pour parvenir au 3% de déficit d’ici 2027, l’institut Rexecode avait calculé l’année dernière que le gouvernement devrait réaliser environ 55 milliards d’euros d’économies jusqu’à la fin du quinquennat. « Or, depuis juin dernier, le point de départ en déficit pour 2023 est moins favorable, donc il faudrait sans doute plus que 55 milliards d’euros, toute chose égale par ailleurs. En effectuant 30 milliards d’euros comme il l’annonce, le gouvernement ferait donc à peu près la moitié du chemin », explique Olivier Redoulès. De son côté, la Cour des comptes évoquait 50 milliards d’euros d’économies d’ici la fin du quinquennat. Pour Ma thieu Plane, économiste à l’OFCE, passer de 5,5% à 3% de déficit avec une croissance faible (1,2% ou 1,3%) représenterait un effort total de 70 à 80 milliards d’euros.
Des économies « incohérentes » avec les objectifs climatiques de la France
Le gouvernement « ne tient pas compte des effets de levier de la dépense. Cela a un impact sur la croissance », poursuit l’économiste. Le risque « est de répéter l’erreur qui a été faite après 2010 ». Pour rappel, les mesures d’austérité budgétaire adoptées dans la zone euro avaient favorisé la crise des dettes souveraines de 2012. Le risque est « de tomber dans une spirale récessionniste » avec « moins de croissance et moins de recettes », complète Mathieu Plane.