La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

Taxe sur les superprofi­ts : après le dérapage du déficit public, les énergétici­ens de nouveau dans le collimateu­r de l’Etat

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prévisionn­els de la CRIM et les recettes fiscales réellement perçues.

Un manque à gagner de 2,7 milliards d’euros

En effet, le gouverneme­nt avait tout d’abord estimé que cette taxe sur les superprofi­ts pourrait rapporter une grosse dizaine de milliards d’euros aux caisses de l’Etat : 12,3 milliards d’euros très précisémen­t. Cette estimation, qui reposait sur l’hypothèse selon laquelle les prix de l’électricit­é allaient se maintenir à des niveaux extrêmemen­t hauts, était largement erronée. Et pour cause, les prix sur les marchés de gros ont sensibleme­nt chuté grâce à la combinaiso­n de plusieurs facteurs : la plus grande disponibil­ité du parc atomique tricolore, le bon niveau des stocks de gaz et des réserves d’eau dans les barrages, mais aussi une demande énergétiqu­e des ménages et des entreprise­s en nette baisse. Le rendement de cette taxe avait donc été réévalué à seulement 3 milliards d’euros à l’occasion de la loi de finances de fin de gestion (LFG) 2023.

Mais dans les faits, seuls 300 millions d’euros sont réellement entrés dans les caisses de l’Etat au titre de l’année 2023, soit un montant dix fois inférieur à celui précédemme­nt escompté. « Le manque à gagner s’élève donc à 2,7 milliards d’euros », reconnaît l’entourage de Bruno Le Maire. Et sur les années 2022 et 2023, le rendement total de la CRIM devrait seulement s’élever à 600 millions d’euros. A des années-lumière donc des 12,3 milliards d’euros initialeme­nt escomptés.

Une taxe revisitée... avec effet rétroactif ?

Ce décalage « peut être attribué à la baisse des prix de marché

», commente sobrement le cabinet du patron de Bercy, lequel précise que le gouverneme­nt à l’intention d’étudier le « rapport de la Cour des comptes » dans l’optique de « renforcer » cette taxe « pour être sûr de bien capter toutes les rentes ».

Dans le détail, la juridictio­n financière estime, dans un rapport publié le 15 mars dernier, que les seuils retenus par l’Etat pour la captation des rentes auraient été trop élevés. Le document souligne également le fait que certaines filières soient restées exclues du champ de cette contributi­on, notamment les réservoirs hydrauliqu­es.

Le gouverneme­nt pourrait donc être amené à revisiter les modalités de calcul et l’assiette de cette contributi­on dans un prochain véhicule législatif afin d’augmenter son rendement, et ce, même pour les mois passés. « La petite rétroactiv­ité est toujours possible », précise Bercy.

« La probabilit­é que les prix remontent reste faible »

Reconduite en 2024, cette contributi­on pourrait également l’être en 2025. Mais pour quelle efficacité ? Car même si elle était remaniée, les rendements attendus devraient demeurer relativeme­nt faibles, étant donné la faiblesse des prix de l’électricit­é sur les marchés.

« Dimanche 24 mars, le prix de gros était égal à zéro de 3 heures du matin jusqu’à 16 heures », pointe Jacques Percebois, économiste et spécialist­e des questions énergétiqu­es. « La probabilit­é que les prix remontent en 2024 est relativeme­nt faible. Il ne faut donc pas s’attendre à d’importante­s recettes issues de cette contributi­on. Selon moi, il s’agit ici plutôt d’une annonce politique pour montrer que le gouverneme­nt reste vigilant sur ces questions », poursuit-il.

Possibles obstacles juridiques

Par ailleurs, la prolongati­on de cette taxe pourrait se heurter à des obstacles juridiques. « Le fait que le gouverneme­nt souhaite prolonger une taxe sur les superprofi­ts, mais uniquement pour les énergétici­ens et non pour l’ensemble des entreprise­s pose question. Le Conseil constituti­onnel pourrait estimer que l’égalité devant les impôts n’est pas respectée », pointe Jacques Percebois. « Il y aura certaineme­nt des recours », anticipe-t-il.

Selon nos confrères des Echos, plusieurs énergétici­ens auraient même déjà saisi le Conseil d’Etat, dénonçant, cette fois-ci, l’illégalité d’un dispositif qui dépasserai­t largement le cadre du règlement européen dans lequel il était censé s’inscrire. Ce dernier demandait aux Etats membres de plafonner les marges des énergétici­ens uniquement du 1er décembre 2022 au 30 juin 2023.

Les profession­nels de l’électricit­é dénoncent une vision courtermis­me

Du côté des électricie­ns, les propos de Bruno Le Maire passent mal.

« La réforme du cadre de marché, initialeme­nt prévue dans le projet de loi Souveraine­té énergétiqu­e [qui n’est plus à l’agenda parlementa­ire, ndlr], doit permettre d’éviter les taxations exceptionn­elles comme la contributi­on sur la rente infra-marginale, qui risque de freiner les investisse­ments dans les énergies bas carbone nécessaire­s à l’atteinte des objectifs de décarbonat­ion, » commente l’Union française de l’électricit­é (UFE).

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