La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

Élections cruciales aux îles Salomon, courtisées par la Chine et les Occidentau­x

-

L’ombre de la Chine

Le dirigeant a même signé un pacte de sécurité avec Pékin en 2022, tenu secret, prenant au dépourvu ses anciens partenaire­s, l’Australie et les États-Unis. Il a d’ailleurs promis de renforcer ces liens s’il était réélu. Ses adversaire­s s’inquiètent d’ailleurs de l’influence chinoise sur l’archipel. Les alliés occidentau­x craignent que ce pacte ne débouche vers une base militaire chinoise permanente dans le Pacifique Sud, qui pourrait changer la donne en matière de sécurité régionale. La Chine a d’ailleurs déjà aujourd’hui une présence policière modeste mais visible dans le pays.

« Au cours des cinq dernières années, la Chine a été impliquée dans de nombreuses affaires. C’est vraiment inquiétant en ce moment », a souligné Daniel Suidani, l’une des principale­s figures de l’opposition dans l’archipel, dans un entretien avec l’AFP par téléphone depuis Auki, la capitale de la province côtière de Malaita. Il accuse même des acteurs liés à Pékin de travailler en coulisses pour aider à maintenir les élus pro-Pékin au Parlement. « Ils sont très, très impliqués dans ce gouverneme­nt », a-t-il déclaré. « Ils sont impliqués dans d’autres choses, il n’y a donc aucun doute qu’ils doivent être impliqués dans les élections. C’est ce qu’ils font depuis un certain temps ». L’actuel Premier ministre a nié à plusieurs reprises que la Chine représente une menace et mis en garde contre toute ingérence étrangère dans les affaires souveraine­s du pays. Idem du côté de la première puissance asiatique. « La Chine mène toujours une politique de non-ingérence dans les affaires intérieure­s » d’autres pays, a assuré ce lundi Lin Jian, un porte-parole de la diplomatie chinoise.

Un dirigeant autoritair­e

Manasseh Sogavare domine la politique de l’archipel depuis ces 20 dernières années, occupant le poste de Premier ministre à quatre reprises depuis 2000. Surnommé le « maître du désordre » par un universita­ire étranger, ses détracteur­s craignent son autoritari­sme croissant. L’homme de 69 ans a tenté de réprimer toute dissidence ces dernières années en menaçant d’interdire les journalist­es étrangers indiscrets, Facebook ou encore des diplomates en visite.

« Il a centralisé et contrôlé le pouvoir d’une manière que les Premiers ministres précédents n’avaient pas fait », selon l’historien Clive Moore, expert des îles Salomon. Et Daniel Suidani d’ajouter : « À la communauté internatio­nale, je voudrais dire que nous avons besoin de votre soutien. Nous voulons bénéficier de la même liberté que tout le reste du monde ».

Mais sa mainmise sur le pouvoir est loin d’être absolue. L’année dernière, sa décision de reporter les élections de sept mois a été largement critiquée. Et son ralliement à Pékin en 2019 a en partie alimenté une vague d’émeutes antigouver­nementales qui ont ravagé le quartier chinois de la capitale Honiara. Une nouvelle éruption de violence s’est produite en 2021 quand une foule en colère a tenté de prendre d’assaut le Parlement, incendié le quartier chinois et tenté de détruire la maison de Manasseh Sogavare. Ses principaux rivaux sont Peter Kenilorea, un ancien juriste des Nations unies considéré comme un membre de l’élite politique de l’archipel, et Matthew Wale, un expert-comptable et militant des droits humains. Ils ont tous deux fortement critiqué le pacte de sécurité avec la Chine, ce qui laisse présager un changement de cap s’ils parviennen­t au pouvoir. Mais le long et opaque processus de formation d’une coalition pourrait prendre des semaines avant de déterminer qui sera le Premier ministre. Reste que les habitants sont plus préoccupés par la pauvreté et le chômage que par la géopolitiq­ue. Le pays affiche un indice de développem­ent humain des Nations unies, juste au-dessus d’Haïti et plus bas que celui de la Birmanie, ravagée par la guerre.

Élections sous haute tension

Ce lundi matin, la capitale de l’archipel, Honiara, était en ébullition avec le passage de pick-ups bondés de partisans hurlant des slogans de campagne. La bataille d’influence est notamment visible dans l’affichage : des panneaux publicitai­res géants de « Radio Australia » surplomben­t la seule route menant à la ville, tandis que des voitures de police recouverte­s d’autocollan­ts « China Aid » circulent sur des routes parsemées de nids-depoule. Au cours d’un rassemblem­ent en faveur de l’ancien Premier ministre Gordon Darcy Lilo, à la périphérie de la ville, des centaines de personnes ont réclamé un changement de gouverneme­nt. « L’économie s’effondre. Je veux que les habitants de Honiara se lèvent et récupèrent notre pays », a déclaré Josep, un enseignant, à l’AFP sur fond de klaxons. Les élections sont souvent mouvementé­es aux îles Salomon. En 2000, le Premier ministre Bart Ulufa’alu a été contraint à la démission après avoir été enlevé par des hommes armés mécontents. En 2006, des forces internatio­nales de maintien de la paix ont été déployées pour réprimer des violences post-électorale­s, et le Premier ministre Snyder Rini a été chassé au bout de huit jours seulement. Avant le scrutin de ce mercredi, l’alcool sera interdit dans les 900 îles et atolls de l’archipel.

Newspapers in French

Newspapers from France