La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

Biogaz : comment la filière entend multiplier par cinq le gaz vert d’ici 2030 en Auvergne-Rhône-Alpes

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En effet, son homologue, GRT Gaz, chargé des plus gros réseaux de distributi­on de molécules partout sur le territoire grâce à d’immenses pipelines (ces grandes « autoroutes du gaz », ensuite divisées en plus petites « routes », quant à elles opérées par GRDF), indiquait la semaine dernière avoir distribué « une grande majorité » de gaz naturel (fossile) en 2023. Parmi lequel figurait essentiell­ement du gaz naturel liquéfié (GNL), en provenance notamment des Etats-Unis. Mais aussi « encore » 5 % de gaz russe (contre environ 20 % avant la guerre), malgré les sanctions européenne­s.

Une situation non seulement de dépendance envers certains pays étrangers, mais aussi générant de vastes émissions de carbone, dont la France et l’Union européenne affirment désormais vouloir se défaire à travers leurs stratégies. Le gaz fossile représenta­it en effet encore 16 % des consommati­ons d’énergies primaires de la France en 2023 selon le gouverneme­nt, devant toutes les énergies renouvelab­les confondues.

Quelles réponses, aujourd’hui, face à ces multiples défis ? Electrific­ation d’un côté, développem­ent du biogaz de l’autre : « il ne s’agit pas d’opposer les deux », introduit Guilhem Armanet, directeur général de GRDF Sud-Est, représenta­nt les régions Auvergne-Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte d’Azur (où la méthanisat­ion se se développe largement dans la première, et les filières de recyclage de déchets industriel­s dans la seconde).

« La magie de ce qu’on est train de faire, c’est qu’on décarbone, sans avoir des coûts d’investisse­ments astronomiq­ues. Selon la Commission de régulation de l’énergie, si on voulait décarboner la France uniquement avec l’électricit­é, cela coûterait 30 fois plus cher qu’en utilisant l’électricit­é et le réseau de gaz », ajoute le directeur régional de GRDF.

Multiplier par cinq la production de biogaz en six ans

Pour cela, GRDF prévoit la multiplica­tion par cinq de la production de biogaz d’ici à 2030, aussi bien au niveau national (en passant de 12 TWh à 60 TWh d’énergie) que régional, en Auvergne-Rhône-Alpes (de 0,7 TWh à 3,7 TWh de biogaz). Le tout, en visant un mix gazier composé « à 20 % de gaz vert » dans moins de six ans, et même « 100 % » en 2050.

Des cibles également fixées par le Schéma régional biomasse (découlant de la dernière Programmat­ion pluriannue­lle de l’énergie), qui identifie « un potentiel de biomasse mobilisabl­e de 12 millions de tonnes de matières brutes » en Auvergne-Rhône-Alpes. Dans l’idée que le biogaz issu de la méthanisat­ion devienne la quatrième source d’énergie renouvelab­le régionale en 2035, derrière l’hydroélect­ricité, le bois énergie et le photovolta­ïque.

Un « objectif » (aussi bien qu’une « projection » selon le directeur général Sud-Est) qui implique par ailleurs une très nette accélérati­on des projets. Une courbe « exponentie­lle », avec près de 40 nouveaux méthaniseu­rs par an, est ici très vivement attendue, et tient à l’assurance « d’un marché désormais beaucoup plus mature » remarque Agnès Quemere, déléguée au développem­ent du gaz renouvelab­le pour GRDF Sud-Est.

Ce, après plusieurs années d’atermoieme­nts, tant en matière technologi­que (Engie a été condamné pour des fuites d’ammoniaque identifiée­s en août 2020 à Châteaulin, dans le Finistère) qu’économique (la région Auvergne-Rhône-Alpes avait retiré ses subvention­s aux projets en 2021, avant de les réattribue­r à partir de 2022).

L’évolution du nombre de nouvelles entrées en service d’unités de production de biogaz en région Auvergne-Rhône-Alpes. La cogénérati­on permet de produire de l’électricit­é et de la chaleur localement, tandis que l’injection consiste à rejoindre le réseau de biogaz afin de distribuer l’énergie. Source : Observatoi­re AURA Environnem­ent, le 15 avril 2024.

