La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)
Railcoop, anatomie d’une chute annoncée pour le projet de train Bordeaux-Lyon
La coopérative a, en vain, lancé de nouveaux appels à souscriptions parmi ses 14.000 sociétaires et au-delà, dans l’espoir de relancer la ligne Bordeaux-Lyon par le centre de la France. Un dessein poursuivi depuis sa création en 2019 avec comme boussole la desserte du territoire, la petite vitesse de voyage et le financement participatif. De quoi en faire une structure inédite dans le nouveau monde de la concurrence ferroviaire.
Elle avait d’ailleurs passé un premier cap en lançant son activité de fret, en fin d’année 2021. Avec en moyenne un flux par semaine, l’opérateur livrait alors du bois pour le compte d’un client entre Figeac et Saint-Gaudens. Un deuxième flux de transport de marchandises avait même été initié, mais cette activité de fret était aussi la condition pour un éventuel soutien financier de la Région Occitanie, non concernée par le projet sur les voyageurs.
« Nous avons voulu faire du fret pour gagner du temps en engrangeant de l’argent. Au final, nous avons brulé du cash, tout en n’ayant pas le soutien des banques. Au-delà de ça, le souci est que les sociétaires ne voulaient pas arrêté le fret car ils étaient contents mais nous avons perdu un certain temps qui nous a été fatal par la suite », poursuit cette même source.
Les banques absentes
Contrairement aux sociétés qui veulent mettre fin au monopole de la SNCF, comme Le Train ou Kevin Speed, Railcoop n’a jamais été suivie par les banques. Une frilosité qui a déçu les collectivités locales, devenues sociétaires par dizaines comme la Région Occitanie et Grand Est, les départements de la Creuse et de la Haute-Vienne, les agglomérations de Lyon, Vichy, Montluçon, Libourne ou Guéret. « Ce n’est pas le modèle économique que les banques connaissent, ils préfèrent le modèle capitalistique et ça c’est très décevant, déplore Eric Correia, président du Grand Guéret. On a tapé à la porte de la Caisse des dépôts, de la Banque des territoires, j’ai remis un dossier sur Railcoop à Macron quand il est venu ici », rappelle celui qui était également administrateur de la coopérative.
Les collectivités détenaient près de 15 % du capital, estimé à environ 4,8 millions d’euros. Or, pour mener son projet sur la ligne transversale du centre de la France, la coopérative estimait son besoin de financement à environ 50 millions d’euros. Ce qui n’a pas empêché ses représentants de promettre encore début 2023 le lancement du service entre Bordeaux et Lyon pour l’été 2024... sans que les banques n’acceptent de s’engager.
« Les investisseurs n’aiment pas l’exotisme, évoque Catherine Pihan-Le Bars, directrice générale adjointe chez Le Train.
Nous sommes une entreprise, ce sont des structures que les financeurs connaissent et qu’ils savent financer », fait valoir celle qui espère faire rouler des trains sur l’axe Bordeaux-Nantes d’ici 2026, avec trois ans de retard par rapport aux premiers objectifs.
« Railcoop était un bon projet, mais il n’aurait jamais dû se monter en coopérative. Cela a été notre point faible. Sans cela, peut-être que nous aurions avancé moins vite mais nous serons allés au bout du projet (...) Nous avions réellement un investisseur espagnol et nous parlions avec lui depuis 18 mois. Seulement, il voulait profiter de notre licence ferroviaire, très compliquée à obtenir en France, pour pénétrer le marché hexagonal en commençant par notre ligne. Notre licence arrivant à expiration ce mois d’avril, Railcoop ne vaut plus rien », estime un autre administrateur.
Ligne abandonnée
Arriver sur un marché où la SNCF a toujours été en monopole est difficile pour tous les prétendants, mais Railcoop s’est rajouté une difficulté supplémentaire en convoitant une ligne à l’abandon. Ce choix laisse circonspects de nombreux observateurs des transports depuis les débuts de la coopérative. « Il aurait fallu rouvrir des postes d’aiguillage, notamment la nuit. Mais vous n’alliez pas faire venir des personnes pour travailler deux heures la nuit, expose Christian Broucaret, président de la Fédération nationale des usagers des transports Nouvelle-Aquitaine. Il y a un sillon de 40 kilomètres en Auvergne-Rhône-Alpes qui est à l’abandon et dont la région n’a pas envie de financer la rénovation. »
Mais derrière les difficultés régionales, c’est aussi la position de l’État qui est pointée. « Le réseau appartient à SNCF Réseau, alors je veux bien qu’on pointe les Régions mais la vérité c’est que SNCF Réseau n’en a rien à cirer de cette ligne. S’ils avaient mis des moyens, la ligne ne serait pas fermée », étrille Renaud Lagrave, vice-président aux mobilités de la Région Nouvelle-Aquitaine. L’élu avait lui discuté avec Railcoop pour réserver des sillons quotidiens à la coopérative, au détriment des TER. Un arrangement à l’image des nombreuses faveurs accordées par les collectivités locales séduites par la promesse.
Les régions en ordre dispersée
Pour autant, toutes n’ont pas investi financièrement dans le projet. C’est le cas des deux conseils régionaux concernés par le tracé. La Nouvelle-Aquitaine n’est pas entrée au capital, expliquant qu’une participation nourrirait un conflit d’intérêt si un jour Railcoop venait à répondre à un appel d’offre de la Région sur une ligne régionale, ce qui aurait été possible à horizon