Aux deux visages ! Un Parlement européen
La Commission européenne a annoncé jeudi 16 novembre le renouvellement de l’autorisation du glyphosate sur son sol jusqu’à fin 2033 révélant une nouvelle fois l’emprise des lobbies de l’agrochimie et de l’industrie agroalimentaire sur les députés européen
Les grosses puissances agricoles comme la France, l’Allemagne et l’Italie se sont abstenues. C’est donc un nouveau feu vert pour ce pesticide classé « cancérogène probable » par l’Organisation Mondiale de la Santé avec en prime un bail doublé par rapport à 2017. Quelles seront les conséquences de cette autorisation ? Quatre ONG environnementales envisagent déjà de faire appel devant la Cour de justice de l’Union européenne.
Pour la Commission européenne, qui n’est pas à une contradiction près, réduire l’usage des pesticides de moitié d’ici 2030 c’est non, mais réduire celui des emballages plastiques c’est oui. Pour Martin Dermine, directeur de l’ONG PAN (Pesticide Action Network), qui lutte contre les pesticides en Europe, ce 16 novembre restera un jour noir pour l’environnement : « les études ont largement démontré qu’on peut sortir des pesticides de synthèse sans mettre en danger la souveraineté alimentaire de l’Europe. C’est un jour triste pour l’environnement et pour la démocratie. Tous les sondages d’opinion sur les pesticides vont pourtant dans le même sens : les citoyens européens souhaitent réduire l’utilisation des pesticides et que soient mieux protégés la santé des citoyens et l’environnement ».
Un déni de toxicité
En autorisant le glyphosate, la Commission européenne ignore les alertes lancées par les apiculteurs sur l’effondrement des populations d’abeilles indispensables à la pollinisation. La Commission s’appuie sur l’avis de l’Agence Européenne de Sécurité des Aliments qui estime que cet herbicide ne présente pas de « domaine critique de préoccupation. » Ce qui ravit le ministre de l’agriculture Marc Fenot qui a déclaré à Ouest France : « On fait confiance à la science » . Mais que dit vraiment la science sur le glyphosate ? Le Centre de Recherche Internationale sur le Cancer, organisme de référence mondiale sur cette maladie, classe le glyphosate comme cancérogène probable depuis 2015. Une vaste étude publiée en 2019 qui a suivi 300 000 agriculteurs pendant plus de dix ans, conclut : « les agriculteurs en contact avec le glyphosate sont exposés à un risque bien plus important de développer un cancer du système lymphatique » . De son côté, l’INRAE, Institut National de Recherche Agronomique et Environnemental, souligne que le glyphosate est un perturbateur endocrinien, un perturbateur métabolique, un reprotoxique, un neurotoxique et un modificateur épigénétique. Et c’est sans compter sur les effets nocifs de cet herbicide sur la biodiversité qui ont été démontrés par de nombreux travaux scientifiques. Les experts de l’Agence Européenne émettent leur avis en écartant la grande majorité des études académiques préférant prendre en compte des tests réalisés par les fabricants de pesticides euxmêmes. Mais si on regarde les études indépendantes faites par des chercheurs qui n’ont pas de conflit d’intérêt, 75% d’entre elles concluent que le glyphosate a un effet génotoxique, c’est à dire un rayonnement qui peut compromettre l’intégrité du génome.
Poisons à prix soldé
La fausse promesse de sortir du glyphosate faite par Emmanuel Macron en 2017 n’est désormais plus qu’un lointain souvenir. Selon la toxicologue Laurence Huc, chercheuse à l’INRAE, les lobbyistes ont aujourd’hui plus d’influence sur les autorités européennes que les scientifiques.
Xavier Reboud, directeur de recherches à l’INRAE et coordinateur d’une série de rapports sur les alternatives à ce produit, explique : « Quand la molécule est tombée dans le domaine public en 2000, elle est devenue peu chère et attractive. Avec l’apparition de génériques, son coût d’utilisation est passé de 300 € environ l’hectare en 1973, à 7 € l’hectare aujourd’hui. En parallèle, les exploitations agricoles se sont agrandies, et traiter leurs parcelles avec ce produit permet aux cultivateurs de gagner du temps et de l’argent ».
Beaucoup d’agriculteurs se réfugient derrière l’argument selon lequel il n’existerait pas d’alternative. Mais c’est faux. Et ce débat cache un refus de sortir d’un système productiviste dévastateur et le refus de la FNSEA de réfléchir à d’autres modes de production. Devant ce déni de toxicité, comment ne pas penser à Rachel Carson, cette biologiste américaine attaquée par les industries chimiques américaines lorsqu’elle avait dénoncé, dès 1962, les conséquences dévastatrices du DDT dans un livre magistral : Un printemps silencieux. L’essentiel du livre était consacré aux effets des pesticides sur les écosystèmes naturels, mais quatre chapitres détaillaient aussi les cas humains d’empoisonnement par les pesticides, les cancers et autres maux attribués aux pesticides. Son ouvrage déclencha un renversement dans la politique nationale envers les biocides et conduisit à une interdiction nationale du DDT et d’autres pesticides. Et il faut se souvenir des méthodes de corruption et d’intimidation mafieuses utilisées par la firme américaine Monsanto et dénoncées par la réalisatrice Monique Robin dans son documentaire « Le monde selon Monsanto ».
Une petite victoire en revanche pour les défenseurs de l’environnement : ce jeudi 16 novembre, ce même Parlement a voté en faveur d’une loi visant à verdir l’utilisation des emballages de l’Union européenne avec un objectif de réduction des emballages plastiques. Les états membres de l’UE sont parvenus à un accord pour réviser le règlement sur les transferts de déchets vers des pays tiers. Une décision qui intervient à la veille d’un traité mondial pour lutter contre ce phénomène. Serait-ce le début de la fin pour le septième continent, composé de milliards de morceaux de plastique ? Il faut l’espérer.
• Luc GÉTREAU
« Les lobbyistes ont aujourd’hui plus d’influence sur les autorités européennes que les scientifiques. »