Un drôle d’écrivain condamné pour avoir cherché son inspiration auprès de collégiennes…
Alice, Déborah, Élodie, Pauline, Valérie. Ces cinq collégiennes mineures de Figeac ont été accostées par un homme se présentant comme écrivain. Il invitait les jeunes filles à lire le 1er chapitre de son roman puis leur demandait leurs coordonnées, pour l
Mardi 19 décembre 2023, M.C., un homme d’une quarantaine d’années, a été poursuivi devant le tribunal correctionnel de Cahors, pour des faits commis auprès de mineures : fabrication et diffusion de message violent, pornographique - corruption de mineur aux abords d’un établissement scolaire…
Les faits reprochés au prévenu, qu’il reconnaît plus ou moins, se sont déroulés à Figeac, entre le 1er septembre et le 2 novembre 2023.
M.C. se faisait passer pour un écrivain, cherchant à recueillir l’avis de collégiennes, soi-disant pour savoir si le récit du roman qu’il est en train d’écrire colle à l’état d’esprit de ces jeunes. Dans un premier temps, il s’agit de montrer à des jeunes filles, des extraits du premier chapitre du livre, puis de relever leurs coordonnées en vue de leur proposer de connaître la suite de l’histoire… M.C. est entré en contact avec cinq collégiennes : Alice, Déborah, Élodie, Pauline, Valérie, toutes mineures, dont certaines âgées de moins de 15 ans.
M.C. donnait à lire des extraits du premier chapitre de son livre, en invitant ensuite ces lectrices d’un instant, à donner leurs coordonnées pour être recontactées. Or, c’est au moment de donner leurs adresses, que la plupart de ces jeunes filles se sont senties mal à l’aise. Dès lors, elles mettent fin à cette démarche littéraire, pour le moins surprenante.
Lors de son interpellation par la brigade de gendarmerie de Figeac, alors qu’il cheminait sur les allées Pierre Bérégovoy, M.C. affirme se promener pour se détendre en fumant une cigarette… Puis, il admet qu’il cherchait à faire lire des extraits du premier chapitre de son livre, dans le but de « se rendre compte si son récit est en phase avec cette tranche d’âge » , assure- t-il. Il précise qu’il ne se doutait pas qu’il s’adressait à des mineures. Par ailleurs, en consultant le fichier FPR (*), les gendarmes tombent sur le nom de ce monsieur. En effet, M.C., présumé innocent, se trouve sous le coup d’une mise en examen pour viol sur mineur, par la Chambre de l’instruction d’Agen, ce qui ne peut qu’accroître les interrogations à son encontre.
Lors des auditions menées par les enquêteurs, les jeunes filles expliquent de quelle manière elles étaient approchées. « Il voulait avoir notre avis sur le texte qu’il était en train d’écrire ! » confient- elles. « Dans la première partie du texte donné à lire, rien de répréhensible en soi » , constate le président Philippe Clarissou. Le texte fait état d’une jeune fille qui va connaître une série d’événements…
Une de ces adolescentes interrogée qui a transmis ses coordonnées confie avoir été contactée par M. C., le soir même, par email. C’est à ce moment- là qu’elle bloque sa boîte électronique, pour ne plus avoir affaire avec l’écrivain. Deux autres collégiennes, dont l’une se disant en quête d’identité, ont reçu le 1er chapitre dudit roman en cours d’écriture, via Snapchat. Cependant, se méfiant de cette démarche littéraire, elles aussi décident de bloquer la communication avec M. C. Le président Clarissou précise que M.C. expliquait aux jeunes filles « ne pas vouloir transmettre la suite de l’histoire par mail, de crainte de voir son oeuvre piratée ou d’être spolié de ses droits d’auteur » . M.C. tenait à remettre la suite de l’histoire « en main propre ». En continuant d’éplucher le dossier, le président fait état de « comportements inhabituels » qu’aurait eus M.C. au sein d’un club de handball, avec plusieurs joueuses. Il dénonce même des attitudes qualifiées de « malsaines ».
Là où la situation se corse, c’est au sujet des chapitres qui suivent le premier, dont la teneur est tout autre. Le président indique qu’il est décrit pêle-mêle, des scènes pornographiques avec des majeurs et des mineurs, entre personnes de même sexe, des viols, des relations incestueuses… Il évoque un échange de mails avec une mineure ; il donne lecture du mail de M.C. : « C’est l’écrivain que tu as croisé tout à l’heure… J’ai noté que tu étais désireuse de nourrir mon inspiration… Je te propose de découvrir la suite de mon récit, mais pas par email, je crains un piratage de mon oeuvre… » M. Clarissou relève à ce niveau, une tentative de corruption de mineurs de la part de M.C. cherchant à porter à la connaissance de mineurs, des messages pornographiques et des scènes passibles de la loi pénale.
« Mes propositions de lecture ne seraient jamais allées au- delà du chapitre 3 , assure M.C. Il affirme qu’à ce moment-là, il était en souffrance et qu’il s’est exprimé de manière inadaptée : « J’étais dans un état d’esprit d’incompréhension ! » déclare-til. Le président fait allusion à la procédure en cours concernant M.C. concernant ses relations avec les deux enfants de son ancienne compagne. M.C. rebondit : « Ce qui m’a mis en colère dans cette histoire, c’est qu’on ne respecte pas la présomption d’innocence à mon égard et à cause de cela je suis bloqué dans mes démarches administratives et à caractère professionnel. C’est une psychologue qui m’a conseillé d’écrire ! » . Droit dans ses bottes, M.C. soutient qu’il décrit des scènes dans ses récits, « pour mieux les exorciser ! » . Le président coupe court :
- « Ce n’est pas plutôt du fantasme ! » s’exclame-t-il.