Les conditions de ce fort développem­ent tiennent désormais à plusieurs facteurs, selon ces acteurs. À commencer par la publicatio­n, l’été dernier, d’un décret réglementa­nt les prix d’achat du biogaz, « qui ont augmenté d’environ 12 % ». Des tarifs garantis sur 15 ans pour les exploitant­s, qui y trouveraie­nt une rentabilit­é « après une dizaine d’années » selon GRDF. Un décret cumulé à des aides publiques (fonds régionaux - FEDER, OSER - mais aussi de l’Ademe) représenta­nt « environ 20 % des coûts de reviens des projets », estimés « entre 3 et 5 millions d’euros », ajoute le distribute­ur de gaz.

« Aujourd’hui, les pouvoirs publics sont plutôt en phase avec le souhait d’avoir du gaz renouvelab­le, même si cela ne va pas

aussi vite qu’on le souhaite, souligne par ailleurs Jean-Philippe Burtin, président de Biogaz Vallée, un cluster regroupant les principaux acteurs de la méthanisat­ion.

« Ce qu’il faut, c’est de la visibilité. Le sujet, c’est plutôt l’accélérati­on au niveau administra­tif pour sortir ces projets. Aujourd’hui, nous sommes à 1.700 sites de méthanisat­ion en France, et non à 3.000, parce que certains ont connu des ralentisse­ments en matière d’administra­tif, de déclaratio­ns etc. Cela a aussi été le cas dans l’éolien ou le solaire. C’est aussi à corréler avec l’augmentati­on des taux d’intérêt ».

Ce développem­ent, les distribute­urs de gaz indiquent également l’accompagne­r à travers des investisse­ments sur le réseau : GRDF Sud-Est investit ainsi près de 30 millions d’euros par an pour la constructi­on d’une cinquantai­ne de kilomètres de réseaux supplément­aires. Quant à GRTgaz, il a financé un premier « rebours » à Saint-Victor (Allier), permettant de remonter les surplus locaux de biométhane vers un autre territoire pour y être directemen­t utilisé ou stocké, notamment l’été.

Car ce modèle interroge par ailleurs le rapport entre « villes et campagnes » : la grande majorité de la production, agricole, est aujourd’hui réalisée en zones rurales et consommée en zones urbaines. Pour cela, encore faut-il pouvoir acheminer le biogaz. Ou réfléchir à ses usages.

C’est ce que pointe notamment Jean-Marc Jancovici, ingénieur et fondateur du cabinet Carbon 4, spécialisé dans la transition énergétiqu­e et l’adaptation au changement climatique, sur le réseau social LinkedIn la semaine dernière :

« Admettons que nous obtenions les 50 TWh de biométhane en 2030. C’est 8 fois moins que le gaz actuelleme­nt utilisé, et on pourrait s’en servir sans réseau, pour deux usages en particulie­r, géographiq­uement proches du méthaniseu­r : la motorisati­on agricole (qui demande aussi 50 TWh par an) et les bus ou camions locaux ».

Les collectivi­tés et l’industrie, productric­es « indispensa­bles » de biogaz

De plus, pour parvenir à une multiplica­tion par cinq du biogaz en six ans, il faudra ajouter une brique jugée « indispensa­ble » par Jean-Philippe Burtin dans cette équation : celle de l’essor d’autres technologi­es. La méthanisat­ion agricole, qui représente aujourd’hui environ 90 % des méthaniseu­rs, devra être complétée par de nouvelles formes de production de gaz : territoria­les (via la fermentati­on des boues de stations d’épuration) et industriel­les (via certains effluents).

Car « différente­s technologi­es sont en train d’arriver, souligne Bérangère Préault, déléguée territoria­le Rhône Méditerran­ée pour GRTgaz. « Nous pensons que nous pourrons massifier rapidement avec des installati­ons qui pourront grandir en pallier ».

« En Aura, nous estimons que le gisement, donc les quantités de ressources mobilisabl­es pour produire ce gaz renouvelab­le, est suffisant pour atteindre cet objectif. En revanche, il faudra déployer tous les types d’installati­ons : les méthaniseu­rs agricoles, les méthanisat­ions collective­s, dans l’industrie agro-alimentair­e, dans les collectivi­tés territoria­les, ou encore de la méthanisat­ion dans les stations d’épuration. Mais aussi des installati­ons de taille différente­s », ajoute la déléguée territoria­le de GRTgaz.

