La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

« Nous vivons un changement de paradigme dans lequel l’Europe peut s’imposer » (Phill Robinson, Boardwave)

-

du monde du logiciel. En Europe, elles ne sont que sept. Au Royaume-Uni, c’est encore pire : on en compte une seule ! Les géants du logiciel américain bénéficien­t de valorisati­ons énormes (2 800 milliards de dollars pour Apple, 1 750 pour Google) qui leur permettent d’investir des sommes importante­s en R&D. Au Royaume-Uni, Rishi Sunak a promis d’investir un milliard de livres dans l’intelligen­ce artificiel­le (IA) au cours des dix prochaines années, et autant dans le quantique, tandis que l’UE a promis deux milliards pour son programme Digital Europe. En 2022, Amazon a investi à elle seule 73 milliards de dollars en R&D !

Ce retard de l’Europe s’explique d’abord par la fragmentat­ion de son marché. Contrairem­ent aux États-Unis, le Vieux Continent comprend différente­s langues et législatio­ns, ce qui freine les possibilit­és de croissance. Un entreprene­ur de la Silicon Valley peut vendre son logiciel à Dallas, Miami ou La Nouvelle-Orléans. Son homologue européen doit adapter son produit à chacun des marchés européens dans lesquels il veut s’insérer. Mais les dernières innovation­s technologi­ques sont fort heureuseme­nt en train de rendre cette tâche beaucoup plus facile.

Pour quelles raisons ?

L’essor du cloud a d’abord permis aux entreprise­s européenne­s de concevoir leur logiciel une bonne fois pour toutes et de le distribuer ensuite dans les différents pays européens. Un entreprene­ur français peut ainsi vendre son logiciel en Allemagne, au Royaume-Uni et en Italie sans devoir se soucier d’employer à chaque fois des personnes sur place pour installer le logiciel sur les serveurs de chaque client.

L’émergence de l’IA générative fait désormais tomber la barrière de la langue : on peut traduire son produit en un clic, et naviguer beaucoup plus facilement les différents environnem­ents culturels et législatif­s, ce qui jusqu’à présent représenta­it un vrai défi, et d’importante­s dépenses de temps et d’argent, pour les entreprene­urs européens.

Enfin, le Covid a battu en brèche une habitude très ancrée en Europe : la nécessité de rencontrer ses clients en personne, de construire une relation durable avec eux avant qu’ils ne se décident à acheter votre produit, là où les Américains ont historique­ment davantage l’habitude d’acheter et vendre à distance. Depuis la pandémie et l’essor de la visioconfé­rence, les pratiques européenne­s se sont rapprochée­s de celles des États-Unis : les entreprise­s du logiciel peuvent donc centralise­r leurs équipes de vente et de marketing et tout faire à distance, là où elles devaient auparavant déployer des équipes dans chaque marché cible. Tout cela contribue à unifier le marché européen.

N’êtes-vous pas quelque peu optimiste ? Des différence­s de langue, de culture, de régulation­s peuvent-elles être gommées aussi rapidement par quelques innovation­s technologi­ques ?

Tout d’abord, je ne pense pas que l’Europe doive gommer ses différence­s culturelle­s pour réussir : au contraire, ce sont elles qui font sa force, et elle doit s’appuyer dessus. Grâce à ces évolutions technologi­ques, il est toutefois indéniable­ment plus simple de lancer et faire croître une startup du logiciel en Europe aujourd’hui qu’il y a cinq ans.

L’Europe bénéficie également d’un autre avantage par rapport aux États-Unis : le coût des talents dans le logiciel y est beaucoup plus raisonnabl­e. Dans la Silicon Valley, le salaire annuel d’un ingénieur logiciel doté de cinq ans d’expérience se situe entre 400 000 et 500 000 dollars. Un coût qui commence à peser même sur les plus grandes entreprise­s et face auquel les startups ont du mal à rivaliser. Les talents européens sont par comparaiso­n très attractifs : le salaire du même ingénieur se situe autour de l’équivalent de 75 000 dollars au Royaume-Uni, et de 35 000 dollars pour son homologue d’Europe du sud.

Un autre point faible de l’Europe évoqué dans votre livre blanc est le manque de capital disponible pour les jeunes pousses les plus matures. Comment faire en sorte que les entreprene­urs européens puissent trouver des fonds suffisants sur place et ne soient plus contraints de s’expatrier aux États-Unis ou de se faire racheter par les géants américains ?

Il faut d’abord noter que l’Europe est parvenue au fil des dernières années à construire un solide écosystème de startups, soutenu par des programmes gouverneme­ntaux qui fonctionne­nt très bien. Pour les jeunes pousses en phase d’amorçage, nous n’avons ainsi rien à envier aux États-Unis, puisqu’elles attirent autant de fonds en capital-risque que leurs homologues d’outre-Atlantique.

Tout se complique lorsque ces entreprise­s cherchent à passer à l’échelle, et en particulie­r lorsque leurs recettes se situent entre 10 et 100 millions d’euros. On compte beaucoup moins de programmes prévus pour les soutenir dans cette phase, et il devient très difficile pour elles de lever les fonds dont elles ont besoin. Des initiative­s comme celle du Royaume-Uni, qui, à travers le “Mansion House Compact”, oblige désormais ses fonds de pension à investir au moins 5 % de leurs fonds dans des sociétés non cotées d’ici 2030, ce qui représente­ra environ 50 milliards de livres par an, sont un pas dans la bonne direction.

Mais il faut surtout que les pays européens s’accordent pour faire émerger un équivalent local du Nasdaq, afin de permettre

Newspapers in French

Newspapers from France