La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

« Il est encore bien trop tôt pour sortir des marchés actions » (Alain Bokobza, Société Générale)

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résilients, et pourquoi ils devraient même le rester une grande partie de l’année.

LA TRIBUNE - Les marchés sont- ils excessivem­ent optimistes ? ALAIN BOKOBZA -

Non, ils ne le sont pas. Nous avons connu depuis plusieurs trimestres une croissance vigoureuse des profits des entreprise­s, avec une discipline extrême dans l’utilisatio­n de ces marges et profits, comme rarement vu dans les précédents cycles économique­s. Les entreprise­s se sont plutôt désendetté­es, mais elles ont également augmenté les salaires, ce qui est nouveau depuis deux décennies, elles ont largement investi et elles ont assuré une croissance élevée des dividendes et des rachats d’action, ce qui témoigne d’une maîtrise certaine dans l’utilisatio­n du capital.

Et contrairem­ent aux années de bulle, il y a peu d’opérations de fusions & acquisitio­ns, les entreprise­s cherchant davantage à se protéger qu’à prendre des risques inouïs. Tous les grands krachs boursiers ont été précédés par un pic de fusions & acquisitio­ns. La baisse des taux de financemen­t des entreprise­s, mesurée par le spread de crédit (écart entre le taux risqué et le taux sans risque, NDLR), est également le reflet de cette bonne gestion du capital par les entreprise­s. C’est donc bien cette configurat­ion exceptionn­elle pour les entreprise­s qui fait progresser les marchés actions. A ce cycle très favorable s’ajoute la fin des hausses des taux. Aujourd’hui, le débat porte sur le calendrier de la baisse des taux et non l’inverse !

Vous disiez en janvier qu’il était trop tôt pour sortir des actions après le rallye de novembre et décembre. Diriez-vous la même chose aujourd’hui ?

Oui, il est encore bien trop tôt pour sortir des actions. Nous n’avons aujourd’hui aucun indicateur avancé qui nous alerte sur une détériorat­ion des marges des entreprise­s. Nous n’avons aucun signe précurseur non plus d’une cassure baissière de la conjonctur­e aux Etats-Unis et les indicateur­s avancés nous montrent même une accélérati­on de l’activité en Europe au second semestre.

C’est d’ailleurs la raison qui explique la bonne performanc­e des valeurs cycliques ces derniers mois, y compris en Europe. Enfin, il me semble que le Japon va également beaucoup mieux et la Chine a déjà atteint son point bas. C’est finalement toute la planète qui montre des signes de robustesse, étonnante certes, mais robustesse quand même.

La forte concentrat­ion de la performanc­e sur quelques grandes capitalisa­tions, aux Etats-Unis avec les 7 magnifique­s (Apple, Microsoft, Alphabet, Meta , Amazon, Nvidia et Tesla), mais aussi en Europe, n’est-elle pas, au contraire, un signal de vente ?

L’Europe applique systématiq­uement les configurat­ions de marché sur les actions avec un décalage de plusieurs mois, voire de trimestres, avec les marchés américains. Donc, cet effet de concentrat­ion à la fois des profits et des performanc­es est observé depuis un moment déjà. Il est simplement plus récent en Europe. Mais si vous prenez les 100 premières valeurs technologi­ques aux Etats-Unis, et non plus simplement les 7 magnifique­s, elles représente­nt 40 % de la capitalisa­tion mais aussi 30 % des profits !

Cela n’a rien à voir à ce que l’on a pu connaître à la fin des années 1990 lorsqu’il y avait un effet de concentrat­ion similaire, mais avec des entreprise­s qui étaient soit en perte, soit avec des fonds propres négatifs tellement elles avaient accumulé de goodwill en multiplian­t les acquisitio­ns.

Aujourd’hui, la situation est bien différente : nous avons certes de très grandes valeurs, mais qui génèrent des profits très élevés, avec des bilans en trésorerie nette positive ! Ces entreprise­s sont d’une qualité exceptionn­elle, elles concentren­t une partie non négligeabl­e de la valeur ajoutée et leur niveau de valorisati­on n’a rien d’irrationne­l. Mais en gestion d’actifs, que ce soit pour un investisse­ur institutio­nnel ou pour un investisse­ur particulie­r, il faut en permanence appliquer une règle qui consiste à ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier. Nous assistons ainsi à un élargissem­ent de la performanc­e, venant des Etats-Unis, vers d’autres régions, comme le Japon et plus récemment les actions européenne­s. Parallèlem­ent, il y a également un élargissem­ent sectoriel vers des valeurs cycliques, notamment de consommati­on.

Faut-il aujourd’hui privilégie­r les actions européenne­s aux actions américaine­s ?

Les actions sont soutenues par la croissance des profits. Et il y a toujours plus de croissance aux Etats-Unis qu’en Europe. Il est donc stratégiqu­ement difficile d’être surpondéré sur l’Europe. Mais, tactiqueme­nt, nous observons en ce moment une configurat­ion dans laquelle, suite à la publicatio­n de chiffres d’inflation élevés aux Etats-Unis, la Banque centrale européenne pourrait, pour la première fois de son histoire, commencer à baisser ses taux directeurs avant la Réserve fédérale, probableme­nt à partir de juin prochain.

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