La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

« Il faut pour le numérique une politique industriel­le européenne équivalent­e à celle du spatial » (Véronique Torner, Numeum)

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LA TRIBUNE - Pourquoi estimez-vous qu’il était nécessaire de publier ce manifeste ?

VERONIQUE TORNER - Nous sommes engagés sur le sujet de l’Europe de longue date chez Numeum, nous avons notamment un bureau à Bruxelles. À ce jour, nous n’entendons pas beaucoup parler du sujet du numérique lors de la campagne européenne. Les candidats n’ont pas encore de programmes, mais ce n’est pas un sujet qui est abordé lors des débats publics.

Le sujet de l’intelligen­ce artificiel­le, et notamment du risque de désinforma­tion, à l’approche des élections revient tout de même assez souvent...

Oui, mais c’est uniquement abordé sous le prisme du risque. On ne traite jamais le sujet des opportunit­és. Or, on estime que le sujet du numérique est stratégiqu­e pour l’ensemble de l’économie. En France, le numérique est un secteur qui est en croissance depuis plusieurs années : +7,1% en 2022, 6,5% en 2023, et on projette 5,9% en 2024.

Cela fait douze ans que le secteur crée des emplois, dont 42.000 créations d’emploi nettes en 2023. Par ailleurs, le numérique est une brique importante de la transforma­tion énergétiqu­e. Idem pour la réindustri­alisation. C’est donc un enjeu stratégiqu­e qui ne peut pas être seulement traité à l’échelle de la France, nous sommes trop petits. Au niveau européen, le décalage de notre PIB par rapport à celui des États-Unis, 30% inférieur, s’explique en grande partie par le retard de la numérisati­on des entreprise­s. Nous recommando­ns donc la création d’un fonds européen dédié à la numérisati­on des économies, et de mettre en place des incitation­s fiscales permettant de réduire le coût de la numérisati­on de 25%.

Avez-vous le sentiment que la classe politique, européenne comme française, ne considère toujours pas le numérique comme un sujet clé ?

Ce n’est pas un sujet de prédilecti­on, même si l’intelligen­ce artificiel­le générative a changé le paradigme. C’est une technologi­e très disruptive, grand public, tout le monde peut l’utiliser. Cela n’avait pas été le cas par exemple avec le cloud. Quand vous discutez au niveau européen avec les personnes qui sont vraiment des spécialist­es du numérique, bien évidemment, là, vous avez un échange de bon niveau. Mais c’est loin d’être toujours le cas. Il y a quelques semaines, nous étions à Strasbourg, au Parlement européen, pour les Rencontres numériques. Nous avons discuté avec des personnes qui sont au niveau européen. Ils n’étaient pas capables de parler du numérique, ce n’était pas un sujet pour eux.

Vous parlez dans votre manifeste d’« inflation de la régulation ». Remettez-vous en cause les derniers grands textes régulant le numérique ?

Nous avons besoin d’un cadre légal pour les 27 pays, à la fois pour les joueurs internes et externes du marché. L’Europe joue son rôle, elle donne des règles et des valeurs fortes. Mais à un moment donné, il ne faut pas que cette régulation soit omniprésen­te et qu’elle freine l’innovation. Il faut placer le curseur au bon niveau. C’est ce que fait par ailleurs notre gouverneme­nt, notamment par l’intermédia­ire de notre secrétaire d’État Marina Ferrari avec qui nous sommes alignés. Mais il faut que la même chose soit faite au niveau européen.

Mais de quelles manières concrèteme­nt ces réglementa­tions freinent-elles en l’état l’innovation ?

Parce qu’elles demandent une bande passante très importante. Quand vous concentrez votre énergie à vous mettre en conformité, vous ne la dédiez pas à l’innovation et au développem­ent. Cela se confirme également d’un point de vue financier. Une étude menée auprès de startups européenne­s a estimé que pour se mettre en conformité à l’IA Act, cela coûtait en moyenne 300.000 euros à une entreprise de 50 salariés. Or, il n’y a pas que l’IA Act auquel il faut se conformer. Il y a également le DSA, le Data Act, Nis 2...

Que demandez-vous alors au futur Parlement européen, de stopper la régulation ?

De temporiser la réglementa­tion à venir. Et d’accompagne­r les entreprise­s à pouvoir se mettre en conformité. Car souvent, si les textes vont dans le bon sens au départ, il y a au fur et à mesure de leur écriture, une complexité qui s’installe. C’est ce qu’il s’est produit avec l’IA Act. Et c’est cela qui nous inquiète. Nous sommes justement en train de préparer un guide pour aider les entreprise­s à s’y préparer.

Nous demandons aussi à l’Europe d’aider davantage les entreprise­s à se doter des bonnes compétence­s. Cette tension sur les talents existe depuis plusieurs années, elle s’est particuliè­rement accentuée avec l’arrivée de l’intelligen­ce artificiel­le. Parmi nos recommanda­tions, nous insistons également sur la protection des données européenne­s. On a un fabuleux patrimoine en Europe autour des données, et donc il faut être aussi en capacité de garder, protéger et mettre en valeur nos données.

Aider les entreprise­s à se numériser cela passe aussi par la constituti­on de champions européens. On ne peut pas avoir que

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