- « Pas du tout ! » rétorque le prévenu.
- « Difficile à comprendre ! » continue le président, en se frottant le menton. Et il ajoute : « la vraie difficulté c’est à partir du moment où ce genre d’écrits sont mis à disposition de mineurs ! »
Le président revient sur son allusion à la procédure pour viol, engagée à l’encontre du prévenu : « Vous êtes mis en examen, certes présumé innocent, pour des faits de viol et on vous retrouve en train de démarcher des jeunes filles en leur demandant leurs coordonnées… Expliquez-moi ça, je ne comprends pas ! » s’agace-t-il.
Réponse du prévenu : « Quand vous n’avez pas l’espoir que les choses s’arrangent, quand on vit une situation sur le plan judiciaire comme celle qui m’est imposée, on cherche de l’aide comme on peut ! »
- « Vous pensez que cela allait vous aider en quoi, votre démarche auprès des collégiennes ? » interroge encore M. Clarissou.
- « Je cherchais à avoir leur sentiment sur des situations compliquées, pour retranscrire au mieux leur réaction, montrer que quelqu’un qui est accusé peut être totalement innocent ! » indique M.C.
- « Mais tous ces passages pédopornographiques que l’on a retrouvés dans vos chapitres ne sont pas à montrer à des mineurs ! » scande une nouvelle fois le président. Les yeux sur les mails envoyés aux jeunes filles il relève de la part M.C. : « Je propose de te faire découvrir les chapitres suivants… »
Le prévenu se contente de répéter qu’il n’allait pas leur montrer les passages répréhensibles, qui se situent au-delà du chapitre 3. Le président émet des doutes et les explications du prévenu, ne semblent pas le convaincre, du tout, notamment lorsqu’il déclare : « J’ai décrit quelque chose que je ne sais pas faire, mes intentions sont saines ! »
Me William Brullot vient à la rescousse de son client en faisant observer au tribunal qu’aucune scène licencieuse n’a été montrée aux jeunes filles, rappelant selon les dires de son client, « qu’il n’en était pas question ». Quant au rapport de l’expert psychiatre, il mentionne une « perversion structurelle » chez M.C.
Commentaire du prévenu : « Je n’avais pas l’intention d’entrer dans l’intimité de qui que ce soit et encore moins de mineurs ! » Et il ajoute : « On peut émettre des doutes, mais moi, je sais qui je suis » .
Changement de ton avec l’intervention enflammée d’Alexandre Rossi, procureur de la République du Lot. Le magistrat n’admet même pas que le prévenu puisse se présenter en tant qu’écrivain, alors qu’il n’a découvert qu’un « ramassis décousu d’une écriture perverse » .
Il déclare : « Votre seul but, c’était d’obtenir le numéro de téléphone de ces jeunes filles et de les rencontrer ! On ne peut que retenir l’immoralité du message avec pour fil conducteur de votre livre, toute une panoplie de scènes obscènes, dont des viols. Il ne s’agit nullement d’une écriture pour dénoncer, bien au contraire ! Cet ouvrage n’est qu’un prétexte, sans valeur artistique ni littéraire ! »
Le procureur de la République bat en brèche la déclaration du prévenu lorsqu’il prétend qu’il n’aurait pas montré aux jeunes filles les passages pénalement répréhensibles. Aux yeux de
M. Rossi, l’élément matériel et l’élément moral de l’infraction sont constitués, idem pour la tentative de corruption. Il demande condamnation de M.C. en retenant le profil inquiétant de cette personnalité, qu’il qualifie de « dangereux » . Il requiert une application rigoureuse de la loi pénale et préconise : 18 mois de prison avec sursis probatoire renforcé pour une durée de cinq ans, avec injonction de soins, interdiction de se rendre à Figeac, interdiction d’exercer toute activité en lien avec des mineurs de façon définitive ou a minima pour une durée de 10 ans. Il demande la privation des droits familiaux pendant 5 ans et l’inscription au Fijais (2).
Pour la défense de M.C., Me Brullot répète que les écrits qui posent problème dans ce roman en construction n’ont jamais été montrés aux collégiennes. L’avocat décrit son client, tel un bonhomme perdu, qui attend que la justice suive son cours, face à des accusations de viol, qu’il qualifie de « mensongères » . Il souligne que son client jouit d’un casier judiciaire vierge et relève que cette comparution devant le tribunal, « c’est comme si le ciel lui tombait sur la tête ! » M.C. ajoute de lui-même : « cette façon de faire, je ne la reproduirai jamais et je vais me remettre sur de bons rails » !
Après en avoir délibéré, le tribunal a relaxé MC des poursuites de tentative de diffusion de message pornographique. Pour autant, le prévenu est condamné pour tentative de corruption d’élèves aux abords d’un établissement scolaire. Il écope d’une peine de 18 mois de prison avec sursis renforcé pour une période de 3 ans, avec obligation de soins et de travail. Il lui est interdit de fréquenter tous les abords des écoles et de se rendre à Figeac. Il lui également interdit d’exercer une activité le mettant en contact avec des mineurs. Son nom est inscrit au Fijais. • Jean-Claude BONNEMÈRE ■ (1) Fichier des personnes recherchées (FPR) : ce fichier sert à rechercher, surveiller ou contrôler certaines personnes à la demande des autorités judiciaires, des autorités administratives ou des services de police ou de gendarmerie.
■ (2) Fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes.
Il voulait remettre la suite de son texte aux élèves, en main propre… « Je décris quelque chose que je ne sais pas faire… »
L’expert évoque une « perversion structurelle »
Lourde condamnation malgré une relaxe partielle