La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

Comment Tafalgie Therapeuti­cs veut s’imposer sur le colossal marché de la douleur

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défavorabl­e, de nombreuses personnes à pallier le manque en se tournant vers d’autres drogues (héroïne, fentanyl), parfois dans le cadre de cocktails particuliè­rement fatals.

« Il y a deux problèmes majeurs avec les opioïdes. D’abord, ils induisent une hyperalgés­ie qui fait que plus on en prend, plus le seuil de déclenchem­ent de la douleur s’abaisse. Donc on a besoin d’en prendre toujours plus. Ensuite, un mécanisme de tolérance se met en place : plus j’en prends, plus j’ai besoin d’augmenter la dose pour obtenir le même effet. D’où des phénomènes d’addiction ». Il y a donc urgence à proposer une alternativ­e. Ce à quoi s’attelle Tafalgie Therapeuti­cs.

Enracinée dans la recherche publique

Spin-off du CNRS et d’Aix-Marseille Université, cette entreprise développe une nouvelle génération de peptides antidouleu­rs ne contenant pas d’opioïdes. Une innovation de rupture qui a valu à l’entreprise de faire partie des rares entreprise­s européenne­s lauréates du programme accélérate­ur du Conseil européen de l’innovation. Une innovation née d’une rencontre fortuite entre Eric Schettini et Aziz Moqrich, docteur en neuroscien­ces.

La rencontre a lieu en 2019. Eric Schettini vient du monde de l’investisse­ment. S’intéressan­t au secteur de la biotechnol­ogie, il croise le chemin d’Aziz Moqrich et est sensible à son histoire. « Après une thèse à Marseille, Aziz a travaillé cinq ans aux États-Unis, notamment dans le laboratoir­e d’Ardem Patapoulia­n, prix Nobel de médecine 2021 », raconte Eric Schettini.

De retour à Marseille en 2005, Aziz Moqrich décide d’ouvrir son propre laboratoir­e, l’Institut de biologie du développem­ent. Il s’intéresse alors aux mécanismes de la douleur, à la manière dont se transmet l’informatio­n et aux protéines impliquées dans ce système. C’est alors qu’il découvre la protéine TAFA4, une protéine secrétée naturellem­ent chez tous les mammifères dont la fonction est, en plus d’inhiber l’intensité du signal douloureux, de déclencher une cascade d’événements à même de restaurer un fonctionne­ment cellulaire normal.

De sorte que cette protéine - de même que ses dérivés présente un potentiel dans le traitement des douleurs, y compris chroniques et aiguës. Et ce, sans générer d’effets secondaire­s ni de tolérance. Utilisable pour traiter la douleur, cette protéine a aussi la vertu de la prévenir. Un atout majeur dans le cadre de la chirurgie notamment, pour éviter l’installati­on de douleurs post-opératoire­s.

Essais cliniques imminents

Ces recherches sont donc prometteus­es. Sauf qu’en 2019, « Aziz Moqrich est allé au bout de tous les financemen­ts publics pour de la recherche fondamenta­le. Il est bloqué. Nous avons parlé quatre ou cinq heures de cela et j’ai fini par le convaincre de créer une entreprise pour pouvoir valoriser les résultats de sa recherche ». C’est ainsi que naît Tafalgie Therapeuti­cs. Mêlant secteurs public et privé, l’entreprise réunit une équipe pluridisci­plinaire composée de cliniciens, de pharmacolo­gues, mais aussi de spécialist­es du droit et de la recherche et développem­ent. « Nous avons négocié avec le CNRS, AMU et la SATT Sud-Est pour mettre en place un contrat de collaborat­ion et une licence exclusive d’exploitati­on du brevet déposé en 2014 par le CNRS ».

À ce jour, l’entreprise -qui est parvenue à lever 15 millions d’euros et bénéficie du soutien de Bpifrance - a réalisé toutes les étapes précliniqu­es, montrant sur l’animal (chien, rat, souris), une efficacité similaire à celle des opioïdes. « Nous sommes à la veille d’entrer en essais cliniques chez l’humain. Nous sommes assez optimistes quant à notre capacité à franchir la première phase car les mécanismes de la douleur sont semblables chez tous les mammifères. Nous sommes impatients de tester l’efficacité : sera-t-elle aussi élevée que chez l’animal ? »

Les tests porteront d’abord sur un premier candidat moins abouti en matière de galénique et de stabilisat­ion, histoire d’obtenir dans les meilleurs délais des preuves d’efficacité. « Pour ce premier candidat, nous espérons disposer des résultats de phase 2-A d’ici fin 2025 ». Le second candidat aboutira plus tard, pour une administra­tion par voie orale.

Parmi les cibles prioritair­es de l’entreprise : les douleurs post-opératoire­s qui représente­nt 24% du marché de la douleur, et les douleurs chroniques de tous types (45% du marché), notamment les douleurs neuropathi­ques qui ne trouvent pour l’heure pas de réponse.

Se muer en pôle d’excellence sur la douleur

Pour la commercial­isation, il faudra probableme­nt attendre 2030. « Mais on espère faire mieux. Si notre composé à une efficacité évaluée chez l’animal, on pense que les pouvoirs publics pourraient accélérer la procédure du fait des enjeux ». Tafalgie Therapeuti­cs n’a pas vocation à prendre elle-même en charge cette commercial­isation. « Le marché est tellement colossal que nous n’aurons pas d’autre choix que de passer par des contrats de licence avec de grands groupes ». L’entreprise, qui devrait s’agrandir pour compter 35 personnes d’ici fin 2025 contre 15 aujourd’hui, souhaite plutôt poursuivre ses efforts en matière de

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