Plusieurs types d’installati­ons sont en cours de développem­ent. L’agglomérat­ion de Roanne (Loire) a ainsi inauguré en janvier dernier son premier méthaniseu­r territoria­l, produisant du biogaz à partir de la fermentati­on de résidus des eaux usées de la collectivi­té. Il permet d’alimenter près de 40 % des besoins en énergie de l’usine de production de papiers voisine : Sofidel.

De même, la Métropole de Lyon travaille à un projet de « méthaniseu­r XXL » (80 millions d’euros d’investisse­ment), l’un des plus grands en France avec une production de 77 GWh à partir de 2029. Mais pour l’heure, le Grand Lyon hésite entre deux modèles économique­s : utiliser ce gaz en propre, pour alimenter son réseau de transports en commun. Ou encore vendre cette énergie sur le réseau, via des énergétici­ens. L’exécutif écologiste prévoit de trancher la question d’ici à 2025.

En parallèle, d’autres projets sont lancés, à des stades moins avancés de maturité. C’est par exemple le cas de la « pyrogazéif­ication », consistant à chauffer des déchets de bois et de plastiques jusqu’alors non recyclable­s (ancien mobiliers) afin de produire du méthane : à Saint-Fons (Rhône), la plate-forme GAYA travaille ainsi sur un démonstrat­eur R&D depuis 2020. Une expériment­ation sur laquelle se sont notamment appuyés Engie et CMA-CGM (actionnair­e majoritair­e de La Tribune) à travers le projet « Salamandre », prévu au Havre (Seine-Maritime) à horizon 2027 selon Ouest-France.

D’un autre côté, les industriel­s commencent également à investigue­r la gazéificat­ion hydrotherm­ale, consistant en la fermeture d’eaux de process industriel­les : GRDF a d’ailleurs signé en ce sens un partenaria­t avec le CEA. Prochaine étape : « De la même façon que l’on attend un tarif d’achat des nouveaux gaz, on attend un décret sur les « certificat­s de production

de biométhane », qui visent à accélérer la filière », tous deux attendus à l’été 2024, remarque Guilhem Armanet.

« Les fournisseu­rs d’énergie vont être obligés de porter un pourcentag­e de gaz vert dans leurs offres. Et donc, mathématiq­uement, ils vont financer la filière, soit en investissa­nt eux-mêmes, soit en achetant du gaz vert », ajoute le directeur régional de GRDF.

« Tout a été fait, mais il ne manque plus que la part de gaz vert dans l’offre. Ce décret doit sortir cet été. A partir de ce moment là, nous allons voir arriver de nouveaux acteurs, qui vont investir dans les gaz renouvelab­les », conlcut Guilhem Armanet.

En Auvergne-Rhône-Alpes, déjà, des entreprise­s se tiennent prêtes : dont la grenoblois­e Waga Energy, qui a vu son chiffre d’affaires bondir de 74 % en 2023. Mais aussi Prodeval, Methalac ou encore Deltalys. La Région compterait « environ un tiers des entreprise­s de la méthanisat­ion en France », ajoute d’ailleurs le directeur de GRDF Sud-Est, qui estime désormais la fusée du biogaz lancée.

Pour une méthanisat­ion « exemplaire », plaide France Nature Environnem­ent

Si la méthanisat­ion agricole représente aujourd’hui 90 % de la production de biométhane en France, l’injection de biomasse (tel que défini par un décret du 4 août 2022) représente au maximum 15 % de cultures principale­s dans les méthaniseu­rs à des fins énergétiqu­es (l’alimentati­on restant prioritair­e).

En Auvergne-Rhône-Alpes, cette injection se limite aujourd’hui à environ 3 % des récoltes. Une situation qui pourrait encore s’améliorer selon France Nature Environnem­ent Aura, qui a publié un rapport sur le sujet en février 2023.

La fédération invite à tendre vers un « objectif zéro culture dédiée » : « Avec la réglementa­tion actuelle, cet objectif peut être atteint au sein de la région via les critères d’évaluation et de financemen­t des projets par l’ADEME et les collectivi­tés territoria­les ».

Dans son rapport, France Nature Environnem­ent (FNE) recommande également de « réviser les objectifs régionaux de production », « renforcer les moyens des services d’instructio­n », « interdire les engrais de synthèse et les pesticides sur les CIVE », « interdire l’irrigation des cultures dédiées à la méthanisat­ion », ou encore « intervenir dans la localisati­on et la configurat­ion des projets ».

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